Nos positions significatives dans BANK OF AMERICA et CITIGROUP ( 20% de CAP IN) ne peuvent que nous inciter à creuser la menace potentielle des Fintech. De nombreux secteurs de l'économie sont en effet bouleversés par l’internet (Médias, distribution, marques, etc.). Les banques semblent résister mais est-ce vraiment le cas et si oui, pour combien de temps ?
Pour comprendre la situation, nous prendrons l’exemple des deux FINTECH les plus redoutables, elles illustrent bien la problématique de l’ensemble du secteur.
Les deux plus grandes FINTECH aux Etats-Unis sont SQUARE et STRIPE. A elles deux ces sociétés sont valorisées à plus de 50 milliards de dollars. Comme l’ensemble des FINTECH, leur point fort est de s’appuyer sur une expérience utilisateur hors pair (grande facilité d’accès et d’utilisation avec élimination des frictions traditionnelles , temps réel, reporting très clair). Leur fonctionnement sur le cloud leur permet théoriquement de s'étendre à l’infini avec un coût marginal faible (pas de frais d’agences, juste l’abonnement cloud en fonction du volume traité). Le cloud leur permet également de se brancher en plug and play à d’autres applications.
Les FINTECH doivent avoir un angle d’attaque pour conquérir le consommateur, une fonction précise qui les différencie: plus cette différenciation est forte, plus elles auront des chances de percer et de conforter leur position par d’autres services adjacents. SQUARE et STRIPE s’adressent aux commerçants et leur proposent des solutions de paiement ultra-simples. C’est un terrain quasi-vierge aux Etats-Unis: le commerce traditionnel (90% du total) dispose de terminaux de paiement antiques qui n’acceptent pas le paiement sans contact. Et pour cause, d’après AT KEARNEY, 3% des cartes seulement étaient équipées du dispositif sans contact en 2018.
SQUARE a commencé avec le commerce traditionnel, proposant des terminaux de paiements connectés à internet permettant les paiements mobiles en plus des paiements traditionnels par carte. Le volume de paiements transitant par SQUARE progresse de 25% annuel pour atteindre 100 milliards de dollars aujourd’hui (3% du marché us). STRIPE s’adresse aux commerçants en ligne, la part encore modeste du commerce mais en forte expansion. Contrairement à SQUARE qui a répondu à une problématique locale, proposant ses terminaux essentiellement aux commerçants américains, STRIPE n’a pas à s’adapter à un contexte local et peut déployer sa solution de paiement sur tout site interne quel que soit son origine. STRIPE traite 150 milliards de dollars de paiements annuels (10% du total en ligne hors Chine).
Une premier fragilité des FINTECH, et en particulier de SQUARE et STRIPE est leur différenciation sur une fonction spécifique unique, en l’occurrence le système de paiement pour les commerçants. Rien n’empêche qu’une Start-up ne conçoive une application encore plus conviviale pour le paiement. Jusqu’a l’arrivée de STRIPE, PAYPAL dominait le marché du paiement en ligne. PAYPAL a été conçu avant le cloud et n’a pas la même facilité d’intégration que STRIPE . Aussi STRIPE gagne des parts de marché et traître déjà le quart du volume de PAYPAL. STRIPE sera peut être aussi menacée dans le futur, si l’application ne conforte pas son avantage en étendant ses services rendant ainsi plus difficile son abandon au profit d’une solution concurrente plus conviviale encore.
La deuxième fragilité, plus gênante est la dépendance de ces FINTECH vis à vis de VISA et MASTERCARD. Ces deux dernières sociétés sont au cœur de toutes les transactions et fixent les règles du jeu par le mécanisme de l’interchange: le taux des rétrocessions des commissions perçues des commerçants aux émetteurs de cartes. Ainsi SQUARE doit reverser environ 50% de ce qu’il facture aux commerçants…aux banques émettrices des cartes. Par conséquent SQUARE et STRIPE sont dépendants du bon vouloir de VISA/MASTERCARD qui imposent leurs conditions et peuvent empêcher une monétisation sérieuse de leurs services.
Pour contrer cette situation de faiblesse, les FINTECH doivent trouver un autre terrain de monétisation. Elles peuvent essayer de se transformer en banques, en utilisant les dépôts récoltés par leur activité en faisant du crédit. Elles n’ont alors aucun avantage par rapport aux banques universelles qui font la même chose avec un effet d'échelle bien supérieur.
La force des banques universelles est justement l’intégration de métiers complémentaires (dépôts, crédits, marchés, etc.) à une échelle telle qu’elles rendent les différents métiers pris individuellement impossible à monétiser.
Les clients demandent en effet avant tout de l’intégration. « The job to be done » selon la théorie de CLAYTON CHRISTENSEN est d’avoir un partenaire de confiance pour l’ensemble de ses préoccupations financières. Pris individuellement les services rendus par les banques universelles ne sont pas optimum mais ils sont globalement rassurant et c’est ce qui importe le plus. Les métiers individuels étant banalisés, les banques ont tout leur temps pour absorber les innovations les plus intéressantes ou créer des solutions concurrentes.
SQUARE essaie de se diversifier dans la banque traditionnelle en faisant du crédit mais la base de dépôt est trop faible (1,8 milliards de dollars (0,1% du montant des dépôts de BANK OF AMERICA) pour constituer une menace sérieuse. SQUARE doit aller voir ailleurs pour monétiser son expérience utilisateur hors pair. Un prolongement naturel est de proposer des services logiciels aux commerçants (comptabilité, gestion des stocks, livraisons, etc.) ou de partir du paiement pour intégrer une autre activité. L’intégration avec le paiement ne se heurte alors pas à la concurrence des banques et permet une monétisation raisonnable. Cela explique pourquoi le cours de SQUARE a dévissé à l’annonce de la vente de leur filiale de livraison de repas CAVIAR la semaine dernière.
STRIPE de même n’attaque pas les banques en frontal, préférant intégrer des services supplémentaires et peu à peu se transformer en plate-forme de services aux commerçants en ligne: STRIPE intègre ainsi des applications tierces comme SHOPIFY pour constituer un site marchand, SAAS OPTICS pour gérer les souscriptions, etc. Le graal pour une entreprise logiciel cloud est de passer de la fonction spécifique à la plate-forme: son avantage concurrentiel est alors bien plus fort. C’est la stratégie de STRIPE qui veut être la plate-forme « outil » des commerçants en ligne. Cette stratégie l’éloigne de la banque traditionnelle.
On peut ainsi constater que les FINTECH conséquentes préfèrent s’éloigner des banques traditionnelles plutôt que de les confronter. Celles qui choisissent une stratégie frontale risquent fort d’aller au casse pipe: si elles veulent se différencier par les dépôts comme REVOLUT ou N26, elles n’ont pas les crédits pour monétiser et doivent alors sous-traiter le placement de leurs dépôts aux banques traditionnelles, perdant ainsi leur avantage. Si elles commencent par le crédit, il leur manque une base de refinancement stable et elles courent alors un risque de crédit crunch très nuisible pour la confiance du consommateur. Bref, il leur est très difficile de réaliser « the job to be done », c’est à dire d’être le partenaire de confiance pour l’ensemble des préoccupations financières de leurs clients. « The job to be done » nécessite l’intégration.
Il suffit pour les grandes banques universelles (BANK OF AMERICA, CITIGROUP, JP MORGAN, WELLS FARGO) d’être sur tous les créneaux des FINTECH, sans forcément être meilleur pour remporter la mise. Et c’est ce qu’elles font:
source S&P global market intelligence
La bonne vieille stratégie bancaire du cross selling semble être la plus adaptée aux menaces des FINTECH, car elle répond au « job to be done » tout en améliorant la rentabilité desdites banques. JP MORGAN s’est même offert le luxe le mois dernier de fermer sa FINTECH FINN, se recentrant sur CHASE: tout un symbole…