Il est temps d'innover !
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
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L’électrochoc
Le monde était devenu confortable pour les BigTech. Les points de passage obligés du monde d’avant, induits par la rareté des canaux de distribution avaient sauté: la presse, la TV, la grande distribution, les grandes marques. Par internet, le consommateur pouvait avoir accès à tout Over The Top, le problème devenait le choix. Le logiciel était la solution pour trier l’information, aider au choix et avec son modèle économique de coût marginal zero se devait de conquérir les consommateurs du monde entier, quitte à brader les prix. Chacun avec sa manière de trier différente a pu conquérir le consommateur en faisant appel à un de ses différents trait de personnalité: Google a fait appel à la curiosité, Facebook à la sociabilité, Amazon au matérialisme, Apple à la volonté de se distinguer. A l’inverse des méthodes monopolistiques d’avant internet, où une fois le marché conquis, on remontait les prix, le consommateur finissant par en faire les frais, la technique des BigTech était très différente: on faisait payer le producteur. Ce dernier n’avait plus la main, séparé qu’il devenait des clients, et était bien content de faire du chiffre d’affaires. Cette division du travail permettait d’avoir toujours un client satisfait et un argument par rapport à l’Autorité de la Concurrence. Les BigTech sont devenus imbattables constituant un oligopole assiégeant les différentes facettes de la personnalité des clients.Ils sont devenus des agrégateurs, selon la définition de Ben Thompson: des entités ayant le le lien direct avec le client, une offre digitale à coût marginal nul et la capacité à ajouter de nouvelles offres indéfiniment sans plus avoir à acquérir le client. Les agrégateurs sont des trous noirs attirant tout sur leur passage. La conséquence inévitable quand on tire sur le producteur est de paralyser l’innovation et de réduire la productivité. C’est pourquoi on a aujourd’hui un monde d’innovations perçues très fortes (partie émergée de l’iceberg/tout ce que propose les BigTech au consommateur final) qui cache une très faible innovation réelle (partie immergée). L’internet n’était pas forcément voué à une telle impasse car il réduit aussi les barrières à la création (frictions et coût). Il aurait pu se développer dans un sens beaucoup plus favorable à la créativité, à la productivité. Avec un smartphone et une connexion internet, un créatif a accès à la scène mondiale, sans les frictions d’antan. Cependant la direction en Occident est, depuis l’après deuxième guerre mondiale, la consommation. Le marché de la consommation s’élève à près de $14 T aux Etats-Unis, les 2/3 du PNB. Le consommateur est la cible naturelle. BigTech apporte ce que veut le consommateur, il n’est pas chargé de le surprendre. La motivation à valoriser le créatif n’y est pas, celle de faire payer le producteur en peine d’atteindre le consommateur au contraire est très forte. Cet internet semblait fait pour durer...
Arrive TikTok. L’application au départ n’est pas prise au sérieux. Elle est détenue par une société chinoise (même si elle est américaine à la base, ayant changé son nom de Musical-ly à TikTok). Elle vous propose des vidéos courtes, filmées par quelqu’utilisateur de l’application que ce soit, sélectionnées par un algorithme qui décèle vos goûts en fonction de la manière dont vous passez d’une vidéo à l’autre. C’est une sorte de réseau social qui présente une différence clé par rapport à Facebook. Ce dernier est centré sur le graphe social, c’est à dire la liste des amis. Un créateur qui publie une vidéo devra d’abord très remarqué par ses amis, puis espérer être relayé dans un autre groupe et ainsi de suite. Facebook n’ a pas pour objectif de faire le buzz sur votre vidéo mais de maximiser les relations entre amis. De même YouTube (Google) est centré sur la qualité de son moteur de recherche, pour satisfaire le consommateur, pas sur la promotion des créateurs (ceux-ci doivent payer pour être en promotion, sauf s’ils ont déjà percé). TikTok au contraire va donner sa chance au créateur de trouver son public idéal, ses super fans, en allant le chercher dans le monde entier. Il y a un changement complet de perspective: la priorité devient le créateur, non plus le consommateur. Contrairement au monde d’avant internet, la curation est algorithmique, non humaine, coûte beaucoup moins cher et se démocratise. Le système TikTok est très simple: vous envoyez une vidéo, TikTok l’envoie à un groupe test. S’il y a du répondant, il élargit le cercle et ainsi de suite. Il n’est plus besoin d’être Steven Spielberg, d’être repéré par un célèbre agent comme Michael Ovitz, de faire partie du monde cosi d’Holywood, pour percer. Que le meilleur gagne ! La concurrence est la recette de la productivité. TikTok devient un succès phénoménal, preuve qu’en s’adressant au créatif, on obtient son public. Plus même, il déclenche une frénésie de créativité. Au 20 avril 2020, l’application avait été téléchargée 2 milliards de fois et attire 800 millions d’utilisateurs quotidiens. Bloomberg, le 27 mai 2020:
La société mère de TikTok, ByteDance Ltd., a généré plus de 3 milliards de dollars de bénéfices nets sur plus de 17 milliards de dollars de recettes l'année dernière, des chiffres qui montrent que la start-up la plus précieuse du monde continue de croître à un rythme soutenu, selon des personnes qui connaissent bien le sujet.
Le chiffre d'affaires de l'année dernière a plus que doublé par rapport aux 7,4 milliards de dollars de la société en 2018, grâce à la croissance phénoménale du trafic des utilisateurs qui a détourné les annonceurs de Tencent Holdings Ltd. et Baidu Inc. Les personnes ont demandé à ne pas être identifiées car les détails financiers sont privés.
ByteDance est devenu l'une des réussites les plus surprenantes de l'industrie technologique, une entreprise chinoise innovante qui remet en question la domination mondiale des géants américains de l'internet. Elle attire chaque mois quelque 1,5 milliard d'utilisateurs actifs dans une famille d'applications qui comprend la plateforme de vidéos courtes TikTok, son jumeau chinois Douyin et le service d'information Toutiao
Un grand classique de la disruption: Tencent et Facebook ne prenaient pas au sérieux TikTok. Ils considéraient l’app comme un phénomène de mode sans avenir, ayant du mal à imaginer un monde sans graphe social. Mais l’engagement sur TikTok ne faiblit pas: 52 minutes par jour en moyenne, contre 58,5 minutes pour Facebook, 53 minutes sur Instagram et 49,5 minutes sur Snapchat. Le temps passé n’est pas tout, comme le soulignent Facebook et Tencent (WeChat), mais il est un signe fort. Pour la première fois les BigTech sont attaquées par une manière de faire qu’elles ne peuvent copier et intégrer dans leur application principale, leur méthode pour tuer la concurrence. TikTok est un électrochoc, non seulement pour les BigTech mais pour le monde des créateurs qui cherchent une opportunité pour se libérer. L’application montre la voie à suivre...dans des domaines insoupçonnés, déjà à l’intérieur de TikTok. Cet article de CNBC montre comment la gestion pour compte de tiers pourrait être chamboulée par TikTok. TikTok est le symptôme d’une nouvelle ère, celle où on pourrait voir un déchainement de créativité pour repenser notre monde...
Le blocage
Le processus d’innovation est bloqué. Comment en est on arrivé là ? L’accès au consommateur a été verrouillé par Facebook, Google et Amazon, de la publicité à la vente, progressivement du paiement à la livraison. Soit vous êtes un faire valoir pour le moteur de recherche, le réseau social ou la place de marché, soit vous payez pour être placé au bon endroit, au bon moment. Pourquoi cela nuit-il à la créativité ? Après tout, Facebook permet à 140 millions d’entreprises de créer une page gratuite et 8 millions paient pour atteindre leurs cibles. Ne pourrait on pas au contraire parler de complémentarité ? Le problème est que les BigTech prennent la plus belle part de l’arbitrage recherché par les créateurs, en organisant l’accès au client par un système d’enchères. Un marché arbitré ne pousse plus à la création. Bill Janeway dans son livre Doing capitalism in the innovation economy décrit l’innovation comme un arbitrage que la mise en place du débouché permet de concrétiser, donnant des perspectives de x20 ou x30, compensant le risque:
Dans l'ère prémoderne et préindustrielle qui est le sujet de Braudel, «le jeu capitaliste ne concernait que les connexions inhabituelles, très spéciales ou à très longue distance». «C'est dans le commerce à longue distance que les capitalistes de Braudel ont prospéré: -le commerce à distance a certainement fait de super profits, il était après tout basé sur la différence de prix entre deux marchés très éloignés, avec l'offre et la demande dans l'ignorance complète l'un de l'autre et mis en contact uniquement par l'activité d'intermédiaires .. Si dans la plénitude de temps la compétition est apparue, si les super-profits disparaissaient d'une ligne, il était toujours possible de les retrouver sur une autre route avec des produits différents. Flexibilité illimitée pour arbitrer à travers un vaste espace géographique: c'est l'attribut définitif de Braudel du capitaliste prémoderne. Et la recherche de «super-profits» préfigure la recherche canonique par des investisseurs aventureux d'opportunités avec des «distributions asymétriques de résultats»: inconvénient limité («nous ne pouvons pas perdre plus que tous nos investissements ") et à la hausse sans limite.
La notion d'arbitrage comme essence de la transaction capitaliste a une résonance puissante. Pour le capital-risqueur moderne, l'arbitrage se situe généralement entre une innovation technologique et le produit ou service commercial qui peut en être dérivé. Ma propre expérience suggère que trop de poids est souvent accordé à la gestion du processus de transformation technique - «recherche et développement» - et trop peu à la sélection du marché cible et à l'établissement d'un canal vers ce marché.
Le système d’enchères développé par Google ou Facebook est astucieux car il permet de montrer que ces deux groupes ne profitent pas de leur position dominante sur le marché publicitaire digital pour pratiquer des prix de monopole. Grace à ce système au contraire, ils attirent les annonceurs au plus juste prix, en réduisant les frictions. Au départ, c’était intéressant pour les créateurs car le marché publicitaire digital n’était pas encore arbitré. La loi de l’offre et de la demande s’impose maintenant dans des marchés de plus en plus arbitrés, le nombre de candidats augmentant constamment. Le mythe des prix de bandits pratiqué par Facebook et Google est inexact. En revanche, le marché du débouché commercial étant arbitré, une grande partie du potentiel financier lié à l’acte de création s’évanouit et du coup la motivation pour créer aussi...Chamath Palihapitiya le résume ainsi dans la lettre 2018 de Social Capital :
Il fut un temps où investir de l'argent dans une start-up était une sorte d'exercice de boîte noire : Les premiers investisseurs d'Intel savaient qu'ils pariaient sur un nouveau type de microprocesseur, mais les étapes techniques et de mise sur le marché nécessaires pour se rendre du point A au point B exigeaient une exploration considérable de l'inconnu.
Aujourd'hui, l'investissement à risque a pris une tournure différente. La plupart des nouveaux produits et services sont conçus en grande partie à partir de logiciels de cloud computing et de logiciels libres loués, et les modèles commerciaux des logiciels se répartissent généralement en quelques catégories bien comprises (ad supported, SaaS, freemium, etc.). Aujourd'hui, le plus difficile pour la plupart des jeunes entreprises est de trouver le chemin du marché : il faut d'abord trouver un produit adapté au marché et un moyen d'atteindre les clients, puis construire une machine impitoyable pour les acquérir, les monétiser et les conserver.
C'est pourquoi, lorsque l'industrie du capital-risque investit aujourd'hui des capitaux dans des start-ups à croissance rapide, la majorité, voire la totalité, des capitaux investis sera consacrée à l'acquisition d'utilisateurs et aux dépenses publicitaires, pour le meilleur ou pour le pire (généralement le pire).
La créativité pour trouver un aboutissement dans notre système capitaliste nécessite un investissement significatif, lequel doit être amorti sur des achats répétés. Une route sûre vers le client doit être imaginée et tracée. L’équivalent de la route de Braudel aujourd’hui est la communauté de fans qu’on peut fédérer autour de son offre. Les agrégateurs, en faisant payer le prix de marché pour accéder au client, tuent la relation qu’il pourrait y avoir entre le créateur et son client, ne laissent aux créateurs potentiels qu’une logique de coups à court terme, les privant de capacité d’investissement et les incitant au recyclage de l’existant. Typiquement on recycle des articles de journaux (Facebook), des maisons (Airbnb), des voitures (Uber)...
Dans l’économie capitaliste, en plus des perspectives rationnelles de profit important, il y a deux moyens supplémentaires pour favoriser l’innovation:
L’intervention de l’Etat: par exemple, la création d’internet ou du grand réseau autoroutier après guerre aux Etats-Unis ou des nouvelles frontières de l’espace ayant propulsé l’industrie des semi-conducteurs.
Les bulles financières qui permettent de financer les projets les plus fous, Certains créateurs d’innovations spectaculaires. Citons la bulle des télécommunications en 2000, qui a permis de poser des réseaux en fibre optique reliant les continents en surcapacité inimaginable au début, mais qui a servi de fondation à l’internet d’aujourd’hui, au cloud, etc.
Force est de constater que ces deux moteurs de l’innovation sont également en panne. L’Etat, surendetté s’occupe d’avantage de répartition que d’investissement. Les taux zéro tuent la prise de risque: une petite croissance régulière suffit à une valorisation en théorie infinie. Pourquoi aller chercher plus loin ?
Le blocage est donc total: notre monde occidental centré sur la consommation se trouve alors complètement impuissant quand le contexte change radicalement comme avec le COVID-19, incapable d’utiliser sa capacité productive intelligemment, la seule solution devient le confinement et la cessation de toute activité productive.
La lutte est engagée…
Deux internet sont maintenant en confrontation ouverte: celui centré sur la consommation, dominé par les agrégateurs et celui centré sur la création. L’internet de la création est possible car le cloud a fait tomber les barrières, prenant à sa charge des montants colossaux de charges fixes que supportaient les créateurs auparavant. Amazon s’est disrupté lui-même pour être des deux côtés de l’internet, par un mouvement brillant de Jeff Bezos. L’internet de la création cherche à réaliser de nouveaux arbitrages (à la Braudel ou à la Janeway), donc:
ne doit pas être un porte-voix de l’ancien système créatif, l’arbitrage étant fermé depuis longtemps. Quibi, fondé par Jeffrey Katzenberg produit et distribue en streaming des vidéos courtes réalisées par des pros d’Hollywood, jouées par des acteurs célèbres. L’application, lancée le 6 avril 2020 est pour l’instant un échec, bien que gratuite pendant 90 jours. La société ne vise plus que 2 millions de souscripteurs l’année 1. Le service Quibi est onéreux (il faut bien payer toute la machinerie d’Hollywood) et en concurrence avec TikTok et ses millions, voire milliards bientôt de créateurs. Hollywood a été arbitré, la création pouvant maintenant venir du monde entier.
doit éviter de se rendre prisonnier des agrégateurs (Facebook, Google, Amazon), pour faire son chemin vers ses superfans, à un prix non arbitré. C’est une nécessité pour que les perspectives de gain soient proportionnées au travail entrepris. La création de communautés est un élément crucial du succès.
doit viser de préférence l’intégration avec le monde physique pour éviter la banalisation. C’est probablement là qu’il y a le plus d’opportunités A l’inverse du numérique, l’espace et le temps sont uniques et non reproductibles à l’identique. Ils ne peuvent être “mangés” facilement par le logiciel et banalisés. L’intégration pour reprendre la terminologie de Clayton Christensen est indispensable quand il y a un gap entre la façon de faire actuelle et le « job to be done », ce que demande le consommateur. L’intégration permet la vitesse et le feedback, comme vu dans notre article sur les voitures autonomes, elle permet d’arbitrer le présent et le futur inévitable tel qu’imaginé par le créateur. Un exemple type d’intégration monde physique/internet est le développement des schistes aux Etats-Unis.
Apple est l’exemple type de société qui construit. Apple vise l’intégration de toutes les pièces du microprocesseur jusqu’au software et la distribution (Apple stores, Appstore, Apple Store digital). Steve Jobs était un créateur prosélyte: ses produits devaient être des outils pour créer. En 1990, il résume la vocation d’Apple:
Je pense que l'une des choses qui nous séparent vraiment des grands primates est que nous sommes des constructeurs d'outils. J'ai lu une étude qui a mesuré l'efficacité de la locomotion de différentes espèces sur la planète. Le condor est celui qui utilise le moins d'énergie pour se déplacer sur un kilomètre. Et, les humains sont arrivés avec une performance plutôt peu impressionnante, à environ un tiers de la liste. Ce n'était pas une performance très fière pour la couronne de la création. Donc, ça n'avait pas l'air très bon. Mais quelqu'un de Scientific American a eu l'idée de tester l'efficacité de la locomotion d'un homme à vélo. Et un homme à bicyclette, un humain à bicyclette, a fait exploser le Condor, complètement hors du commun.
Et c'est ce qu'est un ordinateur pour moi. Ce qu'est un ordinateur pour moi, c'est l'outil le plus remarquable que nous ayons jamais créé, et c'est l'équivalent d'une bicyclette pour nos esprits".
C’était l’internet voulu par Steve Jobs (pas forcément le même que celui actuel de Tim Cook) et c’est celui qui est en train de se construire en parallèle de celui des agrégateurs: l’internet des outils. Une alliance anti agrégateurs se met en place:
TikTok pour la promotion: TikTok permet de trouver son public grâce à son algorithme, à le fidéliser en poursuivant par un abonnement et enfin de le monétiser à l’intérieur ou à l’extérieur de l’application.
Shopify pour la vente: Shopify permet de constituer un site marchand en quelques minutes, personnalisé, avec l’URL de son choix pour un abonnement modique.
Stripe pour les paiements: Stripe est une API de paiement en ligne facilement intégrable dans un site marchand.
On peut rajouter Microsoft, AWS, Google cloud ainsi que tous les SAAS permettant de mieux travailler l’information à coût réduit.
Cette alliance est un premier pas visible pour contourner la pub digitale Facebook/Google et la vente sur une marketplace où Amazon impose sa loi. Il préfigure la prolifération d’outils favorisant la création en réduisant la facture des frais fixes pour les créateurs, un impératif dans un monde de taux zéro. Ils sont un espoir sérieux pour remettre en ordre le processus créatif. La question est de savoir ce qu'il reste à créer...et si le trépied va reconstituer ses deux jambes manquantes, l’intervention de l’Etat dans le processus d’innovation et une politique monétaire qui arrête le contrôle des taux.
Les opportunités d’arbitrage
Pour détecter les opportunités d’arbitrage, il suffit de regarder l’inflation. Elle est au plus bas, montrant qu’il y a un excès de capacité de production partout, sauf dans au moins trois domaines:
La santé
L’éducation
L’immobilier résidentiel.
où l’inflation est endémique.
Prenons l’exemple de la santé où l’intégration de l’internet et du monde physique crée une belle opportunité d’arbitrage, déjà saisie par Apple. Les données santé d’un individu sont éparses et mal connectées entre elles. Cela a des conséquences majeures sur sa santé: prévention insuffisante et retards dans les diagnostics, qui contribuent à l’inflation des coûts. Apple est en train de remédier à cela en créant un OS (l’application ❤️) de la santé intégré aux différents hardware qu’il propose ou va proposer: IPhone, Apple Watch, AirPods, Apple Glasses, Airtags (pour le traçage Covid), etc. Voici l’exemple d’une intégration qui pourrait changer la donne pour la santé. Apple pose ses briques une à une. C’est moins spectaculaire que l’annonce par les trois géants Amazon/JP Morgan/Berkshire Hathaway d’un joint venture destiné à régler la problématique de la santé mais je reste sceptique des grands plans. Un an après l’annonce, son charismatique CEO Atul Galwande a démissionné.
L’éducation est également un terrain fertile pour réaliser un arbitrage. Voici ce qu’en dit Marc Andreessen dans It’s time to build:
Nous avons des universités haut de gamme, oui, mais avec la capacité d'enseigner seulement un pourcentage microscopique des 4 millions de nouveaux jeunes de 18 ans aux États-Unis chaque année, ou des 120 millions de nouveaux jeunes de 18 ans dans le monde chaque année. Pourquoi ne pas éduquer tous les jeunes de 18 ans ? N'est-ce pas la chose la plus importante que nous puissions faire ? Pourquoi ne pas construire un nombre beaucoup plus important d'universités, ou agrandir celles que nous avons déjà ? La dernière grande innovation dans l'enseignement de la maternelle à la 12e année a été Montessori, qui remonte aux années 1960 ; nous avons fait des recherches sur l'éducation qui n'ont jamais été mises en pratique depuis 50 ans ; pourquoi ne pas construire beaucoup plus de grandes écoles de la maternelle à la 12e année en utilisant tout ce que nous savons maintenant ? Nous savons que le tutorat individuel peut augmenter de manière fiable les résultats scolaires de deux écarts types (l'effet Bloom à deux sigma) ; nous avons l'internet ; pourquoi n'avons-nous pas construit des systèmes permettant de mettre en relation chaque jeune apprenant avec un tuteur plus âgé afin d'améliorer considérablement la réussite des élèves ?
Marc Andreessen fait bien ressortir l’absence de créativité dans l’éducation depuis Montessori. L’école reste figée dans un modèle top down qui correspond de moins en moins à la réalité de ce qui est vécu après. Dans mes article Distanciation !et Le cinquième pouvoir j’ai essayé de montrer la transformation de notre rapport à l’information avec internet:
Le monde d’abondance créé par internet renverse les lieux de pouvoir. Les institutions, dont les états, les entreprises, etc. ont été créées et légitimées pour gérer la rareté; elles concentrent l’information qui leur permet de réaliser ce dessein et de légitimer leur pouvoir. Les institutions sont dispensateurs du savoir, de la vérité et adoubent leurs experts. Leur pouvoir est assis sur une histoire invérifiable, considérée comme LA vérité. En distribuant l’information de manière parcimonieuse, elles gardent une longueur d’avance et cachent leurs turpitudes.
L’information circule différemment, l’éducation doit l’intégrer. Ce n’est plus tant la dispensation du savoir que la motivation et la curiosité de l’étudiant qu’il faut chercher, son regard critique, sa capacité à apporter et se distinguer au sein d’une communauté d’intérêt, tout ceci dans une relation de confiance avec le tuteur: on n’est plus dans une relation sachant/ignorant, mais de motivation par l’exemple. Ce n’est pas évident à grande échelle, mais de nombreux outils vont se mettre en place favorisant la création de communautés d’intérêt. La création d’outils pour créer des communautés explose comme l’indique ce tweet de Li Jin, ancienne de a16z:
L’expérience du télétravail, liée au confinement a montré que les vieux modèles in situ pouvaient être challengés par de nouvelles manières de faire. L’internet va avoir un rôle central dans l’éducation avec un nouveau rôle pour les communautés de passionnés, l’imagination est au pouvoir.
Enfin l’immobilier résidentiel doit être repensé. L’inflation ne concerne pas tant le coût de construction que la valeur des terrains. Le centre ville qui abrite la plus forte concentration du marché du travail, donc la plus grande optionnalité, s’envole. Dans un monde de taux zéro, le prix de l’optionnalité grimpe fortement, des flux futurs croissants valant théoriquement l’infini. Cependant, entre Covid-19 et télétravail, le besoin d’espace se fait cruellement sentir, la possibilité de s’agrandir devient possible en s’éloignant du centre. Les conditions sont réunies pour repenser l’immobilier résidentiel, non plus en lieu de consommation seul, mais en lieu de production et de protection. Pour approfondir le sujet, je vous conseille l'excellente présentation du Yak collective group sur la maison du futur. Elle montre comment la créativité peut s’exprimer dans ce domaine. Pour vous donner un avant goût, voici la maison post Covid imaginée par Venkatesh Rao et appelée the new old home (new parce que connectée, old parce que reprenant les fonctions de consommation, avec une dimension survivaliste, et de production:
Le pouvoir est maintenant au créateur. Cela demande aux Big Tech de penser outil désormais plutôt qu’agrégation. Amazon l’a fait en premier, son organisation en “pizza teams” organise sa propre disruption en permanence. Apple le fait naturellement en créant des outils pour les gens (Cependant Apple a plutôt tendance à aller dans l’autre sens, celui de l’agrégation, avec l’AppStore). Google et Facebook sont des agrégateurs par excellence, pas des outils pour les créateurs. Google, bien que disposant de la plus impressionnante infrastructure informatique s’est laissé distancer par AWS et Azure: la culture Google est tournée individus, pas entreprises. Google se réservait son infrastructure pour satisfaire ses utilisateurs en bon agrégateur. Facebook est aussi en train de tourner casaque pour considérer le créateur. Comment comprendre sinon la nouvelle stratégie d’Instagram:
The Brew (28 mai 2020):
MÉDIAS SOCIAUX
Kylie Jenner est sur le point de devenir beaucoup plus riche
Hier, Instagram a annoncé qu'il testait de nouvelles fonctionnalités qui permettent aux créateurs de monétiser plus facilement leurs créations.
Les fonctionnalités
Après des années de chuchotements, Insta commencera à diffuser des publicités avant les vidéos de l'IGTV et à partager ces revenus avec les créateurs.
Les téléspectateurs auront également la possibilité d'acheter des "badges" sur Instagram Live pour montrer leur soutien.
Pourquoi c'est bon pour Kylie : Avant ces mises à jour, la seule façon pour les influenceurs de gagner de l'argent sur Instagram était de conclure des accords promotionnels avec des marques extérieures à l'écosystème Insta. Il n'y avait aucun moyen de monétiser directement leur contenu dans la veine du système de partage de révolutions de YouTube. Maintenant, il y en a un.
Pourquoi c'est bon pour Zuck : les influenceurs gagnaient déjà de l'argent sans l'aide d'Insta en demandant à leurs supporters des Venmos ou en faisant la promotion de leurs comptes Patreon. Maintenant que la filiale Facebook fournit un soutien en plus des filtres Lo-Fi, elle peut s'approprier une partie de ce commerce.
En résumé : Avec une augmentation de 70 % des vidéos d'Instagram Live entre février et mars, Zuck n'aurait pas pu mieux choisir son moment pour le lancement.
La guerre pour le nouvel internet va être fascinante à suivre: les dominants d’un côté cherchant à préserver leur conquête de l’utilisateur tout en procurant des outils aux créateurs. Vu la manière dont les créateurs ont été historiquement traités, toute fourniture d’outil sera perçue comme une tentative de normalisation des fournisseurs (par exemple les pages AMP de Google ou WebRTC dans Chrome pour la visioconférence), pour mieux les capter. Cette difficulté d’être des deux côtés à la fois donnera leur chance aux créateurs et aux fabricants d’outil indépendants. La question restera celle des pouvoirs publics. Seront-ils au niveau pour supporter la vague d’investissements nécessitée par la reconstruction de pans entiers de l’économie, comme la santé, l’éducation ou le logement, par des politiques budgétaires et monétaires audacieuses ?
Bonne fin de semaine,
Hervé