Cloud chinois: la course contre la montre
Ls cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
CNBC, le 7 septembre 2020:
GUANGZHOU, Chine - Les actions de SMIC, le plus grand fabricant de puces sous contrat en Chine, ont plongé de plus de 19% lundi, après que le gouvernement américain ait déclaré qu'il envisageait d'imposer des restrictions à l'exportation à la société.
Les actions de la société cotées à Hong Kong ont chuté de 19,75 % à 18,98 dollars de Hong Kong à 11h33, heure locale. Les actions de SMIC récemment cotées à Shanghai ont baissé de 9,2 % à 60,18 yuans.
Le ministère américain de la défense étudie actuellement la possibilité d'ajouter SMIC à la liste des entités du ministère du commerce.
"Une telle mesure garantirait que toutes les exportations vers SMIC feraient l'objet d'un examen plus complet", a déclaré un porte-parole du ministère de la défense.
La Chine a mis beaucoup d'accent sur le développement de son industrie nationale des semi-conducteurs, un mouvement qui a pris de l'ampleur dans le contexte de la guerre commerciale avec les États-Unis.SMIC, qui fabrique des puces, est cependant toujours en retard sur ses concurrents comme TSMC de Taiwan et Samsung Electronics de Corée du Sud en termes de technologie.
La menace contre le cloud chinois se précise.
Dans Conteneurs, legos et web 3.0 et Vers la 6 G et au delà j’ai tenté de montrer, en tirant un parallèle avec la révolution des conteneurs dans les années 50, comment la source de pouvoir actuelle était la maitrise du cloud, car ce dernier soutient l’ensemble du système d’information d’un pays, public comme privé, incluant les communications téléphoniques. L’extension du cloud a l’international permet d’augmenter sa zone d’influence. Les Etats-Unis ont gagné la première manche avec AWS, Azure et Google Cloud Platform…mais la Chine s’est éveillée avec Alibaba et Tencent…et le monde commence à trembler…
Sans un cloud national digne de ce nom, un pays n’existe plus sur l’échiquier mondial. C’est pourquoi la bataille technologique que se livrent les Etats-Unis et la Chine va probablement franchir un nouveau cran, pour toucher le cloud, source du pouvoir aujourd’hui, lequel cloud est alimenté par la puissance des microprocesseurs.
La Chine se fait de plus en plus menaçante avec « l’annexion » de Hong Kong, s’attirant les foudres de l’administration Trump: dans un premier temps, elle cherchait surtout à censurer ce qui pouvait être dit à l’intérieur de son territoire. Puis, elle a cherché à influencer ce qui pouvait être dit à l’extérieur en faisant pression sur les sociétés occidentales ayant des intérêts en chine. C’est ainsi que la NBA en octobre 2019, ayant approuvé le tweet d’un de ses joueurs en soutien de Hong Kong , s’est vue interdire de retransmission TV en Chine avec une perte potentielle de $400 millions: cela fait cher le tweet. Enfin, la dernière menace est d’utiliser des algorithmes pour faire la promotion du régime chinois à l’étranger (TikTok, WeChat) et ainsi minimiser le changement de régime à Hong Kong. La guerre d’influence est de plus en plus marquée ainsi que la réaction des Etats-Unis. Celle-ci s’est focalisée pour l’instant en grande partie sur Huawei, le champion chinois des télécommunications. Les télécommunications sont en effet un moyen très efficace de surveillance d’une nation. Il s’est agi pour les Etats-Unis d’empêcher les stations 5G de Huawei d’envahir non seulement les Etats-Unis mais le reste du monde. C’est pourquoi, non seulement le matériel Huawei a été proscrit aux Etats-Unis mais également l’incorporation de technologie américaine dans ses produits. Progressivement, l’étau se resserre sur Huawei, mais les Etats-Unis n’ont pas donné le coup de grâce par crainte de représailles potentielles.
Huawei contre Etats-Unis
Il y a un an, l’administration Trump a interdit la vente de technologies américaines à Huawei. C’est une manière de viser l’appareil de surveillance chinois. C’est ainsi que ni Qualcom, ni Google Android ne pouvaient plus équiper le matériel Huawei. Au mois d’avril, le département du commerce des Etats-unis a établi une nouvelle règle interdisant la vente de puces fabriquées par des sociétés utilisant de la technologie américaine à Huawei. TSMC, fonderie de Taiwan, dont 15 % du chiffre d’affaires provient de Huawei se trouvait donc dans l’impossibilité de lui vendre ses puces, car TSMC utilise de la technologie américaine, comme tous les fabricants et designers de puces: Synopsis et Cadence pour le design, Lam Research et Applied Material pour la fabrication. Cependant, la règle laissait à Huawei une porte de sortie: faire fabriquer ses puces par Mediatek, une société taïwanaise qui sous-traitait la fabrication à TSMC, une autre société taïwanaise. Mediatek n’utilisait pas directement de technologie américaine et donc n’était pas concernée par la règle. Fin août 2020, le département du commerce ferme cette option interdisant maintenant l’incorporation directe et indirecte de technologie américaine pour les ventes de puces à Huawei. Mediatek ne peut plus servir d’écran. Les Etats-Unis pour autant se gardent bien encore de bloquer complètement Huawei. Cette dernière a encore la possibilité d’obtenir une permission spéciale octroyée par Wilbur Ross, le représentant au commerce pour s’équiper en puces fabriquées par TSMC. Il est intéressant de comprendre pourquoi les Etats-Unis hésitent dans le cas de Huawei alors qu’ils ont pris une option plus décisive dans le cas de TikTok, imposant une rachat de l’application américaine par un acteur américain.
Semi-conducteurs: les leviers respectifs
Les Etats-Unis ont perdu le leadership sur la fabrication de semi-conducteurs, au profit de TSMC. J’ai retracé l’historique et les explications dans mon article: puces, Intel est-il hors jeu ?
Il y a une dizaine d’année , les producteurs de puces étaient légion: Intel, AMD, IBM , Panasonic, Samsung, Texas Instrument, Fujitsu, Toshiba, ST et Renasas concevaient et fabriquaient leurs puces en 45 nm, alors que TSMC et UMC ne faisaient que le travail de fonderie. L’intégration a largement sauté pour deux raisons:
Intégrer conception et fabrication permet de faire des produits très performants mais la conséquence est le manque de souplesse. Quand la demande de variété l’emporte sur la demande de performance, l’intégration atteint sa limite et peut se faire déplacer. On a vu dans l’offensive Cybertruck combien la plate-forme Tesla contraignait les modèles (par exemple le modèle X devait reprendre le bloc moto propulseur du modèle S, ce qui n’est pas idéal pour un SUV).
La fragmentation de la demande est de plus en plus difficile à amortir sur des fonderies (usines à puces) aux besoins en capitaux de plus en plus énormes (inversement proportionnel à la taille du transistor). Le prix d’une fonderie dernière génération est de près de $ 15 milliards. L’intégration demande un volume considérable que peu de concepteurs de puces peuvent se permettre, seulement les généralistes.
Les producteurs intégrés ont dû lâcher: AMD le premier qui a fait un spin off de son outil de fabrication Global Foundries en 2009, lequel a repris deux ans plus tard la fonderie d’IBM…
A part Intel et Global Foundries (ex AMD), les fonderies sont maintenant en Asie et plus spécifiquement à Taiwan, TSMC y fabriquant 50 % de l’ensemble des puces, loin devant Samsung (18 %). Et TSMC a pris une avance technologique sur Intel. Ce qui fait que les Etats-Unis sont étrangement dépendants de TSMC et de Taiwan, un pays dont la Chine revendique la possession. Empêcher la Chine d’avoir accès directement et indirectement à la technologie américaine en matière de semi-conducteurs est l’option nucléaire, car son industrie du cloud serait menacée, une pièce technologique essentielle aujourd’hui: la Chine serait obligée de fabriquer ses propres puces alors qu’elle a un retard considérable. Elle importe $ 300 milliards de semi-conducteurs tous les ans ! Le dommage causé à l’industrie technologique chinoise dans son ensemble serait considérable, provoquant de sa part de fortes rétorsions (interdiction de ventes de produits et services d’Apple sur leur territoire par exemple). Au pire, elle pourrait tenter une action sur Taiwan et nationaliser TSMC. Les Etats-Unis riposteraient probablement en interdisant aux équipementiers occidentaux de vendre à TSMC, rendant inopérant sa nationalisation, mais aussi mettant en péril toutes les sociétés américaines lui confiant la fabrication (Nvdia, AMD, Apple et les opérateurs cloud). Les dommages seraient considérables pour les deux puissances. C’est pourquoi les attaques américaines et réponses chinoises ne peuvent être que très graduées. Les Etats-Unis s’attaquent pour l’instant surtout à Huawei (avec des portes de négociation) et non pas aux géants du cloud chinois en leur interdisant l’accès aux puces occidentales, ce qui pourrait retarder considérablement les avancées technologiques chinoises. Mais la menace est claire pour la Chine.
Les Etats-Unis essaient d’assurer leurs arrières
Avant d’attaquer la Chine en bloquant la vente de puces avec technologie occidentale ou juste de leur montrer que c’est possible, les Etats-unis doivent retrouver une capacité de fabrication crédible. Intel est encore largement dominant sur les CPU (avec l’architecture de jeu d’instruction x86) mais plus marginal sur les GPU où Nvdia domine et fait fabriquer par TSMC, société taïwanaise, sous licence ARM. Les CPU ARM, fabriqués pour la plupart à Taiwan commencent à mordre sur les serveurs. La marginalisation des Etats-Unis sur la fabrication est en marche, le pays ayant pris conscience très tard de cet enjeu stratégique. D’après Bill Janeway:
L'une des principales caractéristiques de la deuxième vague de mondialisation a été la délocalisation généralisée et délibérée de la base manufacturière américaine de haute technologie, principalement (mais pas exclusivement) vers la Chine. Des semi-conducteurs aux cellules solaires en passant par les écrans plats, le matériel de la révolution numérique n'est plus fabriqué en Amérique. Oui, la première icône de la Silicon Valley, Intel, fabrique toujours ses microprocesseurs aux États-Unis, mais c'est l'exception qui confirme la règle ; même Intel est à la traîne derrière le premier fabricant de puces du monde, Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC).
Dans ce contexte, il ne sera pas facile d'élaborer une stratégie cohérente pour rétablir une capacité de production compétitive à l'intérieur des frontières américaines. Si TSMC a récemment annoncé son projet d'ouvrir une usine en Arizona, le fait que sa production ne sera pas à la hauteur et ne sera produite que selon des spécifications qui seront obsolètes d'ici 2024, selon la feuille de route de l'entreprise, donne l'impression qu'il s'agit d'un simple coup politique.
TSMC a agi sous la pression des autorités américaines qui menacent son gros client Huawei, mais comme le montre Bill Janeway, cette manoeuvre cherche surtout l’effet d’annonce, puisque quand la fonderie 5 nm sera construite en 2024, TSMC sera déjà au 3 nm ! Le Sénat s’est réveillé en proposant un plan de $22 milliards pour l’industrie des semi-conducteurs: The Chips for America Act. On peut raisonnablement se demander si ce plan n’est pas un emplâtre: $22 milliards est environ le coût d’une fonderie moderne (3 nm). Il en faudrait beaucoup plus pour que les Etats-Unis retrouvent leur suprématie. Cette somme est à comparer aux $1,4 T que la Chine souhaite investir dans son industrie des semi-conducteurs d’ici 5 ans. Les Etats-Unis montrent cependant la direction et la Chine doit agir vite pour combler son retard.
La stratégie chinoise
Un microprocesseur performant repose sur deux savoir faire complexes: 1) l’architecture du jeu d’instruction (Instruction Set Architecture ou ISA) et 2) le processus de fabrication:
L’architecture du jeu d’instruction indique au microprocesseur comment effectuer les calculs, des plus simples comme les additions et soustractions aux plus complexes comme les multiplications matricielles. Elle ordonne et simplifie les instructions de manière à ce qu’elles soient exécutés de la manière la plus fiable et rapide possible. Cette fonction est vitale. Les deux principaux types d’ architecture sont la technologie CISC (complex instruction set computing), dont Intel est le leader avec son ISA x86 et la technologie RISC (reduced instruction set computing), adoptée par ARM et qui équipe la plupart des puces embarquées. Comme son nom l’indique, la technologie RISC simplifie les calculs et consomme moins d’énergie au prix d’une précision moins élevée que la technologie CISC. Intel est américain, ARM est anglais mais appartient à Softbank, les chinois n’ont aucune propriété intellectuelle en la matière.
Le processus de fabrication permet d’augmenter la densité de transistors dans une puce, et ainsi la puissance et les économies d’énergie notamment grâce à la finesse de la gravure. TSMC est devenu le champion incontesté, ayant rattrapé Intel avec son process 7 nm et prévoyant rapidement de passer à 5nm puis 3 nm. La principale fonderie chinoise récemment introduite en bourse est SIMC, qui grave au mieux en 14 nm. Elle est suivie par deux autres: Quanxin Integrated Circuit Manufacturing (QXIC), et Wuhan Hongxin Semiconductor Manufacturing Co (HSMC).
Les deux savoir faire sont complémentaires car l’architecture doit anticiper les progrès du process de fabrication, cela fait que la Chine est particulièrement démunie pour fabriquer des microprocesseurs performants. La Chine n’est pas très avancée en fabrication mais le plus problématique est le jeu d’instruction pour lequel elle n’a aucune propriété intellectuelle intéressante et est soumise au bon vouloir des Etats-Unis (Intel) et du Royaume Uni (ARM).
La Chine doit agir car ses opérateurs cloud (l’infrastructure internet de demain) sont menacés. Comment feront Alibaba et Tencent s’ils n’ont plus accès aux CPU et GPU d’Intel, ARM et Nvdia et au process TSMC ? Ils ont déjà une bonne part du marché mondial du cloud:
Et prévoient des investissements massifs dans le cloud ces prochaines années: $28,2 milliards pour Alibaba dans les trois ans, $70 milliards pour Tencent dans les 5 ans. Un cloud performant est celui qui peut subir une surcharge de demande de calcul. Ce qu’on paie est l’assurance de ne jamais être à court et subir un plantage, d’où les forts investissements nécessaires en puissance de calcul. Comme exposé dans mon article Vers la 6G et au delà, avec la banalisation de l’équipement des réseaux téléphoniques, le cloud va devenir le centre névralgique du pouvoir de surveillance. Les opérateurs cloud sont en mode conquête à tout prix. Un objectif de la Chine est de s’étendre au moins en Asie: leurs clouds sont très puissants, en particulier pour gérer des transactions financières. Un blocus sur les microprocesseurs par les Etats-Unis serait très dommageable à cette stratégie…mais possible.
Le premier problème à régler est l’outil de fabrication, si TSMC est victime d’une “guerre nucléaire” entre les deux puissances.
La fonderie
Le premier problème pour les chinois est d’avoir un outil de fabrication ad hoc. les deux fonderies les plus performantes sont SMIC et HSMC dont les dirigeants sont issus de TSMC. Les deux sociétés gravent encore en 14 nm quand TSMC grave en 7 nm: leurs puces ont un mauvais compromis puissance/consommation énergétique. Ce n’est cependant pas un gros problème pour le cloud: l’impératif est la puissance, peu importe qu’elle coûte cher en énergie (préoccupation secondaire). La qualité principale d’un cloud est la résistance au stress de capacité de calcul, c’est ce qu’il vend à ses clients. Dès lors un opérateur cloud, non contraint par l’espace peut aligner des puces même si elles ne sont pas de toute dernière génération. De plus, la Chine a une stratégie intéressante pour combler son retard: débaucher en masse des ingénieurs de TSMC, ce qu’elle a fait en août (100 ingénieurs et managers ont été recrutés à 2,5 fois leur salaire précédent). On peut donc imaginer que la Chine comble une partie de son retard. Les Etats-Unis peuvent cependant gêner leur progrès technologique en refusant de leur vendre de l’équipement de fabrication avancé (la fameuse menace de l’article cité ci-dessus).
Le noeud gordien est l’architecture du jeu d’instruction. La Chine cherche donc à combler son retard sur ce qui constitue la partie vitale du microprocesseur. La technique classique de la Chine est de copier, mais démonter un microprocesseur ne suffit pas pour en copier l’architecture. La Chine a trouvé un autre moyen: participer au mouvement open source.
Risc V: architecture open source
Pour la Chine, le mouvement open source est une aubaine. Ce dernier a été conçu par trois hommes: Richard Stallman, Eric Raymond et Linus Torvalds. Ces trois hommes étaient des hackers, au moins dans l’esprit pour le troisième, travaillaient pour le plaisir, par pure passion et ne voulaient pas se soumettre à une quelconque autorité. Le principe de l’open source est que tout le monde peut contribuer à des projets qui n’appartiennent à personne. Le moteur de l’open source n’est pas l’argent (au moins dans sa version initiale) mais le statut social. On contribue par souci de reconnaissance par ses pairs, pour être quelqu’un. Les premiers projets étaient d’ampleur et participatifs, notamment GNU, Linux ou Git. Peu à peu l’open source dérive vers des objectifs moins purs:
des sociétés amènent des projets sur le marché pour qu’ils deviennent la référence, puis en font leur version améliorée. Google est le champion de cette optique (Chrome, WebRTC, Tenserflow, etc.)
la recherche de statut social est généralement satisfaite par des contributions créatives aux projets, des initiatives. Si bien qu’on a deux catégories de développeurs: les créatifs d’un côté et les utilisateurs (de plus en plus nombreux) qui cherchent à exploiter les projets à des fins personnelles. Or les projets nécessitent une maintenance importante, leur administration est lourde (réponse aux différentes requêtes, acceptation des contributions, évolution du projet). C’est la partie ingrate qui intéresse peu de monde. Cette pénurie est exploitée commercialement: les sociétés SAAS proposent généralement la possibilité de s’abonner à leur service et de bénéficier ainsi de tout le service d’administration du logiciel et des mises à jour. C’est la partie la plus croissante de leur offre.
Enfin certains cherchent avant tout à copier et a exploiter le travail des autres. AWS est dans cette catégorie quand il propose une offre concurrente à MongoDB, la base de données documentaire. La Chine est également dans ce cas avec RISC V.
RISC V est une architecture de jeu d’instruction aux spécificités ouvertes. Aucun pays ne peut se l’approprier. Comme beaucoup de projets open source, RISC V est né aux Etats-Unis, à l’université de Berkeley en 2010. L’idée était de proposer une architecture complètement ouverte en opposition aux architectures fermées d’Intel et ARM. Cela n’est pas sans rappeler Linux, projet construit en partie en opposition de Windows. Les chinois en envahi les instances dirigeantes de la fondation RISC V: 4 membres principaux sur 6 sont chinois (Alibaba, Huawei, RIOS lab, the Institute of Computing Technology of the Chinese Academy of Sciences). Opportunément, le siège de la fondation a émigré en Suisse en 2019…Le problème est que les chinois sont plus des copieurs que des contributeurs. Cela va poser un problème car l’architecture RISC V, simplifiée par rapport à celle d’Intel est plutôt destinée à des calculs simples (additions, soustractions, etc.) plutôt qu’à des opérations complexes comme la multiplication matricielle ou les dérivées partielles. RISC V est plutôt destiné à des puces embarquées aux spécificités réduites plutôt qu’à la conception de CPU généralistes. Pour en arriver là, il faudra franchir un pas et organiser un véritable projet open source, où contributeurs et utilisateurs sont équilibrés. La technique d’Alibaba, qui vient de sortir son premier microprocesseur généraliste Risc V à destination de son cloud, le XT 910, est de prendre plutôt que de donner. Cette stratégie n’est pas jouable à terme, car le nombre de contributeurs va baisser s’il n’y a pas de course au statut social.
La Chine culturellement ne comprend pas l’open source. Elle a tendance à considérer le mouvement comme une manne venue du ciel, un terreau idéal pour copier gratuitement, sans l’interférence de puissances occidentales. Son raisonnement est: copions tant qu’il est temps. Dès qu’elle le peut, elle cherche à protéger ses acquis. Preuve en est la façon dont elle perçoit la plate-forme de développement open source. Plutôt que de contribuer à Github, la principale plate-forme mondiale, de loin, elle préfère sponsoriser sa propre plate-forme nationale, Gitee, une pâle copie de Github avec beaucoup moins d’effet d’échelle.
La Chine fait probablement le calcul que les Etats-Unis pourraient bien, même si ce n’est pas dans leur culture et leur intérêt (sans open source, le cloud qu’ils dominent n’existerait pas), fermer les vannes de l’open source en leur bloquant l’accès de Github (acheté par Microsoft en 2018). Une telle bombe aurait des répercussions très fortes sur le mouvement mais la Chine ne peut pas complètement l’exclure. Elle fait une course contre la montre. Pour ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, elle cherche aussi à créer son propre standard propriétaire: Loongson.
Loongson
Inquiète qu’on lui coupe le robinet de l’open source, la Chine mise sur une ISA propriétaire, clamant qu’elle va centrer ses efforts sur l’architecture Loongson pour s’affranchir des standards occidentaux propriétaires x86 et ARM. Loongson est le fruit d’un partenariat public privé lancé en 2001, c’est une architecture qui n’est ni x86, ni ARM mais dérivée de MIPS, un petit concurrent un peu oublié. L’avantage de MIPS est la simplicité de l’architecture…l’inconvénient est que la société qui la promeut est américaine…Longsoon a de surcroît 5 ans de retard par rapport à ses concurrents occidentaux, après 19 ans d’existence et est plus adapté aux microprocesseurs embarqués qu’à ceux équipant les serveurs et nécessitant de la puissance avant tout. Le microprocesseur purement chinois reste un mythe.
Et c’est le paradoxe de la situation actuelle: la Chine doit se tourner vers l’open source et jouer le jeu, c’est à dire contribuer au lieu de capter, pour assurer l’expansion de son cloud. Ce n’est vraiment pas dans sa culture. Les Etats-Unis doivent faire une entorse à l’open source qui leur a si bien réussi et qu’ils dominent effectivement, s’il veulent restreindre le pouvoir technologique de la Chine. Là aussi, ils doivent renoncer à leur culture. La Chine doit s’ouvrir et les Etats-Unis se fermer…La première aura-t-elle le temps de se réformer avant que les seconds se décident à rompre avec ce qui a fait leur succès ? De là pourrait naître un nouvel équilibre des forces .
Bonne semaine à tous,
Hervé