L’ère de la « mèmocratie »
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Washington Post, le 21 septembre 2021:
Le maire de Miami, Francis Suarez, a pour projet de transformer la ville en "centre d'innovation en crypto-monnaies" et l'un des résultats, affirme-t-il, pourrait être une métropole sans impôts.
Cette idée ambitieuse est le résultat d'une coopération avec CityCoins, un protocole à but non lucratif et open source qui permet aux gens de détenir et d'échanger des crypto-monnaies représentant une participation dans une municipalité. En exécutant un logiciel sur leur ordinateur personnel, les utilisateurs de CityCoins frappent de nouveaux jetons et gagnent un pourcentage de la crypto-monnaie qu'ils créent. Un programme informatique attribue automatiquement 30 % de la monnaie à une ville sélectionnée, tandis que les utilisateurs obtiennent les 70 % restants.
Depuis que CityCoins a dévoilé "MiamiCoin" en août, le protocole a envoyé environ 7,1 millions de dollars à Miami. (Les commissaires de la ville ont accepté les dons le 13 septembre)
Bien que le programme n'en soit qu'à ses débuts, Suarez (R) estime que l'effort pourrait générer jusqu'à 60 millions de dollars pour Miami au cours de l'année prochaine et finalement "révolutionner" la façon dont la ville finance les programmes de lutte contre la pauvreté et d'autres problèmes de société.
"Quand vous pensez à la possibilité d'être en mesure de gérer un gouvernement sans que les citoyens aient à payer des impôts. C'est incroyable", a déclaré M. Suarez, ajoutant que le partenariat crée un "contre-récit" à l'idée que les programmes de la ville nécessitent une augmentation des impôts ou une "philanthropie du secteur privé".
Miami a été rejointe par deux autres villes importantes: New York et Austin. Le PNB de ces trois grandes villes représente 10% de celui des Etats-Unis. Le lancement de ces cryptomonnaies n’est pas anecdotique. Pour Miami par exemple, les recettes liées au minage du MiamiCoin vont représenter 13% des recettes fiscales de la ville dès la première année. Le challenge pour Miami est désormais de faire monter l’enthousiasme sur le MiamiCoin de manière à ce qu’il soit plus demandé, à ce qu’il y ait plus de minage et par conséquent plus de recettes liées à ce minage.
Comment fonctionne le MiamiCoin
Le MiamiCoin est géré selon le protocole CityCoins, un contrat intelligent du protocole Stack, lui même construit sur le protocole Bitcoin. Pour adopter une image très XXeme siècle, le MiamiCoin (comme le Stack) est une monnaie qui s’appuie sur l’étalon Bitcoin. Pour espérer miner des MiamiCoins (MIA), il faut engager des Stacks (STX). Une fois le mineur sélectionné (un de ceux qui ont engagé le plus de Stacks), les Stacks engagés seront distribués à 70% à des « stackers », qui ont accepté de bloquer leurs MiamiCoin jusqu’à la fin du cycle, pour éviter la baisse des cours. Les stackers sont rémunérés en Stacks, les mineurs en MiamiCoins. Il y a donc deux catégories d’agents dans le processus de minage:
Les mineurs qui concourent pour gagner de nouveaux MiamiCoins. Leur calcul est que la valeur des MiamiCoins créés dépassera largement la valeur des Stacks engagés, s’ils gagnent, compensant également la perte potentielle de ne pas être sélectionnés.
Les stackers gagnent un taux d’intérêt en Stacks, qui leur permettront dans un deuxième temps en les bloquant de gagner un intérêt en Bitcoins selon un protocole identique.
Enfin la ville (Miami en l’occurence) se voit distribuer 30 % des Stacks engagés par les potentiels mineurs. Représenté en graphique (Stack en bleu, MiamiCoin en noir):
Ce bel édifice ne peut fonctionner que si l’appréciation du MiamiCoin est supérieure à celle du Stack, elle même supérieure à celle du Bitcoin. C’est là où la “mème-économie” entre en jeu. Le MiamiCoin et le Stack sont programmables, contrairement au Bitcoin. Cela leur donne une valeur optionnelle, laquelle valeur va dépendre du buzz autour des smart contrats potentiels…et le buzz sera créé par la communauté d’enthousiastes. C’est pourquoi l’adossement du MiamiCoin au Stack est ingénieux. Non seulement, il rive le MiamiCoin au Bitcoin, un gage de sérieux, mais il place le MiamiCoin dans le viseur des fortes communautés Stack (sur Github, Discord, etc.). Pour faire adopter le MiamiCoin, il faut lui trouver un plus par rapport au Stack. La possibilité de faire un pont entre le MiamiCoin et la vie courante à Miami (le monde réel), l’un et l’autre se renforçant mutuellement par des contrats intelligents, est censée constituer ce plus. Le jeune maire de Miami Francis Suarez a compris tout l’intérêt du MiamiCoin en acceptant la dotation.
Les objectifs de Miami
Il y en a plusieurs qui ne sont pas exclusifs l’un de l’autre:
Faire baisser les impôts locaux. Pour un républicain comme l’est Suarez, la baisse, voire la suppression des impôts locaux pour une grande ville comme Miami, ferait grandir sa stature au sein du parti. On prête à Suarez des ambitions présidentielles pour 2024.
Renforcer le lien entre la ville et ses habitants par la mise en place de contrats intelligents locaux leur facilitant la vie (remboursements, paiements, déblocage de services municipaux, etc). Francis Suarez a été réélu maire de Miami avec 78% des voix le 2 novembre 2021. Tout ce qui peut cimenter sa popularité est bon à prendre.
Faire de Miami une métropole tech, en y attirant les développeurs dégoûtés par San Francisco. Les loyers sont devenus excessifs à San Francisco, ce qui entraîne deux catégories de population: ceux qui ont beaucoup de moyens et les sans-abris. La sécurité s’est dégradée ainsi que la diversité des profils, la ville devient dangereuse et ennuyeuse. Le maire de Miami est tout content d’offrir son aide, comme le faisaient les anglais quand le président Hollande avait entamé sa lutte contre la finance…
C’est l’occasion pour Suarez, en faisant de sa ville un pôle crypto d’en faire grandir le prestige et sa propre renommée en tant que maire. Il est aujourd’hui Vice-Président des maires des Etats-Unis et en vise la présidence pour 2022.
se libérer du pouvoir central paralysant les possibilités de développement de la ville, devenir une cité phare comme Florence pendant la Renaissance avec le Florin.
État et villes: la cassure
La tentation systématique pour un État central est de résoudre les problèmes de ses sujets par de la création monétaire. Quand la monnaie n’est pas assise sur un étalon extérieur, le réflexe est toujours de battre monnaie, avec conséquence inflation, paupérisation et creusement des écarts de richesse. La réponse de L’Etat à ces objections est de mettre en place des banques centrales prétendues indépendantes, veillant au grain. Comme les banques centrales sont également responsables d’alimenter le système monétaire en liquidités en cas de crise, cette dépendance n’est que théorique. Les Etats sont en situation de monopole vis à vis de leurs citoyens et peuvent se permettre de créer de la monnaie par pression sur les banques centrales sans craintes de représailles; les barrières pour quitter un pays sont fortes. Les villes, elles, subissent ces politiques sans avoir l’avantage d’une banque centrale qui les renflouera au moindre hoquet. Les conséquences sont d’autant plus négatives pour elles qu’elles sont en situation de forte concurrence:
Les villes doivent se démarquer et se trouver une spécialité, ceci afin de s’attirer un noyau dur de professionnels d’un domaine, susceptibles de faire courroie de transmission pour le marché du travail de la ville. Cela peut être le tourisme, l’art, la technologie, la finance, l’automobile, l’aviation, etc.
Elles subissent alors de plein fouet l’effet vicieux d’une politique monétaire laxiste de l’Etat central, à savoir:
Si l’inflation touche tout le monde, ceux qui n’ont pas d’actifs souffrent le plus. Ceux qui ont l’opportunité d’acheter de l’immobilier dans les villes dynamiques s’enrichissent. Les écarts de richesse se creusent et une partie de la population se paupérise. Le climat social de la ville peut s’en trouver très dégradé jusque-là guerre civile. Ces scènes à San Francisco sont maintenant régulières.
les villes ne peuvent pas, à l’inverse des Etats enfler leur déficit budgétaire pour calmer la grogne sociale. La Banque Centrale n’est pas là pour les renflouer (hormis circonstances exceptionnelles comme le Covid). Elles doivent être rigoureuses dans la gestion de leur budget.
S’il y a un déséquilibre, et un fort endettement, il leur faut réduire immédiatement et drastiquement les dépenses ou augmenter l’impôt. L’Etat central a le temps avec lui….et la banque centrale…
Les villes courent alors le risque de voir les habitants aux emplois les plus qualifiés quitter la ville. Le PNB de la ville baisse alors ainsi que les recettes fiscales, la ville devient de moins en moins attractive.
Ce cercle vicieux est encore accentué par le télétravail qui permet de choisir les juridictions les mieux gérées.
Pour les villes, le télétravail est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les conditions de la concurrence se durcissent. Alors que San Francisco arrive de moins en moins à gérer ses deux catégories de population, l’exil des talents commence à se faire sentir. Les développeurs peuvent travailler virtuellement à San Francisco.
Comment gérer pour les villes les écarts de richesse de plus en plus criants entre ses actionnaires (les détenteurs d’immobilier) et les autres, sans abris en puissance ? Il y a deux leviers possibles:
Augmenter le nombre d’actionnaires de la ville,
Réduire l’impact de l’inflation sur les plus démunis.
Les Citycoins pourraient être la solution.
Transformer les citadins en actionnaires.
Pour l’instant le proxy pour participer à la réussite d’une ville est de détenir du patrimoine immobilier. Si la ville est bien gérée, attire des talents, son immobilier prend de la valeur. Ceux qui possèdent leur maison participent à la réussite de la ville, les autres subissent les contraintes d’une vie de plus en plus chère, c’est le prix du “quantitative easing”. La ville doit alors concentrer ses efforts et budgets sur les logements sociaux, les forces de police municipale et les équipes de nettoyage, une situation peu enviable, qui finit par faire fuir les gens...Le CityCoin change la règle du jeu: tout le monde peut participer à la réussite de la ville en en devenant actionnaire. La rareté de l’immobilier est remplacée par la rareté du CityCoin (adossé indirectement sur le Bitcoin). Mais la barrière a l’entrée y est très basse: on peut acheter des MiamiCoin pour un montant même modique, on peut miner du MiamiCoin pour l’avoir moins cher, on peut stacker du MiamiCoin pour avoir des dividendes en Stacks, transformables eux-mêmes en Bitcoins. L’avantage est de détenir un actif qui va s’apprécier si la ville prospère, comme de l’immobilier! Les incitations coïncident pour faire de Miami une grande ville. Tous ceux qui auront misé sur le MiamiCoin s’enrichiront au même rythme (à allocation relative identique), à condition que Miami prospère.
Éviter les ravages de l’inflation
Le challenge va être de faire circuler le MiamiCoin et d’éviter que ne s’applique la loi de Gresham. D’après Wikipedia:
La mauvaise monnaie chasse la bonne est l'expression proverbiale par laquelle est énoncé le théorème d'économie dit loi de Gresham. Celle-ci constate que « lorsque dans un pays circulent deux monnaies dont l'une est considérée par le public comme bonne et l'autre comme mauvaise, la mauvaise monnaie chasse la bonne ». En effet, lorsque deux monnaies se trouvent simultanément en circulation avec un taux de change légal fixe, les agents économiques préfèrent conserver, thésauriser la « bonne » monnaie, et par contre utilisent pour payer leurs échanges la « mauvaise » dans le but de s'en défaire au plus vite. Elle porte le nom du commerçant et financier anglais Thomas Gresham (vers 1519 - 1579), considéré notamment comme l'un des fondateurs de la bourse de Londres.
A Miami circuleront le MiamiCoin (partageant la rareté du Bitcoin) et le dollar. Ce dernier risque de chasser le premier. A l’époque de Gresham, les contrats intelligents n’existaient pas. En liant dans le code la monnaie et le service, l’utilisation du MiamiCoin deviendrait automatique pour la réalisation des contrats intelligents. C’est pourquoi la réussite du projet dépendra du nombre et de la qualité des contrats intelligents programmés, eux même dépendant du nombre de développeurs ayant la foi dans le MiamiCoin. D’où l’importance de la ville pour créer un climat attirant pour les développeurs. Au cercle vicieux enclenché par la monnaie pléthorique, la ville peut opposer le cercle vertueux d’une monnaie forte. Si l’économie des contrats intelligents domine la vie économique de Miami, la monnaie forte se substituera à la faible, résolvant les problèmes liés à l’inflation. Promouvoir le MiamiCoin est également promouvoir le Bitcoin dont il est dérivé et qui fera plus facilement venir les technophiles. C’est pourquoi Francis Suarez évoque la possibilité de payer ses taxes en Bitcoins, de recevoir pour les employés municipaux son salaire en Bitcoins. Il est même prêt à subventionner l’usage des cryptos en donnant des Bitcoins à tous les citadins qui ouvriront un portefeuille crypto.
Contrats intelligents
Le Stack est la couche « contrats intelligents » qui manquait au Bitcoin et le rapproche de l’Ethereum, la rareté en plus. D’après Investopedia:
Un contrat intelligent est un contrat auto-exécutoire dont les termes de l'accord entre l'acheteur et le vendeur sont directement inscrits dans des lignes de code. Le code et les accords qu'il contient existent sur un réseau blockchain distribué et décentralisé. Le code contrôle l'exécution, et les transactions sont traçables et irréversibles.
L’intérêt d’inscrire un contrat automatisé dans la blockchain est d’acter la rareté induite par celui-ci dans un grand livre certifié selon une règle décentralisée. Aussi, les contrats intelligents prennent toute leur valeur quand il s’agit de s’opposer à une abondance potentiellement néfaste. C’est pourquoi l’internet et la monnaie sont les deux terreaux sur lesquels peuvent se développer les contrats intelligents: la monnaie banque centrale est pléthorique, de même que les biens digitaux qui circulent sur internet. Cela pose dans les deux cas un problème de confiance: quelle est la valeur de la monnaie, quelle est la valeur de l’information (bits) qui circule ?
Miami virtuel
Le Miami réel est renforcé par le Miami virtuel. La prospérité de la ville va dépendre d’une communauté d’enthousiastes qui va échanger sur Discord, le réseau social des CityCoins. Au départ ils étaient une vingtaine de mineurs, décidant ex nihilo de commencer à miner (la ville de Miami était extérieure au processus). On y trouvera aujourd’hui en plus des mineurs, les détenteurs de MiamiCoin, les stackers ainsi que les développeurs de contrats intelligents. Le Miami virtuel n’a pas les contingences physiques du Miami réel. Il peut être beaucoup plus grand et puissant ! Il ne paie pas les taxes mais il va décider de l’avenir de Miami. S’il n’est pas content de l’utilisation que fera la ville de Miami de son allocation des 30% de Stacks, il peut la sanctionner en délaissant le MiamiCoin, ce qui provoquerait une baisse des recettes de minage. S’il sent au contraire que le maire joue le jeu et utilise ses nouvelles ressources pour le bien de la ville, tel qu’il le conçoit, il lui donnera les moyens:
au rythme de $1 milliard de transactions, la ville engrange entre $40 millions et $100 millions.
Au rythme de $10 milliards, elle engrange suffisamment pour éliminer les taxes.
L’effet de levier peut être considérable sur les finances de la ville, ses programmes et au final sa popularité auprès des citadins « réels » (ayant le droit de vote). Le pouvoir démocratique est encadré par le pouvoir “mèmocratique”. La communauté des détenteurs de MiamiCoin, qu’elle réside effectivement à Miami ou ailleurs décide de l’avenir de la ville, en votant avec ses pieds. C’est 👍 (j’achète) et les recettes arrivent ou 👎 (je vends) et elles s’envolent, laissant Miami à la merci du pouvoir central et de ses dérives monétaires.
Le pouvoir de la communauté des CityCoiners, regroupés dans Chat.CityCoins.co, est encore plus fort. C’est elle qui décide quelles villes elle va accrocher à son palmarès, libre alors à la ville d’accepter la dotation. C’est une arme à double tranchant: accepter est se mettre sous la dépendance du mème…Aujourd’hui les CiyCoiners adoubent les villes, les renforcent le cas échéant et en augmentent le périmètre au delà de leur territoire physique. Miami peut se trouver n’importe où, pourvu qu’on ait des MiamiCoins. Le Miami virtuel commande et renforce le Miami territorial tant face au pouvoir central que face aux autres métropoles des Etats-Unis avec lesquelles il est en compétition. Ce qui se produit aux niveau des villes pourrait bien être une préfiguration de ce qui pourrait se passer au niveau des États. On imagine bien aux Etats-Unis, quelle pourrait être la motivation de l’un ou plusieurs des cinquante États pour se détacher de la tutelle fédérale et gagner la compétition avec les autres États pour les talents. Déjà le Texas essaie de voler la vedette à la Californie, faisant valoir son climat libertarien. Pourquoi pas bientôt des StateCoins ?
La confrontation entre deux ordres
C’est l’ordre de l’Etat-Nation contre l’ordre de l’Etat “mème”. La gestation de l’Etat-Nation a été longue et sanglante. Le catholicisme a pendant plusieurs siècles guidé les principes d’organisation des puissances européennes et du Saint Empire Romain (germanique). Les protestants aidés par l’invention de l’imprimerie ont chamboulé ces principes. Il y eu la réforme suivie de la contre-reforme, la guerre de 30 ans opposant les protestants allemands au Saint Empire, la guerre des 80 ans entre les Provinces Unies et l’Espagne catholique, le prétexte étant la liberté de culte. En 1648, la paix est signée au travers du traité de Munster et celui de Westphalie. Une nouvelle logique d’organisation émane du traité de Westphalie qui a perduré jusqu’à aujourd’hui. D’après Wikipedia:
Le traité a pour résultat le fait que les États se reconnaissent mutuellement comme légitimes sur leur territoire propre. Les États reconnaissent:
Une souveraineté extérieure : aucune autorité n'est supérieure aux autres et chacun reconnaît l'autre comme souverain sur son territoire.
(A tempérer cependant puisque ni la Saxe ni Brandebourg ne sont souverains et restent sous l'autorité de l'empereur. La France, au contraire est considérée comme grande gagnante des traités.)
Une souveraineté intérieure : l'autorité est exclusive sur son territoire et aucun État ne peut s'immiscer dans les affaires d'un autre État.
(Ce n'est pas toujours le cas puisque actuellement, la France et la Suède possèdent un droit de regard dans les affaires internes allemandes.)
Un équilibre des puissances : les États ont le droit de s'allier pour éviter la montée d'une superpuissance. Aucune puissance n'a le droit de devenir une superpuissance.
C'est une nouvelle conception de la souveraineté qui perdura jusqu'à la bipolarisation de la guerre froide, et qui reste une norme juridique moderne
Cet ordre westphalien fondé sur un territoire que l’on pouvait gérer et surtout défendre par une organisation centralisée, s’appuyant progressivement sur la souveraineté du peuple, non plus sur une religion, a donné sa légitimité à l’Etat-Nation. Ce système d’organisation n’est pas immuable. Il a été mis à mal par la guerre froide mais se reconstitue depuis la chute du mur de Berlin. Parallèlement, le poids croissant de l’économie de l’information dans le PNB mondial marginalise l’importance du territoire. Je le remarquais à propos de Taiwan dans mon article Géostratégie des semi-conducteurs:
La Chine pourrait être tentée d’envahir Taïwan pour se saisir de TSMC, et faire pression sur le reste de la chaîne. Mais les 1 000 ingénieurs sans lesquels les fabs ne peuvent pas tourner partiraient par le 1er vol. Les chinois prendraient possession d’une coquille vide (sans compter les sabotages faciles possibles). Plus judicieusement, ils cherchent à acheter des transferts de propriété intellectuelle, débaucher des ingénieurs de pointe de TSMC tout en promouvant une industrie interne de bout en bout (par la politique de la carotte et du bâton).
L’ordre ancien westphalien se rebiffe, veut soumettre la technologie à ses frontières, dans le meilleur des cas ériger un cloud national (Union européenne), dans le pire exercer des rétorsions sur ses propres sociétés technologiques afin qu’elles obéissent au doigt et à l’oeil aux injonctions du pouvoir central (Chine). Dans les deux cas, cela constitue un repoussoir pour les talents et solidifie le fait que le prochain Google ou Amazon ne se constituera pas dans ces zones. On vit actuellement l’ère de la contre-réforme, façon XXIème siècle…Les forces centrifuges l’emportent cependant sur les forces centripètes: le télétravail fait pencher la balance vers la décentralisation. San Francisco était déjà menacé par un prix de l’immobilier exorbitant, une conséquence inéluctable du succès dans un monde de “fiat money”. Le télétravail est en train de l’achever. L’ordre westphalien subit maintenant un double coup de butoir: celui du télétravail et des cryptomonnaies. De concert, ils façonnent de nouvelles frontières virtuelles autour de communautés souhaitant être régies par des règles inscrites dans le code plutôt que par celles d’un pouvoir central abusant de sa capacité à battre monnaie.
De même qu’une ville peut être renforcée par son double virtuel, un Etat pourrait l’être aussi. C’est le pari que fait le Salvador qui a introduit le 7 septembre 2021 le Bitcoin comme monnaie officielle (pour les paiements) au même titre que le dollar. L’idée est de faire le buzz (pas évident que le Bitcoin soit utilisé pour les transactions, selon la loi de Gresham), attirer l’attention des influenceurs Bitcoin, puis constituer un pôle technologique crypto dans le pays. Le président Nayib Bukele multiplie les initiatives, espérant qu’être le premier lui donnera un avantage fort. Il projette de créer une ville à partir de zéro appelée Bitcoin City et veut la financer par un emprunt en $ gagé sur des Bitcoins. Le pari est rationnel: Le Salvador lèverait $ 1 milliard, soit 4% de son PNB annuel. La moitié des sommes serviraient à acheter des Bitcoins. Si celui-ci monte, l’emprunt donnerait des coupons supplémentaires, dans le cas contraire, au pire avec un Bitcoin à 0$, le pays perdrait 2% de son PNB. Ce n’est pas excessif rapporté au potentiel d’attirer une forte communauté crypto dans le pays. Le lancement de l’emprunt est prévu pour 2022. Pour attirer les mineurs, chassés de Chine, le Salvador fait valoir son électricité géothermale bon marché et écologique, issue de ses volcans. L’espoir de Nayib Bukele est que son initiative fasse tache d’huile, que d’autres pays se mettent à attirer les communautés crypto, exerçant une forte pression à la hausse sur le cours du Bitcoin.
Le point intéressant à retenir est que pour un pays qui interdit l’usage et le minage des cryptos, comme la Chine, un autre est prêt à prendre le relai. Après le Salvador, le Texas fait également valoir que le minage permet de ne pas gaspiller l’électricité renouvelable, car il peut n’intervenir que quand le réseau est sous-utilisé…Et il défend bec et ongle les crypto-monnaies que l’Etat fédéral aimerait bien soumettre à son joug:
WASHINGTON, D.C. le 16/11/2021- Le sénateur américain Ted Cruz (R-Texas) a présenté cette semaine un projet de loi visant à abroger une disposition trop large et mal rédigée du paquet infrastructure qui crée de nouvelles exigences de déclaration pour de nombreux participants de l'industrie de la blockchain. Cette disposition va étouffer l'innovation dans le secteur, mettre en danger la vie privée de nombreux Américains et les crypto-monnaies, et probablement pousser des aspects clés de l'industrie à l'étranger dans des pays comme la Chine.
Lors de l'introduction de ce projet de loi, le sénateur Cruz a déclaré :
"Le Lone Star State s'est rapidement imposé comme la principale plaque tournante de l'industrie des crypto-monnaies, et cette industrie passionnante risque maintenant d'être étouffée et poussée à l'étranger par une disposition excessive de ce paquet de dépenses imprudent qui vient d'être signé. En tant qu'organe délibérant, le Sénat aurait dû faire son travail et organiser des auditions pour bien comprendre les conséquences d'une législation sur cette industrie émergente avant de risquer les moyens de subsistance et la vie privée des Américains participants. Je demande instamment à mes collègues du Sénat d'abroger ce langage nuisible qui créera une incertitude réglementaire et, à son tour, une barrière inutile à l'innovation."
Aux Etats-unis, chaque Etat est souverain, une interdiction à la chinoise est inenvisageable…
La tentation serait de dire: les Etats-Nations ne laisseront jamais les cryptomonnaies prendre le pas sur les monnaies nationales. Il y aura toujours quelques malins qui sentiront le vent. Richelieu a fait pencher la balance de la guerre de trente ans en s’alliant aux protestants…L’histoire ne se répète pas, mais elle rime, aurait dit Mark Twain…
Bonne semaine,
Hervé