Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Influencia, le 21 novembre 2021:
Aux Etats-Unis, une DAO – pour Decentralized Autonomous Organization – a réuni plus de 40 millions de dollars afin d’acheter aux enchères un exemplaire de la constitution américaine de 1787… Ce montant n’a pas suffi pour remporter l’enchère : alors que le document était initialement évalué à 20 millions de dollars, il a été vendu 43,2 millions de dollars… L’opération a néanmoins permis de donner un coup de projecteur inédit sur ces mystérieuses organisations en ligne qui opèrent de façon décentralisée et autonome.
En seulement quelques jours, ConstitutionDAO a réuni plus de 40 millions de dollars – ou plus de 9 000 ethers, plus exactement, puisque le paiement s’effectue en cryptomonnaie – auprès de 17 437 donateurs. Le but ? Racheter l’un des treize premiers exemplaires de la constitution américaine encore en circulation – et l’un des seuls à être dans le domaine privé – lors d’une vente aux enchères orchestrée par Sotheby’s, afin de « le mettre dans les mains du peuple ».
L’enchère n’a finalement pas été remportée par ConstitutionDAO, puisqu’un acheteur anonyme a déboursé 43,2 millions de dollars : les contributeurs ont été remboursés –action. Malgré l’échec, ce mouvement marque néanmoins un tournant important, en illustrant une fois de plus la force de mobilisation du web…
ConstitutionDAO est un exemple parmi beaucoup d’autres de DAO – pour Decentralized Autonomous Organization – un nouveau type de structure décentralisée qui se développe sur internet autour de projets ou d’intérêts spécifiques. Avec des membres (souvent anonymes) répartis sur toute la planète, des modes de gouvernance décentralisés et une indépendance vis-a-vis des gouvernements et du secteur privé, ces organisations se développent autour de projets aussi divers que les cryptomonnaies, les jeux vidéos, l’investissement, les projets artistiques ou les médias.
Le principe de la société par action (à responsabilité limitée) est de réunir capital et travail en vue d’un objectif économique. Les États reconnaissent la création d’une personne juridique (morale), distincte des personnes qui contribuent à lui faire réaliser son objectif. La société par action a été et reste un formidable moteur du capitalisme car elle créée une asymétrie entre le profit (illimité) et le risque (limité au capital investi et à la perte de son emploi). L’essor du commerce maritime et des échanges internationaux lui doit beaucoup. Campden FB:
L'EIC (East India Company) a été fondée en 1600 par un groupe de 218 marchands à qui Elizabeth Ier a accordé le monopole du commerce à l'est du cap de Bonne-Espérance. Elle a donné à ses directeurs une responsabilité limitée pour les encourager à parrainer le commerce avec l'est, en sachant qu'ils ne feraient pas faillite si des navires étaient perdus en mer ou anéantis par des maraudeurs…Adam Smith dénonçait l'EIC comme un monopole sanguinaire. Les directeurs se payaient généreusement et étaient généralement considérés comme corrompus. Mais lorsque la famine a anéanti un tiers des recettes fiscales du Bengale, l'EIC n'a pas pu joindre les deux bouts.
Force est de constater que le système de la société par action a bien fonctionné: la capitalisation boursière mondiale est de plus de $100 trillions et cela n’inclut pas le secteur non coté ! Cette asymétrie entre risque et profit, au cœur du dispositif, crée des tensions entre les parties prenantes, capital, travail, clients et fournisseurs. Le capital est maître, du moins en théorie et tente d’imposer sa loi: n’avoir en face d’un chiffre d’affaires potentiellement infini que des charges fixes ne mettant en risque que le capital investi. La société par action est structurée en ce sens:
Elle a une fâcheuse tendance à prendre de la dette car elle est sans recours sur son actionnaire et permet de maximiser le ROE, si tout va bien. L’abus de dette sans recours a été l’origine de nombreuses paniques et crises financières au cours de l’histoire.
La société par action achète le temps de ses salariés, nivelant bons et mauvais, pour cantonner la masse salariale et gagner un levier.
La société par action cherche à instaurer une situation de monopole pour bénéficier d’un préciput sur ses clients. On l’a vu dès les premières grandes corporations comme la East India Company et les manufactures françaises. La technique habituelle est de prendre le contrôle d’une ressource rare pour devenir un point de passage obligé pour ses clients: pas de risque, que du profit potentiel…
Plus récemment, avec le développement du software puis surtout de l’internet, les corporations ont trouvé un nouveau moyen pour jouer l’asymétrie, cette fois à très grande échelle: l’effet réseau. Le fait d’agglutiner des utilisateurs sur une plate-forme (créateurs, producteurs ou consommateurs) renforce considérablement sa valeur sans que les utilisateurs n’en soient rétribués autrement que par la facilité d’utilisation de la dite plate-forme. Les grandes plates-formes creusent l’écart par rapport aux sociétés traditionnelles. La capitalisation combinée d’Apple, Microsoft, Alphabet, Amazon et Meta Platforms atteint $10 trillions, le tiers de l’ensemble de la bourse américaine !
La société par action rend de grands services grâce à son modèle centralisé, dictatorial, extrêmement efficace, mais se réserve la meilleure part, l’effet d’échelle. Les autres parties prenantes peuvent s’estimer lésées, à fortiori par le nouveau modèle de plate-forme: les utilisateurs n’en captent qu’une petite partie de la valeur et en sont prisonniers (absence de portabilité de leurs données et risque d’annulation sont leurs lots); les meilleurs salariés sont coincés par l’exclusivité et des rémunérations bloquées, les États subissent les externalités négatives…Les DAO pourraient changer la donne…et porter un coup aux sociétés par action.
Les prémices d’un nouveau type d’organisation
Le Bitcoin allie capital et travail avec un objectif économique: établir un état des transactions sur sa blockchain. Le capital est fourni par les acheteurs de Bitcoin, le travail par les mineurs. On voit ici qu’une autre organisation du capital et du travail à une fin économique peut exister en dehors des structures traditionnelles et valoir près d’un trillion de dollars. La photographie d’une entreprise à un moment donné est une base de données centralisée qui reflète tout ce qu’elle a et que font ses salariés. La photographie du Bitcoin est sa base de données cette fois décentralisée répertoriant aussi le travail des mineurs. Le Bitcoin diffère d’une société dans la mesure où son fonctionnement est défini une fois pour toute, immuable et indépendant d’un État nation. Il lui manque la souplesse d’une société, sa capacité d’adaptation, mais il a en plus une rigueur qui fait qu’on ne peut pas biaiser le système à son avantage: les règles sont les mêmes pour tout le monde, capital et travail. Les mécontents vont miner ailleurs (fork). Le système ne repose ni sur la confiance, ni sur les rapports de force entre catégories, mais sur les preuves de compétence par rapport à une tâche donnée. En théorie, un tel système incite à la compétence. Le problème est qu’il est rigide et parfaitement stupide, ce qui n’est pas un atout pour mener à bien un projet d’entreprise…
Le Bitcoin est vu essentiellement comme un concurrent de la monnaie « fiat ». Pourtant l’organisation de la gouvernance et du travail qu’il instaure (ouverts, décentralisés et rémunérés) est un facteur qui pourrait déstabiliser la conception de l’entreprise, pourvu qu’un peu de souplesse soit introduit dans le dispositif.
Le travail décentralisé gagne du terrain
Linux a montré comment le travail décentralisé pouvait être efficace face à une société centralisée quasi-monopolistique: Microsoft. Linux est maintenant le système d’exploitation du cloud. Il est en plus à la base d’Androïd et d’IOS ainsi que de Chrome le principal navigateur internet. Meta l’utilise pour son système d’exploitation de réalité virtuelle. Au delà de Linux, le travail décentralisé est devenu inséparable de la conception de logiciel. Github, Le principal dépositaire de programmes libres a une soixantaine de millions de membres (la communauté de développeurs dans son ensemble). Plus personne ne pense à réaliser ses programmes de son côté sans s’appuyer sur ce qui est déjà public. La compatibilité n’en sera que meilleure, un élément essentiel des systèmes d’information aujourd’hui. Le travail décentralisé dépasse le monde des développeurs. Wikipedia s’est développé sur ce modèle et a largement dominé les façons anciennes de faire, les encyclopédies type Universalis ou Britannica, cette dernière ayant pourtant fait ses preuves depuis 1768. De même Twitter est un espace collaboratif dans des domaines pointus, il propose même une API pour la recherche académique (lancée en janvier 2021).
La grande efficacité du mode de travail collaboratif à grande échelle peut s’expliquer par ce que James Surowiecki a appelé la sagesse des foules dans son livre publié en 2004. D’après Wikipedia:
Trois ingrédients doivent être réunis pour parvenir à révéler l'intelligence de la foule:
1/ la diversité : avoir un grand nombre de personnes de divers milieux avec des idées originales ;
2/ l'indépendance : permettre à ces avis divers de s'exprimer sans aucune influence ;
3/ la décentralisation : laisser ces différents jugements s'additionner plutôt que de laisser une autorité supérieure choisir les idées qu'elle préfère.
Le télétravail est un premier pas important pour faire changer la manière de considérer le travail, tous secteurs confondus. Les membres d’une équipe deviennent des électrons libres, l’unité de lieu n’étant plus respectée. L’avantage est que la pensée de groupe (point 2) sous l’autorité du chef (point 3) tend à s’estomper. Le point 1 reste le dernier verrou à faire sauter: renoncer à ne faire participer que les « happy few » recrutés par l’entreprise sur des critères le plus souvent subjectifs. Il faut s’attendre à une vague de travail décentralisé…
…mais il lui manque une structure de rémunération
Le travail en univers décentralisé s’est organisé progressivement. Au départ, c’étaient de petites communautés qui se retrouvaient autour de blogs par exemple, avec pour motivation l’entraide. Puis les grandes plates-formes ont standardisé la communication et mis le monde entier en concurrence, les motivations sont devenues immanquablement moins altruistes, les groupes devenant plus impersonnels. Dès lors il est devenu beaucoup plus facile d’apporter sa contribution visible théoriquement du monde entier, offrant une possibilité de se faire mousser. Facebook, Twitter, Wikipedia, Github…D’après Eugène Wei:
Dans les annales de la technologie, et peut-être du monde, l'événement qui a créé le plus grand boom du capital social de l'histoire a été le lancement du fil d'actualité de Facebook. . . . En fusionnant toutes les mises à jour de tous les comptes que vous suivez en une seule surface continue et en la faisant servir d'écran par défaut, le fil d'actualité de Facebook a simultanément augmenté l'efficacité de la distribution des nouvelles publications et a opposé toutes ces publications les unes aux autres dans ce qui était effectivement une seule arène d'attention géante, avec des tableaux d'affichage mis à jour en direct sur chaque publication. C'était comme si le panopticon s'était inversé du jour au lendemain, comme si un projecteur géant s'était allumé et que, soudain, tous ceux d'entre nous qui se produisaient sur Facebook pour obtenir une approbation se rendaient compte qu'ils étaient tous dans le même auditorium, sur une grande scène infinie connectée, en train de chanter un karaoké devant le même public au même moment.
Le système de rémunération du travail décentralisé qui n’était pas nécessaire au temps des petites communautés d’entraide, est en revanche à penser complètement. La rémunération aujourd’hui est octroyée en statut social. Un bon contributeur est reconnu par ses pairs. Le statut social n’a pas la qualité d’une bonne monnaie car il n’est pas fongible. Les conséquences négatives ne sont pas à négliger: une concentration très forte des contributeurs, une multiplication des profiteurs, comme le montre ce schéma issu du très bon livre de Nadia Eghbal: Working in public: the making and maintenance of open source software
Le pire dans ce système est que l’une des tâches les plus importantes, la maintenance des librairies de code est ingrate et n’apporte aucun statut. L’open source repose sur quelques individus travaillant dans l’esprit d’entraide des premiers pionniers autour desquels gravitent des développeurs qui cherchent surtout à créer pour faire le buzz et d’autres qui cherchent à utiliser le travail des deux premiers. La situation est très fragile, comme le montre les derniers événements sur Github. Bleeping Computer, Le 9 janvier 2022:
"Le développeur à l'origine des populaires bibliothèques open-source NPM 'colors' (alias colors.js sur GitHub) et 'faker' (alias 'faker.js' sur GitHub) y a intentionnellement introduit des commits malveillants qui ont un impact sur des milliers d'applications reposant sur ces bibliothèques...
...les utilisateurs de projets open-source populaires, tels que le Cloud Development Kit (aws-cdk) d'Amazon, sont restés stupéfaits en voyant leurs applications imprimer des messages charabia sur leur console.....
La bibliothèque colors fait l'objet de plus de 20 millions de téléchargements hebdomadaires sur le seul site npm et près de 19 000 projets s'appuient sur elle."
Ce sabotage (à l’encontre des profiteurs, au premier chef les grandes plates-formes) illustre bien le raz le bol des codeurs les plus impliqués dans les projets d’open source, insuffisamment gratifiés pour leur contribution. Au final les organismes centralisés sont les grands gagnants de l’open source. Pour combien de temps ?
Les cryptomonnaies pourraient être la solution dans la mesure où elles peuvent être à la fois jeton et smart contrat. Le contrat peut définir le travail et les jetons le récompenser en fonctions d’objectifs déterminés dans le code. Dès lors, le travail reste décentralisé, dans l’esprit de l’open source, mais un équilibre s’opère entre contributeurs et profiteurs par le biais de la monnaie. Le travail communautaire altruiste a bousculé le travail centralisé rémunéré. Puis ce travail avec l’augmentation du nombre de participants n’a pu garder son caractère décentralisé qu’en glissant vers la recherche de statut, monnaie très imparfaite. Les sociétés centralisées ont repris le dessus. La prochaine étape est le travail décentralisé rémunéré, rendu possible par les cryptomonnaies. Adam Smith et la main invisible sont toujours d’actualité !
Capital et gouvernance
Il y a également une forte évolution de ce côté. La société par action s’est construite sur la séparation juridique de la personne morale et de la personne physique (son actionnaire), la première prenant son autonomie par rapport à la seconde. Des rapports de force s’ensuivent entre protagonistes, notamment concernant la gouvernance. Les actionnaires déléguent à un conseil d’administration, le plus souvent aux bottes de la direction de l’entreprise, dont dépend sa rémunération. La direction a tendance à s’octroyer de solides stock options avec la bénédiction du conseil d’administration pour prendre l’asymétrie à son profit…Pour équilibrer ce jeu de pouvoir, on en vient maintenant à nommer des administrateurs indépendants, qui tel Raminagrobis mettent les plaideurs d’accord en les croquant l’un et l’autre. Dans cette gouvernance, les salariés ne sont guère impliqués et encore moins les clients…Ce qui fait qu’avec l’effet réseau de l’internet, des géants se sont constitués rivalisant avec les Etats, misant sur le politiquement correct pour pouvoir continuer leur croissance boule de neige et ne redonnant pas la juste part à leurs salariés et à leurs utilisateurs (c’est en tout cas leur avis). Les cryptomonnaies peuvent là aussi donner des pistes intéressantes. Certaines peuvent se constituer en jetons de gouvernance et selon leur logique multi face permettre d’enregistrer des décisions, de lever de l’argent, être attribuées aux salariés ou utilisateurs en fonction de leurs contribution, définie dans le code. Dès lors l’ensemble des parties prenantes à un projet deviennent actionnaire et ont leur mot à dire sur la gestion du trésor de guerre. L’idée est de gommer les rapports de force entre actionnaires, salariés et utilisateurs pour avancer plus vite. C’est la DAO.
Les DAOs
Je prends la définition chez Aragon, entité dédiée aux DAOs:
Une organisation autonome décentralisée (DAO) est une communauté Internet qui contrôle conjointement un portefeuille de crypto-monnaies afin de poursuivre des objectifs communs - tels que la gestion d'une entreprise ou d'une organisation caritative - sans avoir à demander la permission à quiconque. Cela est rendu possible par un logiciel libre sur la blockchain Ethereum (entre autres), qui peut bloquer des fonds dans un portefeuille et n'autoriser des transactions que si elles sont approuvées par les membres de la DAO. Pour devenir membre, il suffit généralement d'acheter une fraction du jeton de membre de cette DAO sur des sites tels qu'Uniswap (bien que plus de jetons signifie généralement plus de poids dans les votes auxquels vous participez).
Au centre de la DAO se trouve le jeton qui va à la fois servir d’instrument de gouvernance et de rémunération. Le liant, l’administration étant le fait d’une communauté plus ou moins structurée type Discord ou Twitter, fonctionnant sur le modèle open source. L’administration est l’équivalent du management dans une société par action. Prenons deux exemples qui illustrent ce fonctionnement.
Raid Guild DAO
Cette DAO remet à l’honneur le concept de guilde du moyen âge, une coopération de personnes pratiquant une activité commune avec un but précis. Raid Guild se donne comme objectif de faciliter la construction du Web3 sur Ethereum, proposant les services de ses spécialistes consultants cryptos, designers, développeurs d’applications décentralisées et marketers. On peut donc être soit utilisateur de Raid Guild dans un domaine spécifique, ou contributeur. L’administration de la DAO est très structurée et mise en œuvre à travers d’une communauté Discord divisée en canaux, certains incluant qui veut bien participer, d’autres les membres seulement. Raid Guild a été initié par trois développeurs open source qui ont rallié d’autres contributeurs open source et ont commencé à structurer le DAO avec un schéma de fonctionnement inscrit sur la Blockchain (manifeste, code d’éthique, manuel). On a bien là le prolongement d’un projet open source mais plus structuré et monétisé. Le jeton utilisé pour rémunérer les contributions et attribuer les droits de gouvernance est le RAID. Pour être membre de la guilde, c’est à dire pouvoir exécuter des missions et voter sur l’évolution de la DAO, il faut suivre un processus complexe: d’abord se faire remarquer pour ses compétences par un membre de la guilde pour avoir droit à un RAID qu’il faut payer en stablecoin. Puis il faut participer à une mission (appelée un raid) et acheter 99 autres RAID. Il y a aujourd’hui 108 membres. Les clients de la DAO doivent payer en RAID qu’ils achètent sur le marché avec des stablecoins xDAI. Ces RAID servent à rémunérer les contributeurs. Il est facile de concevoir que ce type de guilde, qui fonctionne sur la compétence et la coopération, peut facilement transformer l’open source tel qu’il est pratiqué sur Github et plus généralement changer la façon de travailler de manière décentralisée.
Uniswap DAO
Uniswap est le pendant décentralisé de Coinbase. UNI, le jeton de gouvernance du protocole Uniswap, capitalise environ $10 milliards, c’est le plus important des DAOs avec une capitalisation trois fois supérieure au second. L’histoire du protocole montre l’intérêt de passer de la société par action à la DAO. En 2016, Vitalik Buterin suggère l’idée d’un market maker de cryptos automatisé qui pourrait fonctionner sur la Blockchain Ethereum. Hayden Adams, jeune ingénieur en mécanique licencié de Siemens, profite de sa période de chômage pour s’intéresser aux crypto-monnaies, acheter de l’Ethereum et se former à la programmation en Solidity et Vyper (langages d’Ethereum). Il se décide alors à concrétiser l’idée de Vitalik Buterin. Il code un protocole d’échange de cryptos fonctionnant avec un pool de liquidités alimenté par les participants. Pour mettre en œuvre, attirer des utilisateurs et créer un effet réseau, il a besoin de fonds, crée une société appelée Uniswap. Plusieurs sociétés de capital risques investissent dans la société: A16z, Paradigm, Union Square, etc. Uniswap v1, le produit open source de la société Uniswap est lancé en 2018.
Ce qui suit montre la faiblesse de la société par action par rapport à la DAO. Le succès d’un market maker repose sur sa liquidité, donc son effet réseau. Le protocole Uniswap avait un défaut, celui de ne pas redonner une partie des bénéfices tirés de son effet réseau à ses utilisateurs, notamment ceux qui fournissaient la liquidité. En 2020, Chef Nomi le fondateur du protocole d’échange concurrent SushiSwap en a profité pour siphonner les pourvoyeurs de liquidité d’Uniswap en les rétribuant avec un token de gouvernance, le SUSHI. Uniswap fort heureusement a rapidement réagi et lancé son propre jeton de gouvernance UNI, en en distribuant généreusement aux utilisateurs historiques. Uniswap a été aidé également par la mauvaise réputation de SushiSwap, accusé de ne pas respecter les règles de gouvernance et de détourner des fonds. Ce cas d’école montre bien les forces et faiblesses des DAOs:
Elles sont un redoutable concurrent des sociétés internet qui captent l’effet réseau sans intéresser les parties. En effet, elles prévoient l’intéressement des utilisateurs à cet effet réseau par les jetons de gouvernance. C’est plus fort que de subventionner les chauffeurs comme l’a fait Uber.
Pour être efficace dans un monde toujours changeant, elles doivent adopter un modèle hybride (à la différence du Bitcoin) et reposer d’une certaine manière sur la confiance: les DAOs sont un dérivé du fonctionnement en open source reposant entièrement sur la confiance et la réciprocité mais dont certaines décisions sont codées dans la Blockchain au travers des jetons. Rejeter la confiance au profit d’une mécanique entièrement codée condamnerait les DAOs à un échec certain, les rendant bureaucratiques. Cela peut entraîner comme avec toute organisation humaine des abus et des fraudes, avec un effet d’autant plus prononcé que les naïfs ne voient que l’aspect sécurisé du dispositif….
Les DAOs vont probablement se déployer dans de nombreuses directions. Ce tableau donne les principales par catégorie:
Il reste pour les DAOs à franchir le rubicon du monde physique, à sortir d’un écosystème purement crypto. La difficulté est de s’intégrer dans le système financier centralisé, d’accepter des paiements en monnaie fiat, de payer les factures, etc. C’est l’objectif que s’est donné Metafactory, une fabrique de T-shirts et autres habits sur lesquels sont imprimés des NFTs. Que ne faut-il pas inventer ? Elle est en réalité une place de marché mettant en face créateurs de NFTs, maisons de mode et clients. D’après le site Metafactory:
$ROBOT est le jeton de gouvernance MetaFactory par lequel les membres de la communauté décident de la mécanique des jetons, du calendrier des récompenses, des partenariats, des caractéristiques de la plateforme, de l'utilisation de la trésorerie, etc. C'est également le véhicule par lequel la valeur est capturée, distribuée, gagnée et partagée.
Les créateurs reçoivent $ROBOT en fonction du succès de leur(s) produit(s), les acheteurs sont récompensés avec $ROBOT pour leur mécénat, et la communauté gagne $ROBOT en aidant à entretenir la place de marché.
Metafactory est administré par la communauté, comme un projet open source, sur Discord, mais avec une gouvernance et rémunération structurées, de manière à faire partager l’effet réseaux aux différents protagonistes. Pour faire le lien avec le système financier centralisé, Metafactory a créé une société par action, qui n’est qu’une coquille destinée aux encaissements et décaissements en monnaie fiat, l’excédent venant alimenter le Trésor de la DAO. Il y a inversion par rapport à Uniswap: dans les projets de dernière génération, la société par action vient après et n’est plus qu’un appendice de la DAO.
Avec le recul dont on dispose aujourd’hui, on peut constater comment l’open source s’est imposé dans les technologies de l’information et de plus en plus au delà. Le télétravail ne va faire qu’exacerber la tendance. Mais l’absence de structure a fait de l’open source la matière première des grandes sociétés internet et des acteurs du cloud friands de compatibilité. Elles n’ont fait qu’une bouchée de l’open source…Leur domination est assise sur l’open source version 1. Les DAO, la version 2, sont en cela une vraie menace, d’autant qu’elles accueillent à bras ouvert les déçus des Big Tech et progressent ainsi à pas de géant. Nous n’en sommes qu’au début. Qu’adviendra-t-il des $100 trillions de capitalisation boursière des sociétés par action ?
Bonne semaine,
Hervé