Android /IOS: le duopole en péril ?
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Voici une nouvelle passée inaperçue et qui pourrait pourtant bouleverser l’internet centralisé d’aujourd’hui:
The Verge (10 septembre 2020):
Huawei a annoncé la deuxième version de son système d'exploitation HarmonyOS et des plans détaillés pour l'adapter à une plus large gamme d'appareils, y compris les smartphones. Richard Yu, PDG de Consumer Business, a fait cette annonce aujourd'hui lors de la conférence des développeurs de Huawei à Shenzhen, en Chine.
Huawei mettra aujourd'hui à la disposition des développeurs une version bêta du SDK HarmonyOS 2.0, qui, dans un premier temps, ne prendra en charge que les montres intelligentes, les autoradios et les téléviseurs. Une version pour smartphone du SDK suivra en décembre 2020, et M. Yu a laissé entendre que des téléphones fonctionnant avec HarmonyOS pourraient apparaître l'année prochaine.
Vivre sans Google avec un téléphone Huawei
Huawei lance également son projet OpenHarmony, qui permet aux développeurs de s'appuyer sur une version open-source du système d'exploitation - similaire à ce que l'AOSP est pour Android. À ce jour, le projet ne prend en charge que les appareils disposant de 128 Mo de RAM ou moins, mais cela passera à 4 Go en avril de l'année prochaine, et la limite de mémoire sera complètement supprimée d'ici octobre 2021.
HarmonyOS est un projet stratégiquement important pour Huawei, car il pourrait servir de rempart contre les sanctions interdisant au géant chinois de faire des affaires avec des entreprises américaines. Huawei est actuellement obligé d'expédier ses téléphones Android sans les services de Google, ce qui paralysera son écosystème d'applications et ses fonctionnalités pour les utilisateurs hors de Chine.
La centralisation de l’internet
Du système très ouvert qu’il était à ses débuts avec les pages HTLM, l’internet est devenu de plus en plus centralisé du fait de l’emprise des FAANG devenant progressivement la porte d’entrée pour les professionnels désirant atteindre des utilisateurs. Google a été le premier centralisateur. La mobilité a accéléré le phénomène, rendant plus difficile l’usage du navigateur (changer de page gaspille des ressources précieuses de bande passante et de temps). Les applications sont devenues le point de passage privilégié pour la consultation supplantant les sites, les magasins d’applications ont alors pris une importance décisive ainsi que les systèmes d’exploitation qui les hébergent. La règle du jeu était simple: le système d’exploitation qui aurait le magasin le plus achalandé en applications devait l’emporter. Les échecs respectifs de Blackberry OS et de Symbian s’expliquent ainsi facilement:
BlackBerry a choisi d’intégrer son OS et son hardware. Ce qui est une force pour Apple a été un boulet pour BlackBerry: du fait d’un parti pris sur le clavier physique, l’écran était trop petit pour mettre en valeur des applications. Les développeurs se sont désintéressés de l’OS qui est tombé en désuétude contribuant ainsi à précipiter les ventes de BlackBerry.
Qui se souvient que Symbian avait 67% des part du marché des smartphones en 2006 ? Symbian était un OS propriétaire appartenant à un consortium comprenant Psion, Ericsson, Motorola et Nokia. En principe sa domination était acquise. L’erreur était que l’OS ne prenait pas en charge l’interface, si bien que chaque constructeur a conçu la sienne semant la division et la confusion parmi les développeurs. De surcroit le langage de programmation était propriétaire et complexe. Il y avait de quoi décourager les meilleurs volontés parmi les développeurs d’applications. Pauvre en applications, l’OS est rapidement tombé en désuétude, entrainant Nokia avec lui.
Apple et Google n’ont pas commis ces erreurs. Ils ont tout de suite compris l’importance d’avoir un magasin d’applications très fourni et de courtiser les développeurs. Ils ont façonné leur OS en ce sens, n’hésitant pas à partir de l’Open Source, particulièrement prisé par ces mêmes développeurs . C’est peu connu mais IOS est dérivé de FreeBSD, un projet open source. Les développeurs ont trois critères pour s’investir dans un projet:
un écosystème avec une technologie crédible
une base installée la plus importante possible
un public qui s’enrichit et est prêt à payer
IOS et Android réunissent les trois critères, leurs magasins d’applications App Store et Google Play Store étaient destinés à l’emporter. La victoire a été encore facilitée par leur stratégie de conquête agressive: Apple n’a pas autorisé d’autres magasins sur IOS; Google a pratiqué la vente liée (Play Store/Google search) en excluant contractuellement les autres magasins d'applications. Par un effet boule de neige typique de places de marché, les deux magasins d’applications sont devenus quasiment incontournables. Si bien qu’Apple et Google dominent l’internet aujourd’hui pouvant selon leur bon vouloir éliminer telle ou telle application en fonction de règles internes plus ou moins obscures. Le pouvoir politique a par la même occasion accru son pouvoir sur l’internet. Il était auparavant très difficile pour un Etat de bloquer un service car ce dernier pouvait prendre des chemins détournés sur la toile. C’est maintenant devenu beaucoup plus facile: il suffit de faire pression sur Google ou Apple ou de leur imposer une interdiction d’héberger une application.
Abus de pouvoir ?
Comme toute place de marché les magasins d’applications vendent de la confiance: les applications sont formatées grâce aux outils de développement proposés par Apple et Google, éloignant la menace de virus (au moins dans la perception des utilisateurs); les règlements à l’intérieur de l’application sont également pris en charge par Apple et Google, sécurisant ainsi les transactions. Les développeurs souffrant souvent au départ d’une faible notoriété sont heureux de pouvoir bénéficier de la confiance qu’inspirent les deux géants à leur multitude de clients et de leur potentiel de distribution. Ils payent cher ce confort de vente: 30% du montant des transactions digitales mais surtout la perte de leurs clients qui deviennent ceux de Google et Apple. L’autre solution est de vendre par l’intermédiaire de son site internet, avec ses propres moyens de paiement. C’est un arbitrage à faire mais souvent, il vaut mieux garder 70% d’un montant sympathique que 100% de zéro. En tout cas, Apple interdit d’en faire la publicité dans l’application. Les développeurs acceptent le deal en masse: on compte 2,2 millions d’apps dans l’App Store et 2,8 millions dans le Play Store. Dans le lot certaines applications percent et ravissent le pouvoir aux magasins d’applications en déclenchant l’enthousiasme de leurs utilisateurs. L’App Store et le Play Store ne peuvent plus se passer desdites applications au risque de créer du mécontentement chez ceux qu’ils considèrent leurs clients (crime de lèse majesté dans le monde de l’internet) et se fragiliser eux-mêmes. Quelques applications ont réussi à créer une connexion spéciale avec leurs utilisateurs, un « goodwill » qui fait qu’ils s’agrègent en masse à leurs services. Ce sont les Amazon, Netflix, Facebook qui sont arrivés à se hisser au niveau d’Apple et Google, grâce au web traditionnel et sont incontournables dans un magasin d’applications digne de ce nom. Les rapports de force sont équilibrés, le duopole est obligé de faire une entorse à son fonctionnement centralisé et au contrôle du paiement. Par exemple CNBC le 1er avril 2020:
L'application Amazon Prime Video sur iPhone et Apple TV permet désormais aux utilisateurs de louer et d'acheter des films à l'intérieur de l'application en utilisant une carte de crédit enregistrée chez Amazon. C'est un grand changement.
Pour la plupart des applications, les politiques de l'App Store d'Apple exigent que le contenu numérique soit acheté et payé via le système de paiement d'Apple, qui prend 30 % du prix d'achat. Amazon avait auparavant refusé de proposer des achats in-app dans ses applications iOS.
Netflix et Spotify ont pu également organiser le paiement de leurs abonnements en dehors de l’application, ne proposant pas l’option à l’intérieur, laissant Apple et Google sans rémunération. Apple a dû plier, il était délicat de rentrer en guerre ouverte contre ces monstres; de même Google.
Mais pour les autres, pas de pitié: il faut rentabiliser le magasin d’applications et éviter la constitution d’un agrégateur de plus qui pourrait devenir une sérieuse menace. Il faut fermer le couvercle de la cocotte-minute tant qu’il est temps.
Aussi l’App Store met une forte pression sur les petits développeurs afin qu’ils intègrent Apple Pay dans leur application, n’hésitant pas à refuser les mises à jour à ceux qui font de la publicité sur un mode de paiement extérieur à l’app. Cette pression sournoise n’est pas restée inaperçue aux yeux de l’analyste Ben Thompson:
Le Google Play Store a décidé récemment de s’aligner sur les règles de l’App Store. Il impose maintenant le règlement par Google Pay pour tous les achats faits dans l’application. Jusqu’à présent, il n’y avait pas de sanction pour les contrevenants. De CNBC, le 28 septembre 2020:
Google a déclaré lundi qu'il appliquera des règles qui obligent les développeurs d'applications distribuant des logiciels Android sur la boutique Google Play à utiliser son système de paiement intégré à l'application.
Cette décision signifie que les développeurs ont jusqu'au 30 septembre 2021 pour utiliser le système de facturation de Google, qui prélève 30% de frais sur les paiements, au lieu de systèmes de paiement indépendants. L'annonce aligne les politiques de Google Play sur celles de l'App Store d'Apple, qui ont été critiquées par les développeurs et les régulateurs sur plusieurs points, dont sa propre réduction de 30 %.
Le plus sournois dans ce serrage de vis est l’interposition du duopole entre des développeurs potentiellement prometteurs et leurs clients pour les leur dérober. A partir du moment où le paiement se fait avec Apple Pay ou Google Pay, le client change de maison. Le pouvoir étant, avec l’internet, dans le “contrôle” du client, il y a une sérieuse entrave à la concurrence. Les développeurs vont chercher un échappatoire.
La solution Huawei
Quand un abus de position dominante devient un peu trop criant, en général, la réglementation anti-trust s’en mêle. Il est difficile de savoir si au bout du compte la réglementation a fait bouger les lignes ou si c’est plutôt l’émergence d’un disrupteur. Windows a été moins victime du procès intenté par les Etats-Unis contre son monopole du marché du PC, que de sa marginalisation d’abord par Google puis par les OS mobile. On entend aujourd’hui certes les bruits de bottes des régulateurs mais le pire ennemi d’Apple et de Google est eux même, dans leur volonté de tout contrôler.
D’où vient en effet le succès de l’iPhone et des téléphones Android ? de leur magasin d’applications et de la bonne orchestration de ces dernières dans les systèmes d’exploitation d’Apple et de Google afin de rendre l’expérience utilisateur agréable. Les développeurs sont donc la clé du succès de l’iPhone et des téléphones Android. Se les mettre à dos est un danger, une faille qu’un tiers pourra exploiter. Microsoft dans les années 90 s’était fait le porte-drapeau du mouvement anti open source, anti Linux, conservant son code propriétaire. Cette attitude anti- développeurs a contribué à sa chute relative. Tant le cloud que les systèmes d’exploitation pour smartphones ont adopté l’open source pour faire levier sur les développeurs et cela a marché ! Microsoft ne doit sa renaissance qu’à un changement de stratégie majeur opéré par Satya Nadella sur l’open source. IOS et Android on tous deux misé sur l’open source marginalisant ainsi Symbian et BlackBerry. C'’est connu pour Android mais ça l’est moins pour IOS. D’après Wikipedia:
Darwin est un système d'exploitation de type Unix à code source ouvert, lancé par Apple Inc. en 2000. Il est composé de code développé par Apple, ainsi que de code dérivé de NeXTSTEP, BSD, Mach et d'autres projets de logiciels libres.
Darwin forme le noyau des composants sur lesquels sont basés macOS (anciennement OS X et Mac OS X), iOS, watchOS, tvOS et iPadOS.
Huawei, ayant appris des échecs de Nokia et BlackBerry, mise sur un OS open source pour attirer la communauté de développeurs. Le timing est propice: la communauté est déçue par la volonté de Google et Apple de contrôler et faire payer ses membres (la fameuse taxe de 30%). Le gouvernement américain de plus a une fâcheuse tendance à restreindre l’accès aux technologies américaines, notamment Linux et Android. La stratégie de Huawei est astucieuse:
Création d’une fondation à but non lucratif qui parraine le projet OpenHarmony. Ainsi Huawei ne met pas la main sur cet OS, se met en retrait pour susciter l’adhésion des développeurs. Huawei utilise la technique efficace de Google avec Chrome, Kubernetes et WebRTC ou celle de Linus Torvalds avec la fondation Linux: les développeurs n’ont ainsi pas à craindre de captation de leur contribution. La fondation s’appelle OpenAtom, son projet principal est OpenHarmony qui est logé sur Gitee, l’équivalent chinois de Github.
Développement d’une technologie éloignée de celle d’Android pour éviter de faire la même chose que l’OS dominant en moins bien et de se faire bloquer par le gouvernement des Etats-Unis.
Choix d’une technologie partageant la même origine que celle d’IOS. OpenHarmony utilise FreeBSD, comme DARWIN, l’ancêtre d’IOS. Huawei se positionne ainsi sur un OS beaucoup plus apprécié des utilisateurs qu’Android. Il n’y a qu’à regarder le pourcentage d’utilisateurs faisant les mises à jour dans l’un comme dans l’autre cas. Huawei va pouvoir en quelque sorte libérer IOS de l’iPhone, proposant une réelle alternative au duopole.
Huawei est un des tous premiers fabricants de produits électroniques au monde. Son assise lui permet d’être crédible auprès des développeurs. Sa promotion d’un OS de qualité voisin d’IOS mais plus souple pourrait faire des émules chez les autres fabricants souhaitant rehausser leur image et être débarrassés de la dictature du Play Store. Ainsi Android (Google) et IOS (Apple) seraient tous deux menacés.
La première menace crédible
Avec Fortnite supprimé de l’App Store et du Play Store, l’inimitié entre les développeurs et le duopole est étalée au grand jour. Une aubaine pour les autres monstres de l’internet !
Microsoft s’est immédiatement introduit dans la brèche pour marteler les principes du Windows Store. Le maître mot est liberté pour tous: liberté de créer des magasins concurrents, liberté de régler avec tout moyen de paiement, liberté du contenu, libération de la taxe de 30%. Microsoft s’interdît d’utiliser les données du Windows Store pour faire émerger un concurrent et s’engage à des règles transparentes. Bref, Microsoft veut corriger tous les défauts des deux magasins dominants pointés du doigt par les développeurs. Le seul problème est que les Windows phones sont pathétiques et ne se vendent pas. Microsoft se garde bien de proposer les mêmes règles pour la Xbox !
Amazon, fidèle à lui même choisit la disruption et, puisqu’il n’a pas le smartphone, essaie de gagner la maison avec le système d’exploitation Alexa et son magasin de « skills ». Lors de son dernier événement hardware tenu en septembre, il a centré toutes ses annonces sur des gadgets Alexa. Un magasin de « skills » orales ne me paraît pas une menace sérieuse, car les skills font trop appel à la mémoire, un de nos organes les plus sollicités aujourd’hui par la quantité d’information ambiante. Au cas où, Apple a présenté lors de la Keynote du 13 octobre, son HomePod mini pour contrôler la maison. Apple ne veut prendre aucun risque de disruption…
L’écosystème OpenHarmony pourrait bien être une menace pour Google et Apple. Ces deux groupes sont en train de se mettre à dos les développeurs tandis que les fabricants chinois, premiers au monde par le nombre de smartphones vendus, sont très motivés à trouver une alternative à ces deux OS « américains ». WeChat a montré la voie avec les mini-programmés. Les trois éléments sont réunis pour faire monter la sauce:
une technologie intéressante
une base installée très significative
un marché de consommateurs en expansion (la Chine)
Huawei n’a pas dit son dernier mot. À suivre..
Bonne fin de semaine,
Hervé