Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Les Sabines (de Marcel Aymé)/dessin par Stable Diffusion
L’avenir du Metaverse apparait encore bien brumeux. Matthew Ball, l’auteur d’un opus récent appelé Metaverse le décrit comme une évolution de l’internet aux caractéristiques suivantes:
-3D
-immersif
-synchrone
-persistant
-interopérable.
Le Metaverse est un réseau massivement étendu et interopérable de mondes virtuels 3D rendus en temps réel qui peuvent être expérimentés de manière synchrone et persistante par un nombre effectivement illimité d'utilisateurs avec un sentiment individuel de présence, et avec une continuité de données, telles que l'identité, l'histoire, les droits, les objets, les communications et les paiements".
Même si la vision du long terme est juste, elle se heurte aujourd’hui à la réalité des moyens techniques et de l’absence d’applications utiles.
Autoroute de l’information
Cette vision rappelle celle en vogue dans les années 90 de l’autoroute de l’information popularisée par Al Gore. D’après Wikipedia:
L'autoroute de l'information relie directement des millions de personnes, chacune étant à la fois un consommateur d'information et un fournisseur potentiel. (...) La plupart des prédictions concernant les opportunités commerciales de l'autoroute de l'information se concentrent sur la fourniture de produits d'information, tels que la vidéo à la demande, et sur les nouveaux points de vente de produits physiques, comme le téléachat. (...) L'autoroute de l'information rassemble des millions d'individus qui pourraient échanger des informations entre eux.
Sur la base de cette vision (juste à long terme), on a construit des dizaines de millions de km de fibre à coût de dettes, des montagnes de serveurs et investi dans les business plans de sociétés internet les plus fantaisistes. Le concept de l’autoroute de l’information a provoqué une bulle financière puis un krach. Voir mon article Krach internet 2.0…et après?
On imagine une autoroute de l’information, terme popularisé par Al Gore, candidat malheureux aux élections présidentielles de 2000. La même année, l’économiste ultra-libéral George Gilder publie son livre Telecosm: how infinite bandwidth will revolutionize our world. L’avenir paraît tracé même s’il n’y a pas encore de demande finale. On construit de la fibre longue distance à coup de dette: Worldcom, Global Crossing, Level 3, même les opérateurs téléphoniques traditionnels. Il suffît d’avoir un projet de fibre pour que les capitaux affluent. De nombreuses start up attirent également les capitaux avec un business plan et quelques serveurs (cela fait plus sérieux). Sun Microsystems voit ses ventes s’envoler. Le retour est d’autant plus brutal que les sociétés ont eu recours à l’endettement pour financer les infrastructures. Worldcom fait une faillite retentissante en 2002 laissant $40 milliards de dette orchestrées par les banques d’investissement (Salomon Smith Barney en premier) et détenues en grande partie par les fonds de pension. Les actifs se vendent à l’encan qu’ils soient câbles ou serveurs.
L’internet s’est finalement construit sur des applications concrètes s’adaptant aux contraintes techniques (faiblesse de la bande passante), en rapport lointain avec l’autoroute tant vanté: Craiglist, eBay, Google, Yahoo, PayPal, puis Facebook, l’iPhone, etc. En revanche les sociétés qui ont voulu construire l’autoroute de l’information ont été au cœur de la tourmente, faute de modèle économique viable. La première société à réellement exploiter la bande passante fut YouTube, fondée en 2005 (5 ans après le krach). La contrainte technique avait sauté (bande passante de 2 mb/s minimum) du fait notamment de la fibre posée pendant la bulle mais il fallait du temps pour qu’un modèle économique adapté à l’autoroute de l’information se mette en place. Netflix lui a proposé son service de streaming en 2007, 7 ans après le krach. Netflix et YouTube à eux deux génèrent 50% aujourd’hui du trafic internet ! Il faut un délai entre la libération des contraintes techniques et la création de produits qui s’y adaptent.
Contraintes techniques du Metaverse
Or les contraintes techniques du Metaverse sont colossales:
Il n’y a pas de standard 3D comme il y en a pour l’internet 2D (TCP/IP pour le transport de bits d’ordinateur à ordinateur, Jpeg pour les photos, http pour les sites internet, STMP pour les mails, RSS pour l’audio, etc.) Le 3D cherche ses standards dans la compétition logique entre acteurs privés (engins de jeux, WebGPU, WebRX…), chacun cherchant à ramener la couverture à lui. L’armée n’est pas là pour mettre les protagonistes d’accord…et permettre l’effet de levier sans précédent de l’internet grâce à l’acceptation de standards communs. L’interopérabilité des mondes virtuels est entièrement à construire. Un bien virtuel vaudra beaucoup plus cher s’il est accepté sur plusieurs plates-formes. Aujourd’hui, chaque construction 3D est propriétaire. Le monde Roblox est incompatible avec le monde Fortnite. Les biens digitaux échangés ayant une faible valeur unitaire, l’impact est faible mais il limite l’intérêt économique du monde virtuel. Les coûts sont là mais l’effet de levier n’y est pas…C’est pourquoi, Meta veut construire les passerelles entre les différents mondes virtuels, en open source, estimant que c’est la partie la plus intéressante du métavers, celle qui permettra son émergence. Ces passerelles seront son OS comme Android l’est pour Google: ouvert mais avec une dose propriétaire. Pour imposer un standard, la méthode classique est de subventionner (en l’occurrence développeurs et utilisateurs), d’où les fortes pertes de Meta dans sa division Reality Labs. Cette stratégie rappelle celle d’Uber avant son introduction en bourse. La différence est que Meta est coté…
La latence du réseau internet est trop importante pour permettre la synchronisation. Il y a une contrainte matérielle que même la fibre ne saurait résoudre: quand bien même elle recouvrerait le territoire à un coût astronomique, elle ne pourrait être posée en ligne droite ce qui ralentirait la vitesse de propagation des ondes. Le hardware (par exemple consoles ou casque VR) et le logiciel (par exemple Fastly) compensent en rapprochant les données des protagonistes. La difficulté de créer un univers en temps réel est proportionnelle au nombre d’utilisateurs et à la distance entre eux. Le temps quasi-réel ne peut concerner que des petits groupes rapprochés.
La demande de puissance de calcul pour vivre des expériences 3D simultanées et persistantes avec une masse d’autres gens dépasse largement les capacités de puissance de calcul en présence. Les clouds qui mutualisent la puissance de calcul et font ainsi faire des économies vont être extrêmement sollicités. Cependant une bonne partie des expériences seront réalisées au niveau local pour éviter les problèmes de latence vus plus haut, ce qui nécessitera des investissements importants dans le hardware, en particulier les casques de réalité virtuelle.
Pour quoi faire ?
Comment justifier des investissements pareils pour rendre l’internet 3D, synchrone, persistant et immersif, s’il n’y a pas ou peu de demande finale ? La logique guidée par l’Histoire serait plutôt plus modestement de partir des contraintes matérielles actuelles et essayer de construire une application réellement attractive, la « killer app » qui tout en allant dans la direction du Metaverse, ne le cherchera pas comme pré-requis. C’est la leçon de l’autoroute de l’information des années 90: il faut viser l’application plutôt que le concept et celle-ci doit épouser les contraintes de l’époque.
La comparaison entre les deux époques s’arrête là, même si elle a été entretenue par la communication brutale et candide de Mark Zuckerberg: en changeant le nom de sa société en Meta et promettant d’investir dans le Metaverse, quoi qu’il en coûte, il a immédiatement rappelé la folie de la fin des années 2000. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas convaincu les investisseurs. Le cours de Meta était à $315 lors de l’annonce, le 28 octobre 2021. Un a plus tard, il est à $ 90. Même si d’autres raisons expliquent aussi le désintérêt pour l’ancien Facebook, le Metaverse est de ce fait enterré avant l’heure avec Meta. La presse est ravie de pouvoir prendre sa revanche sur le réseau social qui lui a pris son audience. Fortune, le 7 octobre 2022:
Le Metaverse est en difficulté, même parmi ses propres créateurs.
Horizon Worlds, le réseau social VR de Meta, est impopulaire auprès des employés et connaît de sérieux problèmes de qualité, selon un mémo interne de l'entreprise, rapporte The Verge.
Le mois dernier, le nouveau vice-président du métavers, Vishal Shah, qui a remplacé Vivek Sharma, a supplié les employés de prendre le temps de "tomber amoureux" d'Horizon Worlds, suite à un autre message détaillant un certain nombre de problèmes liés au produit.
Cependant, la stratégie poursuivie par Mark Zuckerberg est bien différente de celle des opérateurs de télécommunications des années 90. Ceux-ci cherchaient à créer les infrastructures de haut débit, pensant que les usages suivraient. Les plus avant-gardistes (TCI, Comcast, Cox communications) se sont associés pour proposer un service internet à haut débit (@home) mais qui a périclité faute d’applications: le streaming n’était pas encore au point. Meta joue sur les deux tableaux: infrastructure du Metaverse et applications, les deux étant censées se renforcer mutuellement. Mark Zuckerberg a appris la leçon de l’autoroute de l’information et ne veut pas tomber dans le piège d’une infrastructure sans débouchés.
Le contre-positionnement de Meta
Son intuition profonde cependant va plus loin: il pense que le Metaverse sera avant tout une infrastructure sociale et qu’il a là l’opportunité d’arrêter de se faire balader par Apple, voire l’occasion de le marginaliser. Rappelons deux faits traumatisants pour Mark Zuckerberg: il a dû repenser complètement son modèle économique à l’arrivée de l’iPhone. Il doit le repenser de nouveau avec l’introduction d’iOS 14.5. A chaque fois c’est une question de vie ou de mort. Si (et seulement si) Mark Zuckerberg a raison sur l’essence du Metaverse, Apple sera très handicapé car son ADN est de construire des outils individuels de productivité quasi-parfaits (a bicycle for the mind, disait Steve Jobs). Pour ce faire Apple intègre verticalement tout son processus de fabrication et de conception logicielle. Toutes les pièces doivent s’encastrer parfaitement les unes dans les autres pour donner l’impression d’un produit d’une seule pièce. Cette vidéo donne l’idée. Cela implique que la communication n’est étudiée et perfectionnée qu’entre appareils Apple pour faire un écosystème de tout son hardware. Marc Zuckerberg cherche un contre-positionnement (cf le livre d’Hamilton Elmer, 7 Powers):
Un nouveau venu adopte un nouveau modèle d'entreprise supérieur que l'opérateur historique n'imite pas en raison des dommages anticipés à son entreprise existante.
C’est pourquoi Marc Zuckerberg cherche avant tout à créer les passerelles entre les différents mondes virtuels pour les rendre interopérables et pouvoir faire se rencontrer à terme le maximum de personnes. Pour lui la rencontre est l’essence du métavers, mais elle ne peut s’opérer qu’au travers d’un casque VR conçu en ce sens. Il pense ainsi pouvoir isoler Apple centré sur ceux qui ont les moyens de s’offrir ses appareils. Marc Zuckerberg dans un récent entretien à TheVerge:
Et l'une des choses intéressantes auxquelles je pense dans l'histoire de l'informatique, c'est qu'il n'est pas vraiment prédéterminé quel type d'écosystème finit par avoir le plus de succès. Dans le domaine des PC, je pense que l'on peut dire que Windows, durant les années 90 et 2000, était vraiment le principal écosystème informatique. L'écosystème ouvert était gagnant. Dans le domaine de la téléphonie mobile, je pense que l'on peut dire qu'iOS est le gagnant, même s'il y a techniquement beaucoup plus d'Androïd que d'iPhones.
Du point de vue du profit.
Je veux dire, je pense qu'Apple représente quelque chose comme 80 % des bénéfices, et dans des pays comme les États-Unis, je pense qu'ils ont 60 % de part de marché et qu'ils sont en pleine croissance. Donc je pense que l'écosystème fermé a vraiment gagné dans le mobile. Mais je pense que, à partir de ce mélange au fil du temps, il n'est pas prédéterminé qu'un modèle doive l'emporter sur l'autre. Et je pense que nous allons avoir une réinitialisation dans la prochaine génération de l'informatique. Notre objectif et notre approche ne consistent donc pas seulement à contribuer à la construction de l'écosystème ouvert en partenariat avec toutes ces autres entreprises, mais à faire en sorte que, dans cette génération d'ordinateurs, l'écosystème ouvert gagne à nouveau.
Il reste à savoir si cet investissement dans l’interopérabilité n’est pas titanesque et hors de portée d’une seule entreprise…
Le Metaverse comme salle de réunion
Pourquoi rechercher un monde virtuel 3D, immersif, synchrone, persistant, interoperable. bref le Metaverse ? Parce qu’il donne le don d’ubiquité, le pouvoir d’être présent dans deux endroits en même temps: un vieux rêve illustré par Marcel Aymé dans sa nouvelle Les Sabines. Tout le reste…est de la littérature…
Ce sentiment de présence ne peut être apporté que par un casque VR (avec sa version réalité mixte), c’est pourquoi malgré les critiques, il me paraît être un inévitable (sous une forme plus agréable à porter) pour la communication dans le futur. Le mode d’emploi par How-to-Geek:
Il s'avère qu'il n'est pas nécessaire de reproduire à 100% le monde réel pour tromper le cerveau et lui faire ressentir une présence. En remplissant quelques conditions essentielles, vous pouvez ressentir un sentiment de présence avec un casque abordable (tel que le Quest 2) et des graphismes relativement simples. Tout d'abord, il y a la qualité du suivi. C'est-à-dire la façon dont le logiciel VR suit la position physique de votre corps dans l'espace virtuel. Le suivi doit se faire dans tous les axes de l'espace 3D. On parle également de "6DoF" ou six degrés de liberté. La précision du suivi doit être de 1 mm maximum par rapport à votre position réelle dans l'espace 3D. Il ne peut y avoir de "gigue", c'est-à-dire que le monde VR saute entre des positions légèrement différentes, ce qui fait trembler l'image. Une image stable est essentielle. Vous avez également besoin de ce suivi précis dans un espace relativement grand et confortable. L'une des exigences les plus importantes en matière de présence est sans doute une faible latence. En d'autres termes, le monde de la VR doit réagir à vos mouvements si rapidement que vous avez l'impression d'être en temps réel. Selon John Carmack, un technologue clé dans le développement de la VR moderne, une latence de 20 ms entre le mouvement et les photons est la ligne de démarcation de la présence. Cela signifie que le délai entre le moment où vous initiez un mouvement et celui où les photons reflétant ce mouvement dans le monde RV frappent vos rétines ne doit pas dépasser 20 ms.
La qualité de l'image est également importante, mais pas en termes de fidélité ou de qualité du rendu. Au contraire, un écran à faible persistance qui combat le flou des panneaux plats et un taux de rafraîchissement d'au moins 90 Hz sont des facteurs importants pour rendre la présence possible. La résolution physique des écrans doit également être suffisamment élevée pour que les yeux de l'utilisateur ne voient pas la structure des pixels de l'affichage. Enfin, le champ de vision horizontal doit être de 90 degrés ou plus.
Or, il y a deux catégories de gens: ceux qui ont expérimenté la réalité virtuelle avec un casque VR et les autres qui en sont spectateurs à travers un écran 2D. Les premiers, quand ils n’ont pas eu trop mal au cœur, sont en général frappés par le sentiment de présence qui émane de l’expérience en réalité virtuelle. Les seconds sont sceptiques et voient surtout l’inconvénient de s’harnacher d’un tel accoutrement pour converser avec des avatars à peau de bébé et en plus sans jambes !
La barrière a l’adoption est énorme:
Les sceptiques ne voient pas l’intérêt d’essayer.
Le coût du casque est important.
La mise en route est complexe et remplie de bugs, certains utilisateurs ont des nausées.
Le casque est lourd, la batterie s’use très vite.
Il faut en plus pouvoir être au moins deux pour expérimenter ce sentiment de présence. Cela implique double frais de casque.
Il faut créer une envie de se rencontrer, donc proposer une application attractive.
On estime à un peu plus de 30 millions le nombre d’utilisateurs de casques VR aux Etats-Unis. Le marché des casques VR est en forte croissance. D’après IDC:
En 2021, 11,2 millions d'unités de casques de réalité augmentée (AR) et de réalité virtuelle (VR) ont été expédiées dans le monde, selon les nouvelles données du tracker mondial trimestriel des casques AR/VR d'International Data Corporation (IDC). Au cours du quatrième trimestre des vacances, la moitié du volume annuel a été expédiée, couronnant une année record qui n'a pas connu de volumes similaires depuis 2016, lorsque des visionneuses VR sans écran à bas prix comme le Gear VR de Samsung ont dominé le marché.
Cette croissance spectaculaire est en grande partie due aux forts volumes de Quest 2 de Meta, qui ont représenté 78 % du marché mondial combiné AR/VR. Viennent ensuite DPVR (5,1 %) et les produits Pico VR de ByteDance (4,5 %), qui sont tous deux bien positionnés pour la croissance sur les marchés asiatiques…
Forte croissance certes, mais on est loin des livraisons annuelles de PC (300 millions +) et de smartphones (1,5 milliard +). Comment faire sauter les barrières ?
Le débat a l’intérieur de Meta
Il est intéressant de suivre les débats à l’intérieur de Meta. Mark Zuckerberg, détenant 57% des droits de vote de Meta, n’est pas dépendant d’investisseurs externes et n’est pas soumis à leurs opinions. Il laisse les points de vue s’exprimer librement à l’intérieur de sa société, au sus et vue du public. Cela peut donner une impression de cacophonie, vite récupérée par la presse (par exemple, le fait que les employés de Meta n’aiment pas Horizon Worlds). Mark Zuckerberg ne semble pas s’en émouvoir: il sait que l’expérience virtuelle aujourd’hui est à ses balbutiements et a beaucoup de progrès à faire. Que ses investisseurs le veuillent ou non, il a l’intention de consacrer des montants importants à l’amélioration de l’expérience utilisateur. Il y a donc un débat à l’intérieur de Meta sur la façon de déclencher l’adoption des casques VR:
-D’un côté John Carmack, conseiller du CTO d’Oculus (donc Meta) et légende de la réalité virtuelle, exprime son son désaccord sur la stratégie actuelle de Meta lors de la dernière conférence des développeurs. Il lui reproche de consacrer une bonne partie de la puissance de calcul des casques à un rendu hyper-réaliste. Pour lui, le réalisme excessif n’accentue pas le sentiment de présence qui est la clé du Metaverse. L’impératif est de réduire les prix du casque et son poids, corriger les bugs, éviter les nausées et pousser les développeurs à l’action afin qu’ils trouvent eux-mêmes la killer app. Il faut mettre moins de puces très chères et encombrantes et les utiliser pour ce qui est différenciant dans le casque: le sentiment de présence. Le casque doit préférer mettre moult personnes en présence même sous forme simpliste, plutôt que quelques unes réalistes avec des jambes. En bref, il ne faut pas chercher à faire comme Apple mais plutôt comme Facebook: connecter des gens ensemble. Cependant Horizon Worlds est un échec. La difficulté est de trouver l’application: les jeux, spécialité de John Carmack se prêtent bien à des images simplistes mais restent une niche. Comment passer le Rubicon du spécialiste au généraliste? La vision de John Carmack est limitée mais fait revenir sur terre son patron.
-De l’autre, Mark Zuckerberg qui pense que la “killer app” est la création d’une station de travail virtuelle (Quest Pro) qui pourrait compléter voire à terme remplacer le PC. Il y voit plusieurs avantages: 1/ si les salariés sont obligés de se familiariser avec la technologie VR au sein de leur entreprise, ils en verront les avantages et l’adopteront aussi à la maison (idem Windows dans les années 90) avec des modèles moins haut de gamme. 2/ il y a 200 millions de PC vendus chaque année dans les entreprises. Meta peut essayer de mordre sur ce marché en proposant des stations de travail plus ergonomiques, même si elles sont virtuelles. 3/ En créant en 3D un univers 2D “de rêve”, Meta espère plus facilement convaincre les utilisateurs, qui ne voient l’informatique qu’en 2D.
Dans un univers de travail, les avatars à peau de bébé et sans jambes (elles ne sont pas suivies par des censeurs), ne font pas très pro. D’où l’investissement en puces performantes pour un rendu hyper-réaliste des écrans et de l’environnement en réalité mixte (y compris les puces d’intelligence artificielle pour créer un mouvement naturel des jambes). Le casque est plus lourd et plus cher (€1 800), l’inverse de ce que souhaite John Carmack. Meta a passé un accord avec Microsoft qui équipera de Microsoft 365 ces stations de travail. C’est un bon accord pour les deux parties car il donne plus de chance à Quest pro de réussir et ainsi de convaincre les utilisateurs de l’intérêt de la VR; il permet à Microsoft de continuer sa domination du monde de l’entreprise si la VR prend.
Cette stratégie du “haut de gamme” risque la contre-attaque d’Apple certainement capable de proposer un casque de réalité mixte (ou augmentée) plus esthétique, avec un meilleur rendu graphique et permettant d’emmener avec soi un Mac Pro virtuel doté d’un écran géant. Apple est très bon à prolonger son avantage avec de nouveaux appareils liés à ceux existants (Watch et AirPods liés à l’iPhone par exemple). Son casque sera probablement lié au Mac. En revanche Apple sera nettement moins bon sur l’impression de présence conférée par l’outil, le sentiment d’ubiquité. C’est la où Meta compte se différencier puis enfoncer le clou en créant une alliance anti-Apple (par l’interopérabilité).
Il est impressionnant de voir comment Teams, depuis le Covid, est devenu le nouvel OS dans l’entreprise. La vie de celle-ci est centrée sur la réunion virtuelle au cours de laquelle on s’échange les fichiers, présentations, etc. Et cela quand bien même les équipes sont sur le même site ! C’est plus pratique qu’imprimer des documents pour tous les membres de la réunion et surtout plus interactif. Il y a quelques années, une telle façon de travailler aurait paru absurde. Nous sommes déjà rentrés dans l’ère de la réalité virtuelle. Celle-ci ne donne cependant pas encore le sentiment d’être présent au milieu des autres, ce qui implique qu’on passe à côté d’un certain nombre d’informations utiles dans la conduite des affaires. Le casque VR est la prochaine brique prévisible du Metaverse, dans la mesure où il donne le super pouvoir de l’ubiquité, et ceci sans investissements massifs dans les réseaux. La question est maintenant de savoir si un tel pouvoir ne fera pas plus de mal que de bien. La lecture de la nouvelle de Marcel Aymé Les Sabines est une bonne méditation sur le sujet…
Bonne fin de semaine,
Hervé