FAANG: la résistance !
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Le Siècle digital (13 octobre 2020):
Twilio rachète Segment pour 3,2 milliards de dollars
C’est un acteur peu connu du grand public en France, mais le pedigree de Twilio le positionne comme un acteur incontournable de l’intégration de la relation client. Un statut qui devrait nécessairement prendre encore plus d’ampleur avec l’annonce du rachat de Segment, plateforme spécialisée dans la gestion de données, pour 3,2 milliards de dollars. Une acquisition à 10 chiffres d’abord reportée par Forbes. Segment a développé une technologie qui permet de rassembler toutes les données laissées par un internaute quand il visite un site afin de mieux le comprendre et de le cibler plus efficacement. Ce service d’unification des données clients est une aubaine pour de nombreuses entreprises qui ont fait de la compréhension du parcours d’achat de leur client un levier de rentabilité.
Twilio, de son côté, est axé relation client. Son moteur a été conçu pour que les entreprises puissent intensifier la communication avec leurs utilisateurs via des SMS, des messages vocaux, des vidéos, des messages sur la messagerie WhatsApp, ou des emails. C’est Twilio qui par exemple, motorise Facebook Messenger et WhatsApp, via l’intégration des services de téléphonie aux applications mobiles. C’est aussi elle qui envoie les SMS de confirmation d’Uber.
Le rachat de Segment apparaît donc comme une intégration horizontale, qui doit emmener le moteur de Twilio vers un service intégral, comprenant désormais une couche marketing digital avec l’engagement client.
Cette acquisition est intéressante car elle montre que le mouvement de résistance aux FAANG est en train de se construire. Il est grand temps. Les FAANG, ou pour être plus précis les agrégateurs, selon la terminologie astucieuse de Ben Thompson, sont les rares groupes qui contrôlent la demande grâce à une proximité et expérience utilisateur uniques, s’interposent entre ces derniers et les sociétés et décident arbitrairement (par algorithme) qui va pouvoir avoir leurs faveurs. Leur structure de coût marginal zéro leur permet de s’étendre à la vitesse de l’éclair alors que les affaires traditionnelles, ralenties par leurs frais variables, trouvent moins coûteux de contrôler l’offre. Le contrôle de la demande est plus puissant, il est l’apanage des Apple, Google, Amazon, Facebook et j’y ajouterai Netflix. Ils remplissent à merveille cette fonction de tri grâce aux données qu’ils collectent sur les utilisateurs, ils en font profiter ceux qui veulent vendre sur leur plate-forme mais cela agit comme une drogue: agréable au départ, la vie semble facile, mais gare à ceux qui en abusent. Les vendeurs doivent se contenter d’écouler leurs produits, en aveugles, perdant la relation client. J’ai analysé cette dynamique destructrice pour les sociétés dans mon article La mort du colporteur. Les agrégateurs désagrègent le tissu économique, en captant la relation client.
L’intelligence artificielle à la rescousse
De plus en plus, les données font la différence. L’accumulation de données par les agrégateurs sur des centaines de millions, voire des milliards d’utilisateurs leur donnent un net avantage par rapport aux entreprises traditionnelles. C’est ainsi qu’ils peuvent monétiser leurs services soit par la vente directe (Netflix, Amazon, Apple), soit par la publicité (Google, Facebook, Amazon), surpassant les tentatives commerciales des entreprises traditionnelles. Les canaux de distribution classiques deviennent obsolètes. La tentation est de recourir aux services des agrégateurs pour vendre plus à court terme, mais au prix de la perte de son avantage concurrentiel, de sa relation client.
Mais là est le point intéressant: On pourrait penser que l’IA va donner un avantage décisif aux agrégateurs. C’est l’inverse, l’IA nivelle le terrain de jeu: l’intelligence artificielle paradoxalement ouvre une brèche et peut changer la donne pour les entreprises audacieuses. Les algorithmes d’intelligence artificielle sont en effet des routines étroites, qu’un feedback utilisateur précis peut rendre très efficaces. Si l’objectif à atteindre pour rendre le produit performant est simple et le feedback utilisateur direct, l’algorithme d’intelligence artificielle peut dépasser celui que pourrait déployer un généraliste aux objectifs entremêlés, même avec des données plus massives. La simplicité gagne ! Un système d’intelligence artificielle part d’un modèle, d’une représentation du monde, forcément simplificatrice et biaisée par les conceptions de son créateur. Cathy O’ Neil a écrit un livre très intéressant Weapons of Math destruction sur ces biais. En voici un extrait:
Les points aveugles d'un modèle reflètent les jugements et les priorités de ses créateurs. Si les choix de Google Maps et des logiciels d'avionique semblent tranchés, d'autres sont beaucoup plus problématiques. Le modèle à valeur ajoutée des écoles de Washington, D.C., pour revenir à cet exemple, évalue les enseignants en grande partie sur la base des résultats des tests des élèves, tout en ignorant dans quelle mesure les enseignants engagent les élèves, travaillent sur des compétences spécifiques, s'occupent de la gestion de la classe ou aident les élèves à résoudre leurs problèmes personnels et familiaux. C'est trop simple, en sacrifiant la précision et la perspicacité à l'efficacité. Pourtant, du point de vue des administrateurs, elle constitue un outil efficace pour dénicher des centaines d'enseignants apparemment peu performants, même au risque de mal interpréter certains d'entre eux. Nous voyons ici que les modèles, malgré leur réputation d'impartialité, reflètent des objectifs et une idéologie. Lorsque j'ai supprimé la possibilité de manger des Pop-Tarts à chaque repas, j'imposais mon idéologie au modèle des repas. C'est quelque chose que nous faisons sans réfléchir. Nos propres valeurs et désirs influencent nos choix, depuis les données que nous choisissons de recueillir jusqu'aux questions que nous posons. Les modèles sont des opinions ancrées dans les mathématiques.
Les conceptions du mathématicien dit rationnel vont dépendre des motivations de son employeur lequel a un objectif général. Il peut donc y avoir chez le généraliste, l’agrégateur, conflit d’objectifs et de modèle. Prenons l’exemple de Facebook. Son objectif général est de maximiser les interactions entre les membres du réseau, de densifier le graphe social. Quand il s’agit de contrer Snap, Facebook (Instagram) est à l’aise. Snap a également un graphe social, juste moins étoffé que celui de Facebook. Facebook copie les “stories”…et le tour est joué, il fait la même chose en mieux. TikTok est une autre paire de manches: ce dernier n’a pas de graphe social mais a pour objectif de donner à l’utilisateur ce qui l’intéresse: c’est un graphe d’intérêt. Il relie le créateur et le consommateur au bénéfice des deux. Le modèle de Facebook est de transférer sur un smartphone la sérendipité qui caractérise nos relations sociales: dans l’application, on flâne entre les photos, vidéos et commentaires des amis, Facebook doit deviner ce qui renforce nos liens avec les amis sans que l’on lui donne un feedback direct. Chez TikTok, c’est beaucoup plus simple et direct: la vidéo occupe tout l’écran et l’utilisateur exprime son contentement en regardant la vidéo jusqu’au bout (elle est courte donc des contraintes de temps ne viennent pas biaiser la réponse) ou son désagrément en zappant. TikTok ne s’embrasse pas d’un graphe social, son intelligence artificielle cherche juste à trouver la vidéo qui intéresse l’utilisateur avec un feedback très direct, donc très puissant. C’est ainsi que TikTok est devenu sans crier gare un succès phénoménal s’attirant les foudres de l’administration américaine. TikTok n’a peut-être pas autant de données sur les utilisateurs que Facebook mais il a les données utiles à son objectif, renforcées par le feedback. TikTok connaît ses utilisateurs. Et cela suffit à déstabiliser Facebook, l’agrégateur.
Le coup de maître de Twilio
Twilio est une API, une brique de lego informatique qui gère les communications d’une entreprise avec ses clients (Sms, mails, appels vidéo, etc.). Elle aide l’entreprise à créer et cultiver la relation avec ses clients, par le dialogue. C’est un premier pavé dans la marre des FAANG qui prennent à leur compte la relation clients: sur Amazon marketplace, les marchands ne récupèrent pas les coordonnées des personnes qui leur achètent des produits; Facebook, Apple et Google cherchent à vendre directement, d’où leurs investissements sur les moyens de paiement. Dans La mort du colporteur, j’avais mentionné en conclusion l’espoir que pouvait faire naître Twilio:
Twilio est au commercial ce que Shopify est à l’infrastructure de vente au détail, une bouée d’oxygène. Il essaie de redonner aux entreprises la maîtrise de leur commercial en leur permettant de se brancher par API à un service de communication par sms, mail, plateformes vidéo, WhatsApp, etc. L’objectif est de regagner la relation client.
La relation clients par le dialogue n’est pas suffisante. Il faut connaître le client pour lui servir ce qu’il veut, qu’il l’exprime ou non. Les données sont le facteur différentiant. Ce que montre bien la percée de TikTok est que pour faire face aux agrégateurs, il faut avoir une offre parfaitement ajustée aux besoins du client. Les données sont le maillon essentiel pour construire une offre crédible focalisée. C’est pourquoi Twilio achète Segment. Voici ce qu’en dit Jeff Lawson, le PDG (l’extrait est long mais en vaut la peine):
Toutes les entreprises utilisent désormais le numérique pour établir de bonnes relations avec leurs clients. Vous parlez évidemment beaucoup des agrégateurs. Autrefois, beaucoup d'entreprises externalisaient essentiellement la distribution. Si vous étiez une entreprise de biens de consommation, vous n'aviez que vos canaux de vente au détail, il y a beaucoup d'exemples de cela. Mais aujourd'hui, les entreprises doivent établir une relation numérique directe avec leurs clients - avec des applications numériques, des applications web, des applications mobiles, à travers de nombreux canaux différents. En fait, il faut impliquer le client sur tous les points de contact, que ce soit dans le processus de marketing ou de vente, ou pendant l'utilisation du produit, ou peut-être après coup lorsque vous avez besoin de service ou d'assistance, ou pour tout un tas de choses comme l'économie à la demande ou le service sur le terrain lorsque quelqu'un vous amène un camion ou une voiture, il y a tous ces points de contact que les entreprises ont avec leurs clients et qui, lorsqu'ils gèrent bien ces interactions, les fidélisent davantage. Les clients sont plus satisfaits du service. Lorsque nous regardons notre clientèle, nous voyons des gens qui utilisent les communications, qui utilisent l'engagement des clients à travers une grande variété de points de contact différents.
Mais le fait est que pour construire une relation, il faut vraiment deux choses. Tout d'abord, il faut comprendre votre client. Qui est-il ? Qu'est-ce qu'il achète ? Pourquoi sont-ils vos clients ? Quelles sont leurs préférences ? Ensuite, la deuxième chose est qu'il faut s'engager. Tendre la main au client, lui parler, le faire parler avec vous. Historiquement, nous avons toujours fait la dernière chose. C'était comme : « « Hé client, vous avez écrit un programme. Si vous voulez qu'on vous envoie un SMS, qu'on réponde à un appel téléphonique ou qu'on vous envoie un e-mail, parfait, nous le ferons pour vous ». Mais nous n'avons jamais vraiment participé au, « eh bien, pourquoi vous nous contactez ? Qui est ce client ? Quel est le contenu que vous devez envoyer ? Quand devez-vous l'envoyer ? »
C'est ce que Segment fait, parce que dans une entreprise B2C, comprendre son client, c’est exploiter des données. Et ce sont les données qui sont rejetées par la myriade de systèmes que vous pourriez utiliser pour toucher votre client. Vous avez des systèmes de commerce électronique, des systèmes d'automatisation du marketing, des systèmes de gestion de la relation client, des systèmes d'assistance. Il y a tant de systèmes différents. Tous les produits maison, l'application mobile, le backend, le tableau des utilisateurs, le développeur, la première chose qu'ils ont faite quand vous avez créé la société. Il y a toutes ces différentes pièces de technologie qui ont une pièce du puzzle sur qui sont les clients.
L’analyse fine de données propriétaires permet de construire les algorithmes qui vont faire le job, satisfaire l’intérêt du client (le fameux graphe d’intérêt qui distingue TikTok de Facebook), mieux que ne pourrait le faire un agrégateur.
Ce que Segment fait si bien, c'est vous permettre de brancher toutes ces choses qui ont une pièce du puzzle sur votre client, de les brancher toutes, et ensuite de commencer à construire une compréhension cohérente de votre client qu'une fois que vous prenez en compte toutes les variables, vous pouvez commencer à comprendre, "Oh, je vois. Les clients qui ont acheté ceci, ceci, et cela, et que nous avons touchés sur cette chaîne, et qui n'ont pas eu de ticket d'assistance pendant les trois derniers mois, ont tendance à se comporter comme ceci et nous pouvons faire des choses". Ce qui est vraiment intéressant, et je pense que ce qui se passe en ce moment quand nous parlons aux clients, surtout en ce qui concerne la publicité, c'est qu'auparavant les entreprises sous-traitaient beaucoup de choses à un agrégateur, à un Facebook, à une Amazon…Oui, vous achetez en quelque sorte des clients sur Facebook ou Amazon ou autre. C'est un excellent modèle économique pour Amazon et Facebook, c'est sûr, mais je pense que beaucoup d'entreprises réalisent : "Eh bien, attendez une minute, d'une certaine manière, nous hypothéquons notre avenir. Si toute la relation avec mon client passe par une tierce partie, nous devons établir une relation directe avec notre client". C'est là que beaucoup d'entreprises dressent un portrait cohérent de leur client avec leurs propres bases de données qui leur permettront de comprendre qui est leur client, afin de pouvoir construire ce que l'un de nos clients appelle une relation directe et indéfectible avec notre client. Je pense que c'est l'une des plus grandes tendances actuelles.
Je souligne le mot indéfectible car là est la clé. Une société de nos jours pour exister doit constituer une carapace autour de sa différentiation, un monolithe imprenable, alimenté par les données.
L’entreprise du futur: le monolithe
Le monolithe résiste aux forces de la désagrégation. La faiblesse de l’agrégateur est d’être agnostique sur le contenu. Seul l’intéresse la relation client, fondée sur la capacité à lui trouver ce qu’il cherche. Ce qui lui importe est d’avoir accès à l’abondance, l’infini et de l’apporter sur un plateau a l’utilisateur le plus vite possible. Mais l’abondance est aussi la médiocrité, le tout venant. On cherche une pile, Amazon Basic est bien suffisant. Toute affaire qui n’est pas fortement différentiée est laminée. A l’inverse, un produit rare, difficilement imitable, ne donne pas prise à l’agrégateur. Encore lui faut-il trouver son public et pour cela créer une connexion spéciale et indéfectible avec lui. Les agrégateurs ont mis la barre très haut en matière de proximité client grâce à l’exploitation de leurs données. Une entreprise qui a un produit différentié ne peut se permettre comme avant de confier la distribution à un tiers: l’équilibre entre les marques et la grande distribution est révolu. Il ne fonctionnait que parce que dans un univers physique contraint, la tête de gondole était déterminante. Avec l’internet, la tête de gondole a sauté, il ne s’agit plus d’être juste plus facile à acheter, il faut trouver son public et le ravir par toutes les facettes d’une offre sans équivalent, si l’on veut éviter l’emprise des agrégateurs. Pour résister, il faut faire un avec la distribution, ne compter que sur ses propres forces et vendre en direct d’abord.
Pour une telle stratégie, l’entreprise différentiée doit s’organiser autour des données client et de leur exploitation pour maximiser son graphe d’intérêt. Elle doit abandonner l’organisation en fonction des lignes de produits ou des modes de distribution. Elle doit adopter une organisation verticale pour maximiser le chiffre d’affaires par client au lieu d’horizontale comme les agrégateurs. L’objectif n’est pas d’avoir les plus de clients possibles mais les vrais fans.
L’organisation verticale
Deux exemples récents montrent comment la résistance se déploie: les réorganisations de Disney et de Comcast.
Disney d’abord, Business Insider (14 octobre 2020):
Disney a annoncé cette semaine une importante réorganisation de l'entreprise qui mettra davantage l'accent sur ses services de streaming, selon un communiqué de presse de la société. Les groupes axés sur la production de contenu seront séparés de ceux axés sur la distribution. Et il y aura une seule équipe de distribution globale qui déterminera quelles sont les plateformes les mieux adaptées aux nouveaux contenus, en mettant l'accent sur le soutien des services de streaming de Disney comme Disney+, Hulu et ESPN+.
Le streaming devient le vecteur de la réorganisation car il permet de collecter un maximum de données sur les fans de Disney puis de les exploiter pour vendre au mieux l’intégralité de l’offre. Les parcs de loisir existeront toujours mais pourront par exemple être promus en offres groupées au sein de Disney +. Il en est de même des grandes productions cinématographiques, biens de consommation Disney, etc. Les données ont juste la priorité pour rendre l’offre la plus compacte et pertinente possible, enserrer le client dans un filet d’offres dont il sera difficile de se dépêtrer. L’objectif ultime est de faire acheter le tout (le monolithe), à l’inverse de l’agrégateur apprécié pour la capacité de choix qu’il offre. Le pouvoir n’est plus aux vieilles divisions, fussent elles encore profitables (réseaux câblés), mais à celle qui irrigue l’ensemble de l’organisation, en l’occurrence le streaming.
NBCU, la division média de Comcast qui comprend la grande chaîne NBC, les studios Universal, un grand parc de loisir à Orlando, des chaînes câblées et depuis récemment le service de streaming Peacock. NBCU est principalement un business publicitaire. The Brew (14 octobre 2020):
NBCU a promu Linda Yaccarino au poste de présidente, publicité mondiale et partenariats afin d'aider à consolider NBCU sous sa structure de gestion publicitaire "One Platform" qui a été lancée aux côtés de Peacock…La promotion de Yaccarino représente l'effort de NBCU pour combiner des parties auparavant disparates de son activité médiatique en un seul front unifié.
Par exemple : Yaccarino va maintenant superviser une nouvelle unité de stratégie de données, une équipe d'initiatives stratégiques, les ventes de réseaux sportifs régionaux et les ventes de publicité locale pour NBCU. Auparavant, elle se concentrait presque exclusivement sur la vente de publicités et les partenariats mondiaux.
Le monde ancien où on séparait la ligne éditoriale et la ligne publicitaire pour des questions éthiques (conflits d’intérêt) est complètement révolu. Pour lutter contre les FAANG et leurs algorithmes, il faut tout unifier sous un même chapeau où le contenu comme les publicités sont définis par le feedback de l’IA, un feedback qui sera plus direct et immédiat que celui des agrégateurs simples voies d’aiguillage, biaisés par leur vocation première. L’impartialité en prend un coup, mais c’est une autre histoire…
Résistance technologique
Comme le montrent les exemples de TikTok et Twilio, la technologie peut devenir un solide appui des sociétés qui veulent résister à l’emprise des FAANG. L’univers du jeu vidéo est intéressant à observer car il est souvent précurseur de tendances beaucoup plus larges (par exemple les puces GPU qui ont au départ équipé les cartes graphiques avant d’être utilisées pour l’intelligence artificielle, en passant par le minage du Bitcoin).Les FAANGM essaient de contrôler la distribution de jeux vidéo en créant des plate-formes: Google Stadia, Apple Arcade, Microsoft Xbox Pass, Amazon Luna. Ces plate-formes ne créent pas, elles trient et nivellent. Ce tweet résume bien le problème…et l’opportunité
Le point intéressant avec les jeux vidéo est que le contenu peut faire avancer la technologie et ainsi éviter le nivellement. Les jeux sont interactifs et sociaux, ouvrant de nombreuses opportunités et présentant aussi des difficultés technologiques à surmonter. Ce n’est pas le cas avec les films et séries, dont le format est défini par l’agrégateur (Netflix, Prime Video), piégeant ainsi les producteurs ne pouvant se différentier que par un bout, le contenu. Devenir monolithe est la clé. Jacob Navok résume bien la situation:
Les jeux sont capables de muer, de s’adapter à la technologie avant les agrégateurs. Le cloud en est une parfaite illustration. Il n’y a pas encore véritablement de jeu vidéo sur le cloud car en raison des impératifs de très faible latence( 1 seconde perdue, 1 soldat tué), il faudrait mobiliser une puissance de calcul et d’électricité très importante pour héberger un jeu et réduire la latence au minimum. Cela impliquerait un coût variable élevé pour tout type de jeu (7€ les 20 heures) et éliminerait de facto une multitude de jeux plus ou moins gratuits, le pain quotidien des agrégateurs. Les offres cloud actuelles (Apple Arcade, etc.) gèrent uniquement la souscription dans le cloud: les jeux sont téléchargés à l’ancienne sur les consoles, iPads, PCs, etc. pour utiliser la capacité locale et pallier le problème de latence et éviter les coûts variables. Je dis bien pallier car les jeux multi-joueurs sont du coup limités à 100 joueurs maximum, empêchant les expériences massives. Une entreprise innovante pourrait accepter les frais variables, les répercuter pour créer justement un jeu qui créerait des événements mondiaux à plusieurs millions de joueurs simultanés.
Ce qui fait la force des agrégateurs en fait aussi leur faiblesse. J’en ai développé ici trois: leur intelligence artificielle biaisée, leur volonté de conquête horizontale et leur obsession pour le coût marginal zéro. Le temps de la résistance à sonné.
Bonne fin de semaine,
Hervé