Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Le silicium, matériau semi-conducteur par excellence, représente plus de 25 % de la croûte terrestre. La géostratégie ne se situe pas au niveau de la matière première, à l’inverse du pétrole par exemple. En revanche, ce qu’on fait du silicium, c’est à dire des transistors assemblés en circuits intégrés puis en systèmes sur puces peut être beaucoup plus rare. Ainsi transformés, les semi-conducteurs sont le seul moyen de capter, traiter, stocker, partager, restituer de l’information rapidement, précisément, en masse et à très faible coût. D’où leur importance géostratégique.
Celui qui a l’information gagne la guerre, celui qui ne l’a pas la perd. C’est la leçon de Waterloo. La stratégie de Napoléon était claire: couper en deux la coalition des armées prussienne et anglaise en son milieu par une attaque surprise; puis pilonner les deux armées l’une après l’autre, profitant de la déstabilisation de la coalition. Après avoir défait l’armée prussienne, Napoléon a confié au maréchal Grouchy le soin de poursuivre cette armée dans sa retraite afin qu’elle ne puisse pas rejoindre les anglais contre qui il déployait maintenant ses forces. L’armée prussienne bat en retraite trop vite, Grouchy n’arrive pas à suivre, poursuit une armée fantôme qui en fait a changé de direction et est en train de rejoindre Waterloo. Grouchy n’a pas l’information et continue à chercher les prussiens. Les cannonades redoublées de Waterloo ne l’émeuvent pas, Grouchy attend les ordres pour rebrousser chemin. L’information arrive trop tard, l’armée napoléonienne, amputée du tiers de son effectif, subit une débâcle magistralement racontée par Stendhal dans La Chartreuse de Parme. Non seulement il faut maîtriser l’information, mais aussi la maîtriser rapidement !
Semi-conducteurs et information
L’idée de maîtriser les flux d’électrons pour envoyer des signaux date de 1874 quand Ferdinand Braun, un jeune ingénieur chimiste découvrit les propriétés semi-conductrices du cristal de galène. Les applications tardèrent à arriver. Pour manipuler les courants électriques, on préféra utiliser des tubes cathodiques inventés par ce même Braun en 1897. Cependant leur encombrement et fragilité les rendaient peu pratiques. La recherche sur les semi-conducteurs se poursuivit: en 1940, on commence à utiliser le germanium et le silicium (a la place du galène) dans les radars. Puis en 1947, une équipe du laboratoire d’AT&T invente le transistor (à base de germanium) qui servira d’abord dans les réseaux téléphoniques. Petit à petit le silicium supplantera le germanium, l’industrie des semi-conducteurs est lancée: d’abord les radars (capter) puis les téléphones et les radios (partager), puis les mémoires (stocker) et les microprocesseurs (traiter). L’unité de base de l’industrie des semi-conducteurs, le transistor (principalement MOSFET), est relativement facile à fabriquer. C’est la combinaison de ceux-ci dans des espaces toujours plus réduits, pour les fonctions variées que nous avons mentionnées, qui peut être difficile à reproduire et marquer la différence entre celui qui maîtrise l’information et celui qui subira le sort de Napoléon à Waterloo.
Industrie de masse par excellence
Le silicium étant très abondant, la valeur de l’industrie des semi-conducteurs repose sur la propriété intellectuelle, l’art d’assembler des transistors toujours plus miniaturisés, avec un outil de fabrication extrêmement perfectionné. C’est l’industrie de frais fixes par excellence. Je l’avais évoqué dans un précédent article:
De wikipedia:
Le silicium est l’élément chimique de numéro atomique 14, de symbole Si. Ce métalloïde tétravalent appartient au groupe 14 du tableau périodique. C'est l'élément le plus abondant dans la croûte terrestre après l’oxygène, soit 25,7 % de sa masse.
Le silicium étant particulièrement abondant, toute la valeur de la Silicon Valley provient de sa propriété intellectuelle, de sa capacité à transformer une matière sans valeur en un composé unique propriétaire, reproductible à l’envie, comme une puce ou un logiciel. Le modèle économique d’Intel était le même que celui de Microsoft et du câble avant eux: un gros frais fixe au départ (pour Intel le coût de la fonderie et du design de la puce, pour Microsoft, la recherche pour concevoir Windows), suivi d’un coût marginal très faible.
Naturellement, l’industrie s’est structurée au cours du temps autour de quelques champions dédiés à une seule tâche dans la grande chaîne de production, maximisant ainsi les économies d’échelle possible. Les seconds couteaux sont progressivement éliminés. Quelles sont ces tâches et champions ?
Il y a d’abord le logiciel qui va permettre de concevoir l’assemblage de transistors formant les circuits intégrés et la puce (unités de base, sous-ensemble, ensemble). L’architecte travaille sur un logiciel de CAO, le designer de puces sur un EDA (Electronic Design Automation). Les champions sont Cadence Systems, Synopsis et Mentor Graphic (filiale de Siemens). Cadence pèse $43 milliards en bourse, Synopsis $46 milliards.
Les designers sont des architectes qui dressent des plans. Ils conçoivent les puces, et systèmes sur puces. Texas Instrument conçoit des capteurs analogiques (transformant le signal analogique en signal digital), Intel principalement des CPU (microprocesseurs généraliste), Nvidia des GPU (microprocesseurs graphiques très puissants mais spécialisés), Qualcomm et Broadcom des puces de télécommunication, Micron des mémoires mortes et vives (Dram et Nand). De plus en plus des outsiders conçoivent leur propres puces ou systèmes sur puces; citons Apple, Amazon, Google, Tesla, Baidu qui veulent des puces adaptées à 100% à leurs besoins propres. La conception est la partie créative où les barrières à l’entrée sont les plus faibles: les compétiteurs sont nombreux à tenter leur chance, pourvu qu’ils aient un bon logiciel EDA. Le retour sur investissement peut être massif. Par exemple Nvidia pèse $550 milliards en bourse pour $10 milliards de fonds propres tangibles.
Les fonderies fabriquent les puces. La miniaturisation crée de la complexité, entraine des coûts fixes de plus en plus importants (maintien d’un environnement d’une propreté absolue, expertise des ingénieurs, amélioration du processus de production, équipement). Une fonderie dernier cri coûte $10 à $15 milliards. Dans les années 80, le modèle économique était l’intégration de la conception et de la fabrication. Xilinx, le premier concepteur de puces sans usine (il fabriquait de trop petites quantités), devait utiliser l’excédent de capacité des producteurs de l’époque. Après UMC en 1980, une deuxième fonderie pure est crée en 1987: TSMC. L’idée du sans-usine va se répandre et se renforcer à chaque diminution du noeud technologique mesuré en nm. AMD lance le mouvement en 2009 et fait un spin off de sa fonderie: GlobalFoundries. Le noeud technologique était de 45 nm. Nous en sommes aujourd’hui à 5 nm, en route pour 2 nm. Il n’y a plus grand monde en piste: TSMC, Samsung, Intel pour les puces les plus fines, le haut de gamme; GlobalFoundries, UMC, SMIC, en plus pour les puces utilisant des noeuds plus larges. Une grande partie des circuits intégrés sont encore conçus avec des noeuds larges (14 nm ou au delà, le 28 nm étant le format le plus répandu): le rapport coût/performance y est idéal pour de multiples usages dans la téléphonie, les PC et serveurs, l’automobile, l’industrie plus généralement, le stockage et les produits électroniques. Le marché est estimé à $400 milliards en 2023. Le haut de gamme lui ne représente que 5% du total: tout le monde n’a pas un iPhone 13 !
Les circuits intégrés sont fabriqués à partir de galettes de silicium qui subissent un certain nombre de transformations pour être gravées et découpées en dés (circuits intégrés élémentaires), qui sont alors assemblés pour constituer les puces. L’élément clé qui va déterminer la performance des circuits intégrés est la finesse de la gravure. TSMC a été visionnaire en misant très tôt sur un processus de lithographie révolutionnaire mais complexe à mettre en œuvre, développé par ASML: la lithographie extrême ultraviolet (EUV). Il commande sa première machine en 2010, donnant à ASML une chance de perfectionner l’outil. En 2019, TSMC est prêt à fabriquer des puces 7 nm+ en masse avec ce procédé. Seul Samsung a suivi et adapté son outil de production, de manière à produire un taux de déchet minime, une clé du succès. Les autres « fabs » sont laissées dans la poussière. ASML à le monopole de ces machines EUV qui coûtent $150 millions pièce et sont impossibles à copier vu leur complexité.
Les concurrents d’ASML (Nikon et Canon) en sont restés à la lithographie DUV (deep ultra violet) plus grossière. La technologie EUV marque la frontière entre les puces d’avant garde (<7 nm) et le tout venant, incapable de descendre à ce niveau. Ce n’est pour l’instant pas gênant, ce marché haut de gamme ne représentant que 5% de l’ensemble, mais cela va le devenir avec le temps et la loi de Moore. Les fonderies font appel aussi à d’autres équipements qui facilitent la gravure et contrôlent le process de manière à éviter les déchets. Les principaux intervenants sont Applied Material, Lam Research, KLA Tencor, Novellus.
Une fois les circuits intégrés produits, il faut les tester puis les assembler en puces. Cette opération requiert de la main d’œuvre, ce qui explique la présence de la Chine dans le trio de tête des assembleurs testeurs ou OSAT (ASE Technology/ Taïwan, Amkor Technology/USA, JCET/Chine). Dans tous les cas de figure, les usines en Chine prédominent en raison de leur avantage en coût de main d’œuvre. Les concurrents sont plus nombreux que dans le reste de l’écosystème car les barrières à l’entrée sont plus basses.
L’écosystème peut être résumé en un graphique:
Les caractéristiques de l’écosystème
Tous les systèmes d’information modernes (hormis pigeon voyageur), reposent sur l’industrie des semi-conducteurs que je qualifie d’écosystème. En effet il y a des relations très fortes d’interdépendance entre quelques rares acteurs (des quasi-monopoles) sur lesquels reposent l’édifice et surtout sa progression. Chaque métier est extrêmement pointu, nécessite une grande expertise et coordination avec les autres métiers de l’écosystème. Cela a deux conséquences fortes:
Les acteurs sont quasi impossibles à copier. On ne peut pas faire comme dans l’automobile par exemple, démonter la mécanique et apprendre à la remonter à l’inverse. Tout y est beaucoup plus minutieux et complexe: démonter, c’est détruire. De plus l’expertise isolée ne suffit pas. Tous les acteurs doivent faire leur recherche à l’unisson, ce qui exclut des expertises isolées. Il ne suffit pas de débaucher une équipe d’ingénieurs de pointe, il faut s’assurer qu’ils pourront continuer à travailler avec les autres.
Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, disait Lamartine. Cette citation s’applique parfaitement à l’industrie des semi-conducteurs. Retirez ASML et l’industrie est gelée dans sa progression, devant compter sur la technologie DUV dépassée de Canon et Nikon. Intel qui n’a pas misé sur la technologie EUV s’est fait marginalisé par le couple infernal AMD (fabless)/TSMC (fonderie). Si TSMC disparaît, à qui ASML vendra ses machines de $150 millions pièce ? De même, les designers ne peuvent pas faire du bon travail sans un canevas EDA Synopsis ou Cadence.
L’industrie des semi-conducteurs est un magot dont l’ensemble des économies profitent, mondialisation aidant. La demande est largement chinoise ($378 milliards en 2020 sur 439 milliards!), qui en réexporte une bonne partie après assemblage à bas coût dans des produits finis, l’autre partie alimentant les Alibaba, Tencent …et l’armée chinoise. Cette situation, favorable pour le commerce, est-elle durable ? Le no man’s land du commerce des semi-conducteurs peut devenir soudain un jeu de chaises musicales. L’environnement actuel est plutôt à la protection de son territoire. L’information est clé quand on commence à se voir en rival. Celui qui la domine tient les rennes du pouvoir. D’un point de vue géostratégique, il y a maintenant deux questions: 1/ Puis-je récupérer le magot ? Ou 2/ tout au moins, puis-je empêcher qu’un ennemi potentiel ne capte ce magot ? Le combat est désormais mené sur les deux fronts et il concerne au premier chef les Etats-Unis et la Chine, l’Europe jouant le rôle de figurant (j’ai bien peur que le chips act européen, annoncé avec grande pompe soit un chef d’œuvre bureaucratique, un emplâtre sur une jambe de bois).
Puis-je récupérer le magot ?
Position des Etats-Unis
Ils leur manque un chaînon: l’équivalent de TSMC.
Les Etats-Unis dominent très largement l’écosystème: les deux fournisseurs EDA, Synopsis et Cadence sont américains, les Etats-Unis ont des designers de pointe comme Apple, Tesla, Intel ou Nvidia entre autres, ils maîtrisent la chaîne d’équipementiers, y compris le hollandais ASML, qui reçoit ses ordres de Washington. Ils sont très bons également dans l’assemblage. Leur seul point de faiblesse, mais non des moindres est la fonderie. Les Etats-Unis ont laissé filé leur expertise industrielle depuis les années 80. C’est pendant l’ère Reagan (1980/1988) que s’est creusé le découplage entre la Silicon Valley et l’Etat, découplage qui a fini par devenir clivage avec les années. La Silicon Valley est un pur produit de l’interventionnisme d’Etat et des programmes militaires de la deuxième guerre mondiale et des années qui ont suivi. Sans ces derniers, l’effet d’échelle potentiel n’aurait pas permis l’investissement nécessaire: le civil était un complément du militaire, il a fini par prendre la part du lion. Hewlett Packard est la première société de la Silicon Valley, son emblème.
Fondée dans un garage à Palo Alto en 1939, elle fabrique des oscillateurs qui seront utilisés par l’armée américaine pendant la deuxième guerre mondiale. Puis la société continuera à bénéficier des commandes militaires, renforcées lors de la guerre de Corée. En 1969, David Packard sera même nommé secrétaire d’Etat adjoint à La Défense des Etats-Unis ! On imagine le tollé si Mark Zuckerberg était maintenant promu à ce poste…Après la présidence Eisenhower (1953/1961), la bureaucratie s’est installée dans le processus de commandes militaires. Le Congrès s’est immiscé dans le processus budgétaire qui est devenu progressivement une affaire de lobbies. Ronald Reagan a donné le coup de grâce: ancien comédien, il était le roi de l’esbroufe. Il augmenta massivement les dépenses militaires pour impressionner l’URSS, empila les armes pour faire une démonstration de force. Parallèlement, il se fit le chantre de l’économie privée et plus particulièrement de la Silicon Valley, paradis de la liberté individuelle et de la créativité. A l’Université d’Etat de Moscou, il fit en 1988 un discours mémorable devant un parterre de 600 étudiants ingénieurs. D’après Digital History:
Alors qu'il s'adressait aux étudiants, le président se tenait sous un buste de Lénine, le leader de la révolution russe, et devant une fresque murale remplie de drapeaux de la révolution. "Debout ici devant une fresque de votre révolution", je veux parler d'une révolution très différente qui... balaie tranquillement le monde, sans effusion de sang ni conflit", a déclaré le président de 77 ans devant des rangées de visages rayonnants. On l'a appelée la "révolution de l'information". À l'avenir, a-t-il déclaré, la croissance économique et l'innovation technologique dépendront de l'esprit d'entreprise dans les affaires et de l'inventivité et de l'audace des individus.
Pendant son discours, le président a présenté un bref cours d'histoire américaine, décrivant la Déclaration d'indépendance, la Constitution des États-Unis, le procès par jury, la liberté de culte et de parole. "La liberté, a-t-il dit, est le droit de remettre en question et de changer la façon établie de faire les choses." Les étudiants ont répondu avec enthousiasme. Le New York Times a fait un éditorial : "Lorsque les gens se pencheront un jour sur les étapes de la guerre froide, ils se souviendront probablement du jour où Ronald Reagan a vanté la liberté, sous le regard de Lénine."
Subtilement, il introduisit un coin entre l’Etat et l’initiative privée, entre la Silicon Valley et les dépenses militaires. Ce coin est devenu un gouffre. Dans les années 90, il ne fut question que de consolidation des sociétés d’armement, la réduction des dépenses militaires étant le nouvel ordre du jour. Une telle dynamique faisait fuir les meilleurs ingénieurs qui préféraient travailler pour Microsoft ou Intel. A partir du moment où La Défense devenait une préoccupation secondaire, la délocalisation de l’outil de production non seulement n’était plus un problème mais était la solution pour se concentrer sur la valeur ajoutée la plus intellectuelle. Dans les années 2000, les spin off de fonderies sont devenues légion: Motorola introduit en bourse Freescale en 2001, Philips se sépare de Philipps semiconductors en 2006, AMD de GlobalFoundries en 2009, IBM vend son activité de fonderie en 2014. La mode est au fabless: conçu aux Etats-Unis, fabriqué à Taïwan. Aujourd’hui TSMC et UMC, deux sociétés taïwanaises concentrent 60% de la production (grace à Morris Chang, pur produit de l’industrie des semi-conducteurs américaine). Plus encore TSMC et Samsung sont les seuls à savoir graver en 7 nm et en dessous, c’est à dire à produire les semi-conducteurs de pointe. Les Etats-Unis ont un triple problème géostratégique:
Ils ne produisent pas assez en interne, et aucune des puces les plus performantes. Leur autosuffisance repose sur quelques acteurs comme Intel, Texas Instrument ou Micron qui réalisent une grande part de leur production sur le territoire US.
Le gros de la production se fait à Taïwan, régulièrement revendiqué par la Chine voisine.
L’armée est devenue un client secondaire de l’industrie des semi-conducteurs (un peu comme l’automobile). Elle a appris (depuis Reagan) à se concentrer sur la force de frappe plutôt que sur l’information, le nm de la puce et les données. Les commandes vont systématiquement à l’oligopole militaro-industriel bien représenté au congrès. L’innovation est absente. Les forces armées empilent le matériel, les communications et l’intelligence artificielle sont le parent pauvre. Un iPhone est plus perfectionné qu’un F35.
Il y a pour les Etats-Unis un enjeu majeur à réinvestir dans leur propre outil et à en devenir le premier client, à réorienter la recherche de manière à rattraper leur retard en matière militaire, à adapter leur Défense aux enjeux du XXI eme siècle: moins d’hommes, plus d’intelligence artificielle, moins de gros matériel bien visible (comme un porte-avions), plus de matériel furtif et communicant, moins de stratégie conventionnelle (terre/air/mer), plus d’utilisation du spatial. La tâche ne sera pas aisée: on est arrivé à un tel clivage entre l’armée et la Silicon Valley qu’une société comme Google peut refuser de travailler sur un projet d’intelligence artificielle du Pentagone sous la pression de ses salariés (2018). Il ne suffira pas de $50 milliards de subventions à l’industrie des semi-conducteurs (0,2% du PNB) pour changer quoi que ce soit. Les Etats-Unis ont besoin d’une contre-revolution intellectuelle !
Position de la Chine
La Chine ne cherche pas à récupérer le magot mais a le reproduire en interne.
Elle accuse un retard de 10 ans sur l’écosystème actuel des semi-conducteurs. Elle n’a pas d’EDA, ses équipementiers sont capables d’équiper une fonderie certes, mais une fonderie d’ancienne génération. Les équipementiers chinois fournissent moins de 5% du marché global. SMIC, leur principale fonderie avec 11% du marché mondial, ne peut graver au dessous de 14 nm. Les chinois sont bons dans le design où les barrières à l’entrée sont plus basses, mais ils dépendent quand même d’ARM pour l’architecture, bientôt sous la coupe de NVDIA: Alibaba et Baidu ont conçu leur propre puce d’intelligence artificielle, mais sous-traitent la production (à TSMC et à Samsung). Enfin la Chine occupe 35% du marché de l’assemblage grâce à sa main d’œuvre experte et bon marché. Au final, la Chine ne satisfait qu’à 30% à ses propres besoins mais vise l’autonomie d’ici 2025. Le XIVème plan 2021/2025 prévoit un investissement de $1,4 trillion dans les technologies allant des réseaux sans fil à l’intelligence artificielle. C’est dire que le Parti Communiste prend très au sérieux l’importance de l’écosystème et de son contrôle. La Chine pourrait être tentée d’envahir Taïwan pour se saisir de TSMC, et faire pression sur le reste de la chaîne. Mais les 1 000 ingénieurs sans lesquels les fabs ne peuvent pas tourner partiraient par le 1er vol. Les chinois prendraient possession d’une coquille vide (sans compter les sabotages faciles possibles). Plus judicieusement, ils cherchent à acheter des transferts de propriété intellectuelle, débaucher des ingénieurs de pointe de TSMC tout en promouvant une industrie interne de bout en bout (par la politique de la carotte et du bâton). Dans quelques années, la Chine sera probablement autosuffisante sur les puces moyenne gamme, gravées en 28 nm, le marché le plus important et le plus rentable. Ses entreprises gagneront un effet d’échelle qui leur donnera les moyens d’investir dans la recherche.
Il est peu probable que la Chine rattrape son retard à un horizon de 10 ans, même si elle devient autosuffisante. En a-t-elle vraiment besoin ? Une caractéristique des démocraties est la lenteur dans la prise de décision, à la différence des régimes dictatoriaux. Il a fallu Pearl Harbour pour que les Etats-Unis se lancent à fond dans la deuxième guerre mondiale. Leur réaction face au Coronavirus a été des plus chaotiques au début, alors que la Chine n’a pas hésité longtemps avant de confiner sévèrement Wuhan. Il en est de même de la stratégie de La Défense. Les Etats-Unis sont empêtrés dans leur logique de grosses plateformes, de puissance brute. Le statu quo est la solution de facilité pour le congrès et les lobbyistes des sociétés d’armement. L’industrie des semi-conducteurs est sous exploitée par l’armée américaine. Pendant ce temps, la Chine a intégré que la guerre ne se ferait pas comme avant et que l’intelligence artificielle pouvait représenter un atout majeur dans la conduite d’un futur conflit. Le militaire s’appuie complètement sur le civil et le pousse fortement. Il cherche à établir des ponts entre les projets high tech pour les stimuler (comme à la Belle Époque de l’Université de Stanford). L’intelligence artificielle ne demande pas les puces les plus finement gravée. Les puces Habana par exemple, fleuron d’Intel sont gravées en 16 nm. La Chine peut donc pousser son avantage avec son propre outil et ce tant que les Etats-Unis resteront dans leur logique. Elle opposera à la puissance brute de multiples objets létaux intelligents et communicants, difficiles à trouver et à détruire.
Puis-je empêcher qu’un ennemi potentiel ne capte ce magot ?
Ni les États-Unis, ni la Chine n’ont un avantage décisif en matière de semi-conducteurs. Les Etats-Unis ont la supériorité technologique mais ils ne savent pas l’utiliser. La Chine est en retard sur la technologie mais en avance sur son intégration dans l’armement.
Position des Etats-Unis
A défaut de pouvoir utiliser efficacement leur avantage technologique, les États-Unis cherchent officiellement à isoler la Chine et à lui barrer l’accès à la technologie occidentale. Un fournisseur de high tech installé dans un pays allié des Etats-Unis ne peut vendre à la Chine des produits contenant de la technologie américaine…sans leur demander la permission. Un problème est que les Etats-Unis ont besoin de vendre, phénomène exacerbé par la structure de frais fixes de l’industrie des semi-conducteurs. La Chine représentant plus de 80% des débouchés de l’industrie, il faut s’attendre à une certaine souplesse sur les autorisations. Les résultats de Huawei en 2020 ont enregistré un record historique ! Les rodomontades des Etats-Unis ne font que renforcer la Chine dans sa détermination à l’autosuffisance. Un deuxième problème pourrait émerger si les Etats-Unis appliquent de manière rigide leurs mesures restrictives. Poussée à bout, la Chine pourrait décider de l’invasion de Taïwan n’ayant plus rien à perdre, pour empêcher les États-Unis de profiter du joyau TSMC. Nous assistons donc à une belle scène de cinéma.
Position de la Chine
La Chine peut difficilement empêcher les Etats-Unis de constituer une industrie des semi-conducteurs intégrée. Ces derniers ont obtenu en 2021 de TSMC un investissement pouvant aller jusqu’à $35 milliards sur leur territoire avec 6 usines. Cette préoccupation nouvelle des États-Unis ne va pas jusqu’à remettre en cause leur façon d’allouer les crédits militaires. La stratégie la plus judicieuse pour la Chine est d’agiter le chiffon rouge et de faire résonner des bruits de botte autour de Taïwan. Elle peut espérer ainsi que le congrès dans la précipitation redouble d’effort dans ce qu’il fait déjà: accorder des crédits au complexe militaro- industriel sans penser à la guerre de l’intelligence artificielle, de l’internet des objets avec la 5G et du spatial, sans penser à intégrer la Silicon Valley dans sa stratégie militaire. Pour la Chine, il s’agit juste de gagner du temps et l’autosuffisance.
Il faut généralement un fait marquant pour que les Etats-Unis se réveillent. Celui là sera-t-il suffisant ? The Brew le 18 octobre 3021:
Selon le Financial Times, la Chine a lancé en août un missile hypersonique à capacité nucléaire qui a fait le tour du monde en orbite terrestre basse avant de frapper une cible.
Si un "missile hypersonique à capacité nucléaire" vous semble effrayant, eh bien... il l'est encore plus pour les responsables du renseignement américain, qui ont été complètement pris au dépourvu par les progrès de la Chine en matière d'armes hypersoniques. "Nous n'avons aucune idée de la façon dont ils ont fait cela", a déclaré une source au FT.
Qu'est-ce qu'un missile hypersonique ? C'est une arme qui vole à 5 fois la vitesse du son. C'est plus lent que le déplacement d'un missile balistique, mais ce qui rend les armes hypersoniques plus dangereuses, c'est qu'elles peuvent être manœuvrées pendant leur vol, alors que les missiles balistiques se déplacent sur une parabole fixe. Par conséquent, la Chine pourrait échapper aux systèmes de défense actuels des États-Unis et "exécuter une frappe nucléaire sur n'importe quelle cible sur terre en toute impunité et avec très peu d'avertissement", selon The War Zone.
Un rapport avec les semi-conducteurs ? Faites une recherche sur Pythium Technology.
Bonnes fin de semaine et vacances de la Toussaint pour ceux qui en prennent,
Hervé