La FED peut-elle sauver l’économie ?
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
J’ai puisé largement pour cet article dans l’excellent livre de Lev Menand: FED Unbound.
Le graphique suivant illustre l’évolution du taux des fonds fédéraux depuis les années 1980:
D’après Wikipedia :
Aux États-Unis, le taux des fonds fédéraux est le taux d'intérêt auquel les institutions de dépôt prêtent des soldes de réserve à d'autres institutions de dépôt au jour le jour sans garantie.
Les banques sont contraintes de garder un certain montant de réserves obligatoires auprès de la FED. Elles ont donc tendance à prêter ou emprunter entre elles pour ajuster, en situation normale, au minimum ce montant. Elles peuvent cependant toujours prêter à la FED ou lui emprunter au taux des fonds fédéraux, en principe moins intéressant que les taux interbancaires. Cela peut se produire dans les paniques bancaires pendant lesquelles les banques ne se font pas confiance. Aujourd’hui elles prêtent à 1,5% et empruntent à 1,75%. Ces deux taux vont constituer les limites inférieure et supérieure des taux interbancaires. Le taux des fonds fédéraux est en fait une moyenne de taux compris dans une fourchette fixée par la FED. Le haut de la fourchette s’appelle le taux d’escompte, un taux auquel tout établissement bancaire peut emprunter à la FED, même si aucun autre établissement ne veut lui prêter. Cette sécurité prévient les paniques bancaires. Le bas de fourchette est le taux auquel tout établissement bancaire peut prêter à la FED. Le taux des fonds fédéraux (prêts/emprunts entre banques pour ajuster leurs réserves à la FED) va osciller entre ces deux taux.
La FED traditionnellement utilise le montant des réserves obligatoires et les taux des fonds fédéraux pour moduler l’activité économique et s’assurer qu’il y a une quantité de monnaie suffisante pour son expansion à long terme.
Le graphique ci-dessus montre bien le problème: le taux des fonds fédéraux est en tendance baissière depuis le début des années 1980, en vue de stimuler l’économie. Chaque remontée de taux consécutive à une reprise d’activité est vite coiffée et les taux doivent de nouveaux baisser pour maintenir l’activité économique. Puis les taux arrivent à zéro (en 2008/2009) et il n’est plus possible de les baisser encore pour stimuler l’activité économique. La FED entreprend alors des QE (quantitative easing), des achats massifs d’emprunts d’Etat, puis de mortgages enfin d’actifs privés de plus en plus divers:
Le bilan de la FED explose à $9 Trillions ! Après QE1, QE2 et QE3 le dernier décidé en mars 2020 s’appelle QE Infinity, tout un programme…La FED se déchaîne, met à zéro le taux des réserves obligatoires (contre 10% en 2008) et déclenche un programme d’achat de créances sans commune mesure avec 2008 (voir graphique ci-dessus).
La FED est-elle engagée dans une mission désespérée pour sauver l’économie des Etats-Unis, voire l’économie mondiale ? A court de moyens, n’est-elle pas en train de nationaliser celle-ci avec le secours des autres banques centrales ?
Petite histoire de la création monétaire aux Etats-Unis
Les mécanismes de création monétaire aux États-Unis reflètent leur culture averse à l’oppression tant publique (gouvernement) que privée (monopoles). Tout d’abord, le principe de base (tout comme en Grande Bretagne) est que la création monétaire est une affaire trop sérieuse pour être laissée entre les mains du gouvernement. Celui-ci aura toujours tendance à abuser de son pouvoir pour créer à l’envi de la monnaie et de l’inflation. Le privé est considéré comme plus rationnel, à condition de pouvoir contrecarrer sa tendance à émettre de manière chaotique en fonction de la confiance qu’il inspire, et souvent insuffisamment pour assurer une croissance économique équilibrée sur tout le territoire: les crises de confiance liées à une émission trop abondante ont des conséquences dévastatrices sur le privé (paniques bancaires). Les Etats-Unis sont ancrés dans la tradition anglo-saxonne de délégation au privé de la création monétaire, préférant gérer la déflation que l’inflation. Cette tradition, en plus du principe de délégation, en suit trois autres:
l’interdiction pour les établissements délégataires de mener une ou des activités commerciales autres que le crédit, en raison des conflits d’intérêt qui pourraient en résulter. La tentation serait de favoriser ses propre affaires par rapport à ses concurrents en s’octroyant des conditions de crédit avantageuses, grâce à la monnaie créée. La séparation entre banque de dépôt et banque d’investissement est un corollaire de ce principe…pas toujours facile à respecter…
la diffusion: à l’inverse de l’Angleterre qui a donné en 1690 le monopole de la création de billets à un institut privé, la Banque d’Angleterre, les Etats-Unis ont fait jouer la concurrence entre de multiples acteurs, désirant que tous les recoins de l’économie et du territoire soient desservis. Alexandre Hamilton a été le grand architecte du système monétaire. Il a d’abord créé la Banque of North America à Philadelphie puis la Bank of New York. Suivant ces deux exemples, les États furent autorisés à donner des chartes aux banques pour émettre des billets. Il y en avait 30 en 1800, plus de 100 en 1810, 500 à 600 dans les années 1830 et 1500 à 1600 à la veille de la guerre civile. En plus de ces banques autorisées par les Etats à émettre des billets, les fédéralistes envisageaient une couche nationale. La Banque des Etats-Unis, imaginée par Alexander Hamilton, ouvrit ses portes en 1790 comme un partenariat public/privé (20/80) avec un capital colossal à l’époque de $10 millions. L’institution était en concurrence pour l’émission de dollars avec les banques sous charte d’Etat mais sa taille lui donnait un avantage: quand elle entrait en possession de billets des banques d’Etats, elle en demandait immédiatement la conversion en or, les affaiblissant de facto. Le développement d’un tel système n’était pas sans faille: les chartes étaient octroyées par les gouvernements, ce qui encourageait la corruption et les banques politisées, la banque nationale écrasait les banques sous charte, les privant d’or et les empêchant de développer l’économie locale. Le système bancaire s’étendait mais était la proie de paniques régulières liées à une pénurie de monnaie (1792, 1796-1797, 1819, 1837, 1839-1842, 1857, 1873, 1884, 1893, 1907). Les réponses apportées, bien que partant d’une bonne intention, amplifiaient souvent le problème. Tout d’abord ce fut la suppression de la banque nationale par Andrew Jackson dans les années 30. Puis plusieurs États dépolitisèrent l’octroi de chartes bancaires en rendant l’autorisation purement administrative (Free Banking Act). Le résultat fut une prolifération de banques et…de dollars différents inspirant plus ou moins confiance. Pour éviter cela, l’Etat fédéral chercha à imposer un dollar fédéral émis par des banques nationales et à supprimer l’émission de billets par les banques sous chartes en les taxant (1865). Au lieu de billets, les multiples banques tant sous charte que fédérales développèrent leurs dépôts, une monnaie particulièrement risquée car soumise à des contractions brutales et dévastatrices. Il manquait un système de controle permettant d’assurer une quantité de monnaie suffisante pour faire prospérer l’économie. C’est arrivé avec le Banking Act de 1913 créant la FED.
Le contrôle: il est organisé par le système de la Réserve Fédérale (FED) comprenant 12 banques régionales de réserve coordonnées par le Conseil de la Réserve Fédérale à Washington. L’idée du partenariat public/ privé a été retenu: les 12 banques de réserves sont détenues par les banques de leurs régions et nomment 6 des 9 membres de leur conseil d’administration (les 3 autres sont nommés par le Conseil de la Réserve Fédérale). Les gouverneurs du Conseil de la Réserve Fédérale sont nommés par le Président des Etats-Unis et confirmés par le Sénat pour un terme de 14 ans non renouvelable (censé les rendre indépendant du pouvoir central).Ils sont au nombre de sept, dont un président et un vice-président. nommés pour quatre ans renouvelable. Le rôle de la FED est d’assurer qu’il y ait une quantité d’argent suffisante pour l’expansion de l’activité économique sur le long terme. Son pouvoir de création monétaire est limité aux billets, les dépôts (la deuxième forme beaucoup plus importante de la monnaie-rapport de 18 à 1- étant du ressort des banques sous charte, les banques privées actionnaires des 12 banques régionales de réserve. La FED contrôle la création monétaire, c’est à dire celle des dépôts, qu’elle peut influencer par le montant des réserves obligatoires et les taux des fonds fédéraux. Son rôle est de gérer la taille du bilan des banques supervisées. Dans sa lutte contre la déflation, elle s’assure également de la bonne santé des banques notamment en matière de fonds propres et leur demande des preuves de solvabilité (stress tests). La fenêtre d’escompte, qui permet à toute banque sous charte (ou banque de dépôts) de se financer au jour le jour à la FED a également été créée en 1913. Elle n’a pas suffi à éviter la grande dépression de 1929, ni le reste des instruments à sa disposition. Pourquoi ? Principalement parce que les banques avaient enfreint le principe numéro 2 de ne pas sortir de leur activité de prêt à l’économie réelle. Les principales banques de la FED étaient réticentes à financer indirectement de la spéculation et ont réagi en montant leur taux d’escompte et en restreignant la fenêtre d’escompte à des collatéraux non « spéculatifs ». Seule la FED of New York a bien réagi achetant massivement des obligations d’Etat sur l’open market et ouvrant largement sa fenêtre d’escompte. Cette manœuvre a permis de stopper l’hémorragie pour les banques commerciales mais les répercussions frappaient déjà l’économie: c’était trop tard. Après une période de répit, la dépression a suivi le krach. Cette période a permis de peaufiner le dispositif anti-déflation en séparant les activités de banques commerciales, administrées par la FED et banques d’investissement, administrées par la SEC, afin que la création monétaire (dépôts) n’alimentent plus la spéculation (achats de titres): les banques d’investissement étaient prohibées de recevoir des dépôts du public. Cette période a aussi donné lieu à l’assurance des dépôts, limitant encore plus le risque de panique bancaire. Enfin la FED qui n’avait pas pour objet de financer directement des activités commerciales s’est vue doter d’un nouveau pouvoir par la section 13-3 votée en urgence en 1932: la possibilité en cas d’urgence de prêter à des entreprises autres que banques sous charte, sous réserve de l’accord du Trésor.
Le dispositif était en principe suffisant pour atteindre l’objectif souhaité, c’est à dire créer suffisamment de monnaie pour soutenir la croissance économique à long terme. Effectivement, il n’y a pas eu de panique bancaire pendant 80 ans, un record ! Cependant, insidieusement, comme dans les années précédant la crise de 1929 s’est développée à partir des années 50 une création monétaire parallèle libérée des contrôles de la FED. Celle-ci a été modérée jusqu’aux années 90 où elle a explosé représentant plus de 50 % de la monnaie. De nouveau elle expose les États-Unis à des paniques financières et à des cycles de dépression massives, comme au XIXème et premier tiers du XXème siècle.
La monnaie parallèle
La tentation de créer de la monnaie sans les contraintes correspondantes afin de concentrer du pouvoir économique, économiser des coûts, voire gagner de l’argent facile est toujours présente. Le secteur privé cherche systématiquement à retrouver les conditions du Free Banking Act des années 1830, avec les conséquences prévisibles en terme de panique financière et de déflation. Le moyen de créer de la monnaie est le dépôt. Avant 1929, les banques ont violé leur charte en s’affiliant avec des banques d’investissement: leurs dépôts servaient à financer des achats de titres des sociétés les plus en vue (cotées). La création monétaire sortait de l’objectif voulu par le Congrès. Le glass Steagall Act de 1933, a été institué pour combattre cet abus monétaire. Cela n’a pas empêché la monnaie parallèle de trouver son chemin puis de proliférer à partir des années 90, avec la complicité de la FED. Le Glass Steagall Act contourné par les banques parallèles a fini par être abrogé en 1999. Cette monnaie parallèle a pris plusieurs formes:
Le repo (repurchase agreement) qui est un dépôt qui ne dit pas son nom est peut être émis notamment par une banque d’investissement ou “broker dealer”. Il s’agit d’une vente de titres avec promesse d’achat le lendemain à un prix intégrant une rémunération au jour le jour. L’acheteur verse des fonds, dépose, en échange de titres. Cette liquidité peut servir à toute sorte d’objectif de placement ou investissement à long terme. Comme les dépôts bancaires, cette monnaie peut se contracter subitement. La différence est que l’établissement réceptacle des fonds n’est pas réglementé par la FED et n’a donc pas un accès systématique possible à la fenêtre d’escompte. Le risque de contraction de la liquidité est donc plus important que pour les établissements bancaires. Un certain nombre de broker dealers ont commencé à utiliser cette technique bon marché pour financer leur activité titres dans les années 50. La FED les a encouragés. William McChesnay Martin Jr est resté président de la FED entre 1951 et 1970, le record de longévité devant Greenspan. Ayant commencé sa carrière chez un broker et l’ayant poursuivi à la Direction du Trésor, il était particulièrement bien disposé vis à vis des broker dealers qui négociaient des bons du Trésor. Il commit le péché originel en acceptant que la FED prête en repo a des broker dealers sélectionnés appelés primary dealers. La FED créait ainsi un ersatz de la fenêtre d’escompte pour les broker dealers, qui n’étaient pas soumis aux obligations des banques de dépôt par ailleurs ! C’était un véritable pousse au crime. Les échos de cette décision ont raisonné en 2008 avec les faillites de Bear Stearns et Lehman Brothers. Il faut reconnaître qu’à l’époque des trente glorieuses, on cherchait surtout à accompagner la croissance sans se soucier des conséquences à long terme. La section 13-3 a même été amendée en 1991 pour élargir les possibilités d’achat de titres par la FED aux broker dealers. La FED mettait le pied sur le champignon.
L’eurodollar est un dépôt en dollar dans un établissement financier en dehors du territoire des Etats-Unis et donc non réglementé par la FED. Ledit établissement financier fait une promesse à un déposant de lui livrer des dollars à sa demande. Cette promesse est plus ou moins assise sur un dépôt du même montant dans une banque de dépôt américaine. Les premiers eurodollars ont vu le jour dans les années 50, et ont accompagné le développement du commerce international. Les Etats-Unis voyaient sous un jour favorable le dollar comme monnaie de réserve internationale. De même que le repo, ces dépôts échappaient au controle de la FED et faisaient courir un risque de contraction au système monétaire international. Pour contrer ce risque, la FED a octroyé aux banques centrales étrangères des lignes de swap leur permettant d’alimenter leurs banques en dollar. Quand une crise internationale se produit, tout le monde veut du dollar, les dépôts en eurodollar fondent comme neige au soleil entraînant un risque de panique financiere. En octroyant ces lignes de swap, toujours à l’instigation initiale de William MacChesnay Martin Jr, la FED a encouragé le marché de l’eurodollar a se développer. On estime la taille de cette monnaie parallèle dangereuse à $15 T, soit à peu près l’équivalent du marché du repo.
Le papier commercial émis par les entreprises et les OPCVM monétaires sont également des formes de dépôt parallèles non soumis à la réglementation de la FED et ne bénéficiant pas de la fenêtre d’escompte. Ce marché date des années 70 et s’est également fortement développé dans les années 1980. Se passant de l’intermediation coûteuse des banques de dépôts, les émetteurs et déposants voyaient ces nouvelles formes de dépôt comme une bonne affaire. Le risque est également une contraction forte de la liquidité en cas de peur sur une signature.
Le cercle vicieux
A partir du moment où la FED a laissé faire, voire encouragé cette monnaie parallèle, elle n’a eu d’autre choix que de la protéger pour réaliser sa mission première. Mais quand le marché de la monnaie parallèle perçoit cette protection comme acquise, il se développe comme un virus plus contagieux que la souche initiale, la monnaie réglementée. La FED est alors obligée d’intervenir au premier cas de contraction monétaire, donnant son quitus à l’interprétation initiale et renforçant cette monnaie parallèle
L’ampleur des interventions de la FED est appelée inexorablement à enfler, crise après crise. A partir du moment où la monnaie parallèle a rattrapé la monnaie réglementée, c’est à dire à la fin des années 1990, le pilotage de la monnaie par l’action de la FED sur le bilan des banques est devenu inopérant. La FED a été réduite à un instrument, celui des taux d’intérêt. Pour relancer l’économie suite à des contractions de monnaies parallèles (crise de 1997 et 1998 , 11 septembre 2001), elle devait baisser toujours plus les taux des fonds fédéraux, espérant que les banques de dépôt sauvent les banques parallèles (LTCM par exemple). Elle n’osait pas encore utiliser l’article 13-3 et acheter directement toutes sortes de créances au secteur privé défaillant. En 2007/2008, plusieurs banques parallèles se sont effondrées (Bear Stearns, des fonds de la BNP, Countrywide, Lehman). La FED hésitait à sortir l’arme de la section 13-3, consciente que c’était un encouragement à encore plus de monnaie parallèle. Elle préférait organiser des sauvetages par l’intermédiaire des grandes banques de dépôts (JP Morgan, Bank of America). Elle s’est même imaginée pouvoir montrer au marché qu’elle n’était pas le pompier de service (Lehman). Elle a vite été rattrapée par la réalité du désastre et a dû intervenir massivement en utilisant la section 13-3: AIG dès septembre 2008 puis les QE à partir de 2009. En mars 2020, le Covid aurait pu entraîner une panique financière de grande ampleur sur la banque parallèle suivie d’une profonde dépression économique. Mais le dispositif de la FED avait été rodé en 2008 et mis en place immédiatement. La FED n’a pas tergiversé et mis en œuvre la section 13-3, avec l’accord du Trésor, achetant massivement toutes sortes d’actifs publics et privés pour soulager les banques parallèles et relancer la machine. Ces actifs s’ajoutent à ceux précédemment acquis après la crise de 2008 et que la FED avait tout juste commencé à rembourser quand le Covid a frappé, pour constituer un bilan de $9 T. L’économie a été relancée (+5,7 % en termes réels en 2021 après -3,4 % en 2020), l’inflation aussi incitant la FED à inverser sa politique monétaire pour diminuer la quantité de monnaie en circulation. L’entreprise est beaucoup plus risquée maintenant que la moitié de la création monétaire est parallèle. La FED n’a pas d’autres solution que restreindre l’activité des banques d’investissements, fonds monétaires, eurodollars et autres hedge funds, en montant ses taux d’intérêt et dégonflant très progressivement son bilan. Il lui faut éviter de provoquer un effet de panique plus prompt à se produire dans un marché non réglementé. C’est la manoeuvre entreprise depuis avril 2022:
Il ‘est pas impossible que cette manoeuvre soit couronnée de succès et que la FED arrive à dégonfler son bilan. En effet, après deux crises, les marchés ont reçu des signaux forts que la FED serait toujours derrière la banque et la monnaie parallèles. A court terme cela permet d’éviter une panique supplémentaire. A long terme c’est un encouragement à amplifier la création de monnaie parallèle non contrôlée, à alimenter un nouveau boom suivi de l’inévitable panique. Qui sait si la FED ne sera pas obligée un jour d’intervenir sur le marché des stablecoins, un marché très proche de l’eurodollar par le concept mais d’avantage destiné aux particuliers ?
Conséquences
Les principes qui ont guidé l’élaboration de la création monétaire aux Etats-Unis sont bafoués. La délégation débridée n’a jamais été l’objectif, elle devait être restreinte par la séparation, la diffusion et le contrôle. La séparation n’existe plus, bien que le Glass Steagall act soit toujours en vigueur. Les banques parallèles reçoivent des dépôts et font avec ce que bon leur chante. Il est difficile après d’interdire les banques de dépôt de faire de la banque d’investissement, surtout après leur avoir demandé de fusionner (2008). La FED elle-même montre la voie en prêtant et achetant des titres publics et privés, devenant la plus grosse des banques (plus de deux fois JP Morgan). Ce système favorise la concentration (« too big to fail ») et la marginalisation des banques locales, mettant à bas le principe de diffusion. Enfin, le contrôle ne s’opère que sur une portion de plus en plus congrue des établissements financiers: le système bancaire, qui écope de toutes les contraintes et a tendance à limiter ses prêts a l’économie réelle.
Les pouvoirs publics s’habituent à ce que la FED intervienne pour soulager les crises, lui laissant la responsabilité de les gérer. Durant l’épisode Covid, la section 13-3 a été déclenchée sans l’accord du Trésor. La FED, dirigée par un groupe de technocrates non élus s’accommode de ces nouveaux pouvoirs conférés dans l’urgence des crises et s’habitue à décider qui aura droit à ses faveurs (QE). En conséquence:
L’économie est la proie de crises de paniques de plus en plus fréquentes et traumatisantes comme au XIXème siècle.
La politique de la FED favorise les possédants, en soutenant leurs actifs, au risque de créer une inflation préjudiciable au reste de la population. Ces écarts divisent la nation.
La démocratie ne semble avoir de prise sur ce système qui s’auto-entretient. La révolte peut gronder…
Solutions envisageables
Il faut revenir aux principes de base et les appliquer à l’émission de dépôts. Il ne faut pas réduire l’emprise de la FED, ce qui pourrait entraîner une catastrophe économique, mais l’augmenter…et s’attaquer aux racines du problème. Une mesure simple, développée par Lev Menand, serait que toute banque parallèle soit soumise à charte bancaire. Cela reviendrait à supprimer la monnaie parallèle. Les broker dealers seraient réglementés non pas par la SEC mais la FED, les eurodollars seraient garantis un pour un par des dollars déposés dans des banques sous charte, de même que les stablecoins. Les OPCVM monétaires devraient constituer des réserves, etc. Une telle mesure demande un certain courage politique car il faudrait d’une part gérer les conflits entre agences (SEC et FED) et d’autre part accepter une réduction de la monnaie parallèle suite à cette nouvelle réglementation. La FED est cependant bien armée maintenant pour gérer ce genre de crise avec une section 13-3 rodée. Une autre solution encore plus radicale serait de confier le pouvoir d’émission à la seule FED. Les banques devraient déposer à la FED l’intégralité des dépôts de leurs clients, c’est elle qui alimenterait les banques en monnaie. Ce système va à l’encontre de la culture américaine et ne me paraît pas adapté à ce pays. En revanche un certain nombre de mesures pourraient être adoptées par le Congrès pour stabiliser l’économie et éviter à la FED d’abuser de la section 13-3. Ces mesures auraient l’avantage d’être soumises au processus démocratique, ce qui favoriserait leur mise en œuvre. Elles ont été testées en 2020 (Cares Act) et pourraient être systématisées et automatisées, sans passer à chaque fois par le Congrès pour gagner en rapidité, une nécessité dans les crises: en bref, donner des chèques en périodes de crises et les reprendre en périodes de reprises. Il reste la question de la diffusion: espérer que la FED arrose tous les recoins de l’économie par la section 13-3 est peu réaliste. La FED choisira de manière privilégiée les bonnes créances émises par de bons émetteurs. Elle préférera Apple à un assembleur de PC régional. Une fois la monnaie parallèle mise sous charte, peut être faudrait-il penser à de nouveau séparer banque d’investissements et de dépôts, les premières recourant à des capitaux à long terme ou acceptant le statut bancaire. Enfin des banques publiques pourraient être créées pour des besoins spécifiques d’intérêt national qui n’intéressent pas le privé. Cela pourrait éviter à la FED d’abuser de la section 13-3 pour diriger l’économie. la structure juridique existe déjà (Governement sponsored entreprises ou GSE) et a été utilisée pour les prêts étudiants (Sallie Mae) et les prêts immobiliers (Fannie Mae, Freddie Mac).
Il est à craindre que de telles mesures soient difficiles à prendre. Les deux dernières crises ont été imputées à des facteurs exogènes, exonérant l’Etat de ses responsabilités: l’avidité des financiers en 2008 et le Covid en 2020. S’infliger une crise (réduction monétaire) même pour un bien à long terme n’est pas évident. Plus que jamais, le rôle de la FED sera capital pour mener à bien de tels projets.
Bon mois d’août,
Hervé