Hervé ‘s newsletter est focalisée sur l’analyse de l’avantage concurrentiel et des stratégies qui s’y rattachent
Munis de la grille d’analyse développée dans notre article précédent , nous pouvons émettre un avis sur différentes affaires pratiquant l’abonnement. En résumé une offre d’abonnement pour gagner des clients de manière virale doit répondre aux critères suivants:
créer de l’abondance avec une ressource rare,
dégager une fonction d’utilité la plus différenciante possible à partir de l’abondance créée, l’exclusivité de la ressource ayant été détruite
garantir cette fonction d'utilité à un coût raisonnable : l’abonnement est une garantie
Plus précisément, le degré d’attractivité d’une offre d’abonnement dépend :
de l’écart entre la rareté du bien/service produit et l’abondance qui en est proposée. Plus cet écart est important plus la société qui arrive à réaliser cette alchimie crée de la valeur
de l’art de transformer l’abondance en fonction d’utilité. A partir du moment où la production initialement exclusive devient abondante, la société doit trouver sa différentiation ailleurs, idéalement dans une fonction de l’objet. Plus cette tâche sera efficacement accomplie, plus la société créera de la valeur. Clay Christensen a développé dans son livre competing against luck cette théorie de la tâche à accomplir: pour lui, les gens n’achètent pas un bien ou un service, ils le louent pour accomplir une fonction.
Enfin de la capacité à garantir un tarif bas pour la réalisation de cette tâche. Ce sera possible quand le coût marginal pour créer de l’abondance est le plus faible possible. La mutualisation a alors un effet très sensible sur le coût moyen et donc le prix de l’abonnement. Les biens digitaux sont très adaptés à l’abonnement, à l’inverse des biens à fort coûts variables.
Quelques exemples pratiques nous permettront de voir comment les sociétés se mesurent par rapport à ces trois critères. Nous apporterons une note sur leur modèle économique (pas sur leur prix, management, etc.). Nous commençons par deux sociétés s’appuyant sur une ressource exclusive par excellence: leur parc immobilier:
AWS est excellent sur les trois critères.
AWS part d’un positionnement immobilier unique composé de parcs de 50 000 à 80 000 serveurs localisés dans 70 pays, couvrant une surface de 1300 ha, le tout relié par un réseau de câble à haute capacité. Seuls Google et Microsoft peuvent rivaliser. De ce parc, AWS crée une abondance de puissance de calcul sans égale. Une société n’a plus besoin de détenir ses serveurs, l’offre d’AWS est supérieure en tout point. L'écart entre la rareté du parc constitué et l’abondance fournie est énorme.
AWS propose un service simple: répondre à tous vos besoins informatiques (du stockage à la programmation, en passant par les bases de données, ERP, CRM, etc.). L’avantage concurrentiel d’AWS est sa capacité à créer constamment de nouvelles fonctionnalités pour répondre aux besoin de ses clients entreprises. La fonctionnalité n’est peut être pas parfaite mais elle existe avant que les concurrents aient réagi. L’abondance est ainsi transformée en service différentié, plaçant AWS loin devant Microsoft avec $ 30 B de chiffre d’affaires annuel.
Là aussi un sans faute: les ordinateurs peuvent être facilement mutualisés. Le coût marginal d’un nouvel utilisateur est faible sur le hardware (car son utilisation de capacité est repartie sur l’ensemble du parc) et nul sur le software. AWS peut tirer parti de sa position de premier entrant dans le cloud pour avoir un net avantage sur le coût moyen de son offre, disposant de plus d’utilisateurs rapportés à son nombre de serveurs.
Note 10/10
WeWork: intéressant à regarder, car la société comme AWS monétise son parc immobilier. Le récent S1 détaille le business model:
Nous offrons à nos membres un accès flexible à de beaux espaces, une culture d'inclusion et l'énergie d'une communauté inspirée, tous reliés par notre vaste infrastructure technologique. Nous croyons que notre entreprise a le pouvoir d'améliorer la façon dont les gens travaillent, vivent et grandissent. Au début de 2010, nous avons ouvert nos portes à notre première communauté de membres au 154 Grand Street à New York. Au début, nos membres étaient principalement des pigistes, des jeunes entreprises et des petites entreprises. Au cours des neuf dernières années, nous avons rapidement étendu nos activités tout en honorant notre mission. Aujourd'hui, notre plate-forme mondiale intègre l'espace, la communauté, les services et la technologie dans plus de 528 sites répartis dans 111 villes dans 29 pays. Nos 527 000 membres représentent des entreprises mondiales de divers secteurs d'activité, y compris 38 % des entreprises figurant au palmarès Global Fortune 500. Nous nous engageons à offrir à nos membres partout dans le monde une meilleure journée de travail pour moins cher.
Le parc immobilier de WeWork a un emplacement unique dans les grandes villes. La société cherche alors à créer l’abondance à partir de ce parc, ce qui n’est pas une mince affaire. AWS y arrive grâce notamment à la puissance de ces câbles qui abolit les distances. WeWork uniformise l’espace de travail de manière à ce qu’il soit interchangeable. Les avancées du cloud notamment permettent le plug & play. Une entreprise peut loger ses salariés dans n’importe quel espace et reprendre le travail là où elle l’avait laissé. En étant placé au cœur des grandes villes, la société essaie également de banaliser la localisation, mais c’est plus difficile du fait de l’unicité de chaque emplacement. Une entreprise ne s’installe pas indifféremment dans tel ou tel endroit. L’abondance est plus facile à créer avec un parc d’ordinateurs qu’avec l’espace. Première difficulté pour WeWork.
A partir de cette abondance (relative), WeWork propose une solution simple aux entreprises: gérer tous ses besoins immobiliers au fur et à mesure de leur évolution. C’est sa fonction d’utilité: procurer à l’entreprise le nombre exact de postes de travail à l’endroit qu’elle le souhaite au moment où elle le souhaite. Plus besoin d’investissements coûteux en infrastructure, plus besoin de direction immobilière ! La société a plus d’emplacements que ses concurrents, donc présente une offre plus attractive.
La où le bas blesse est la mutualisation. Elle se limite à à chaque immeuble qu’il convient de remplir au mieux (comme tout immeuble locatif). On ne peut pas envoyer un groupe de salariés n’importe où, pour remplir de l'espace de travail, comme on peut le faire avec une charge informatique. Le modèle AWS est là encore bien supérieur. Cependant, le modèle économique de WeWork permet de faire baisser le coût moyen par salarié comme le montre le graphique suivant issu du S1:
La standardisation de l’espace de travail et l’ajustement précis au nombre de salariés permet de réduire le coût global pour l’entreprise
Note 6/10
Netflix: la société transforme un bien digital, facilement reproductible à l’inverse de l’immobilier. L’exclusivité repose sur le copyright et la volonté de son créateur de restreindre l’offre.
La société est partie d’une offre potentiellement abondante Var ne lui appartenant pas, pour la rendre plus accessible encore par le streaming. En effet, au démarrage de son offre de streaming, Netflix avait passé un accord avec Disney pour utiliser son catalogue. Cet accord était forcément limité dans le temps, fragilisant la position de Netflix. Ne maîtrisant pas l’exclusivité de son offre, Netflix avait une réelle faiblesse, risquant de voir des concurrents avec les mêmes films ou de perdre son catalogue. Créer de l’abondance avec de l’abondance n’est pas une réelle stratégie gagnante et Netflix l’a vite compris, se lançant au pas de charge dans les productions exclusives. Elles représentent maintenant environ la moitié des $ 15 B de dépenses annuelles en films de la société.
Netflix excelle à procurer à ses abonnés tous leurs besoins en TV. L’algorithme de recommandation présente les films et séries les plus susceptibles de plaire avec des affiches personnalisées attractives. La technologie de streaming de Netflix dépasse tous ses concurrents. L’objectif, comme celui de la TV traditionnelle d’antan est de maximiser les heures passées à regarder les programmes Netflix. Netflix représente de plus en plus, pour 150 millions d’abonnés LA TV.
L’accumulation d’abonnés fait qu’un film coûte moins cher par spectateur que pour toute plateforme concurrente: le coût marginal par abonné est faible, ce qui a pour effet de diminuer le coût moyen de l’abonnement à chaque nouvel abonné. Netflix redonne une partie de cet avantage aux abonnés en pratiquant des prix bas, ce qui attire de nouveaux abonnés, etc. Cet effet boule de neige est maintenant quasi impossible à contrer, même par Disney obligé de fusionner avec Fox pour rivaliser.
Note 8/10
Spotify: essaie de faire avec la musique, ce que fait Netflix avec la TV. Le problème est que les labels détiennent le catalogue historique, dont il est impossible de se passer.
Spotify n’a malheureusement aucune exclusivité sur son offre qui appartient à Sony, Universal et Warner. La société crée de l’abondance au profit des labels. Son travail de transformation est nul, car l’offre de départ est indifférenciée (proposée également par Amazon Music, Apple Music, etc.) Spotify essaie de diversifier son offre en lançant de nouveaux artistes ou achetant des sociétés de podcast, mais ces ressources sont trop marginales par rapport à l’abondance de son offre musicale non exclusive.
Spotify essaie de contrer ce manque d’avantage de départ en gagnant le maximum d’abonnés par une application très conviviale, un algorithme de playlists de premier plan, etc., l’idée étant que Spotify devienne La Radio comme Netflix La TV. Effectivement, Spotify a déjà 235 millions d’auditeurs mensuels, en progression de 30 % d’une année sur l’autre. La société espère qu’en accumulant des abonnés à la Facebook, elle finira par avoir un pouvoir sur les labels. Rien n’est moins sûr, car Apple et Amazon, sinon Tencent, ont eu la même idée.
Là encore Spotify est en désavantage par rapport à Netflix. Le coût marginal d’un abonné est significatif puisque la société doit reverser 70% de ce qu’elle en perçoit aux labels. Cette facturation au variable tue littéralement Spotify. Netflix lui achète les films/séries pour une somme fixe, ce qui réduit a quasi-néant le coût marginal d’un nouvel abonné. L’avantage de l’effet d’échelle est alors bien plus net.
Note: 4/10
Apple: ayant un modèle économique hybride, la société est très intéressante à étudier. La société vend du hardware différencié par IOS et des services avec abonnement. Pourquoi l’un en vente, les autres en « location » ?
Le modèle économique d’Apple n’est pas de fournir de l’abondance mais de l’exclusivité. Le modèle est donc orthogonal à celui des sociétés internet qui cherchent à procurer de l’abondance. Apple va jouer sur la rareté, le temps de mise à disposition du matériel, etc., et créer des frictions volontaires. Or d’après la loi vue dans notre article précédent , plus un bien est rare, plus il est intéressant de le posséder pour en tirer une rente plutôt que de le vendre:
Quand IBM était seul à produire des ordinateurs, il avait adopté un modèle d’abonnement par exemple. C’est la concurrence qui l’a fait changer. Le moyen pour Apple de réconcilier cette loi avec son modèle économique est de proposer des services sans friction à partir d’appareils Apple. L’abondance est réservée aux détenteurs d’Iphones, d’Apple Watch, d’airpods au travers des services d’Apple. Ainsi on transforme l’exclusivité en abondance dans l’univers Apple
La fonction d’utilité créée par Apple est la fluidité: grâce à l'intégration d’IOS et des services tels qu’ApplePay, Apple Music, cloud aux différents produits proposés par Apple (IPhone, Watch, AirPods, IPad), l'expérience Apple est nettement supérieure à celle d’Android et les gens sont prêts à le payer cher. L’abonnement renforce la fidélisation à la marque (99% de fidélité à l’Iphone)
Les services ont pour la plupart un coût marginal faible car ce sont des biens digitaux. Le peu de chiffres dont nous disposons montre une hausse des marges qui atteignent maintenant 64%. Apple a déjà 420 millions d’abonnés et vise les 500 millions dans un an. Apple en bon agrégateur tire profit de sa base installée (1,4 millard d’appareils) pour faire payer les fournisseurs (ex 30% du chiffre d’affaires sur l’App Store).
Note 9/10
Peloton: ressemble à Apple dans la mesure où cette société vend des produits (vélos d’appartement et tapis roulants connectés) ainsi que des abonnements à des entraînements en ligne. Mais Peloton raisonne à l’inverse d’Apple: elle vend des abonnements différenciés par du hardware. Chez Apple, IOS sert à vendre l’Iphone, chez Peloton, le vélo connecté sert à vendre l’abonnement.
Peloton transforme un service compliqué à obtenir (faire du sport en collectif nécessite une salle, un professeur, une date et de la place) en service abondant: par les écrans dotant les vélos/tapis et le logiciel propriétaire qui y est installé, l’abonné peut accéder à une multitude de cours en différé ou en direct, en réseau avec ses amis. Peloton essaie d’abolir le temps et l’espace pour fournir de l’abondance (on retrouve WeWork et AWS). Il y a là une réelle création de valeur.
Cette abondance est transformée en fonction d’utilité: Peloton est la solution pour lutter contre la procrastination et rester en bonne santé. L’intégration du software (permettant d’être en réseau, donc motivé), des programmes (facilitant l’accès au type de sport qu'on aime) et de l’équipement (qui occupe une bonne place dans l’appartement, qu’on ne va pas changer avant longtemps), différencie Peloton de solutions modulaires.
Le coût marginal d’un abonné est très faible, le service par abonnement fourni étant digital (vidéos) et l’équipement présentant des marges brutes de 43% , soit 13% de plus que la division produits d’Apple. Le coût d’acquisition d’un nouvel abonné est nul car les frais de marketing sont couverts par la marge sur les produits. De ce fait, Peloton a toute possibilité de pratiquer un prix bas pour l’abonnement et le rendre viral. C’est ainsi que Peloton affiche une croissance de 100% !
Note: 9/10
disclosure: CAP WEST EQUITIES a des positions sur Amazon, Netflix et Apple
Mon prochain article approfondira la question de la pertinence d’un modèle d’abonnement au travers d’autres exemples comme Uber, AirBnb, MongoDB, Google, etc.