L'internet des créateurs
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
L’internet consumériste fait place progressivement à l’internet des créateurs. Les implications sont profondes pour l’économie toute entière. Tour d’horizon:
De la banalisation du contenu à la banalisation de l’utilisateur
Clubhouse est un cas d’école des nouvelles tendances.
Le modèle économique dominant de l’internet était jusqu’à présent d’apporter l’abondance aux masses, de la trier pour répondre au doigt et a l’œil aux désirs des utilisateurs et de niveler le contenu par une approche essentiellement quantitative. La beauté du modèle est que plus l’offre devient consistante, plus le coût d’acquisition du client baisse à l’inverse des sociétés ordinaires, et plus l’utilisateur est acquis sur le long terme tenté en permanence par de nouveaux produits. En devenant l’interprète de potentiellement 7 milliards d’humains, quelques sociétés ont dominé l’internet, devenant des points de passage obligés pour quiconque souhaite atteindre cette population efficacement. Le nivellement de l’offre profite aux petits qui autrefois n’avaient pas accès à la distribution et qui se retrouvent sur un pied d’égalité avec les gros: c’est valable pout les produits (Amazon, Facebook), les acteurs (Netflix), les musiciens (Spotify), les écrivains (Medium). La contrepartie est que tous doivent accepter les termes fixés par ces intermédiaires tout puissants qui contrôlent la demande: représenter 7 milliards d’humains procure un pouvoir d’achat inédit. A tel point que Ben Thompson début 2020 proclamait la suprématie définitive des GAFA, l’informatique étant arrivé grâce à eux à son objectif d’être partout, tout le temps et pour tout le monde:
L'implication de ce point de vue devrait à ce stade être évidente, même si elle semble un peu hérétique : il n'y a peut-être pas de changement de paradigme significatif à l'horizon, ni de changement générationnel associé qui va avec. Et, dans la mesure où il y a des évolutions, il semble vraiment que les titulaires aient des avantages insurmontables : les hyperscalers dans le nuage sont les mieux placés pour gérer le torrent de données de l'Internet des objets, tandis que les nouveaux dispositifs d'entrée/sortie comme la réalité augmentée, les portables ou la voix sont des extensions naturelles du téléphone.
En d'autres termes, les entreprises d'aujourd'hui spécialisées dans les nuages et la téléphonie mobile - Amazon, Microsoft, Apple et Google - pourraient bien être les GM, Ford et Chrysler du XXIe siècle. L'ère de la technologie, qui a vu naître de nouveaux concurrents chaque année, est terminée ; toutefois, cela ne signifie pas que l'impact de la technologie soit diminué d'une manière ou d'une autre : en fait, cela signifie que l'impact ne fait que commencer.
Ben Thomson sonne la fin de la disruption dans un monde dominé par les GAFA tout comme Warren Buffett avait consacré quelques années auparavant ses inévitables (Coca Cola et Gillette), des sociétés prétendument insubmersibles.
C’est pourquoi Clubhouse intrigue. Ce réseau social audio prend les GAFA à contrepied, en prenant résolument le parti pris du créateur et non plus celui de l’utilisateur. La recette du succès est inversée. L’idée est que des personnes en dehors du commun, qui ont quelque chose d’original à exprimer dans leur spécialité, puissent échanger en direct, à bâton rompu, au cours d’une conversation publique. Les auditeurs sont une variable secondaire, en compétition pour avoir accès aux gourous et écouter leur conversation. Le direct est l’expression ultime de l’exclusivité. Ce réseau social est élitiste à la base, instituant une liste d’attente pour l’inscription et un système de cooptation. Clubhouse est un outil de promotion pour des Elon Musk, Chamath Palihapitiya ou autre Marc Andreessen. Sa vocation est de permettre à des créateurs de se mettre en avant et organiser leur culte. Il n’est pas étonnant que l’application ait été bloquée en Chine, ce pays n’appréciant pas les cultes différents de l’idéologie officielle. Néanmoins Clubhouse à peine lancé en avril 2020 vaut déjà $1 milliard et la société technologique qui l’héberge, Agora, $ 6 milliards. Il y a de quoi faire réfléchir sur l’orientation à venir de l’internet. L’ère consumériste n’est-elle pas révolue ?
L’évolution des plateformes
Clubhouse est l’antithèse par excellence du GAFA, centré sur le créateur et lui donnant les moyens pour créer une relation directe avec ses suiveurs et les monétiser à sa guise (publicité, abonnement, pourboires, etc.). C’est pour cela qu’il est dangereux: un GAFA peut difficilement le copier, sauf à renoncer à ce qui fait sa force: la relation utilisateur. Le point fort d’Apple est le milliard et demi de cartes bancaires enregistrées dans l’App Store, celui d’Amazon est le nombre de ses clients enregistrés, en particulier les clients Prime. Facebook et Google sont des usines à données reposant sur l’abondance des interactions qu’ils peuvent entretenir avec leurs utilisateurs. Pour les GAFA, l’utilisateur est roi, pour Clubhouse, le créateur (gourou) est roi. On ne peut servir deux maîtres à la fois. Clubhouse est le point d’orgue d’une évolution très nette des plateformes cherchant à devenir des outils pour les créateurs au lieu de maîtres niveleurs.
Le talon d’Achille des GAFA est justement le mépris qu’ils manifestent envers les créateurs, ces derniers servant de faire valoir pour leur offre de tri intelligent. Le risque est évidemment d’attirer la médiocrité, les talents exceptionnels préférant voguer vers d’autres cieux. C’est pourquoi les GAFA ont essayé de faire une place aux créateurs, mais selon leurs propres termes. Le succès initial de l’iPhone repose en grande partie sur la mobilisation des développeurs au sein de l’App Store. Ces développeurs, après l’enthousiasme initial sont de plus en plus aigris devant les conditions imposées par Apple: langage propriétaire, taxe de 30 % sur la vente de biens digitaux, difficulté pour monétiser leurs données. De même Google a compris assez vite l’intérêt de rémunérer les créateurs pour les attirer sur ses plateformes. Comme le mentionne opportunément Philipp Schindler de Google, lors de la dernière conférence sur les résultats 2020:
Je voudrais conclure en parlant d'un principe qui est celui de Google depuis notre fondation. Nous avons toujours pensé que l'avenir de Google et celui de nos partenaires sont fondamentalement liés. En fait, nous avons bâti notre entreprise sur des modèles de partage des revenus qui soutiennent un large éventail de partenaires, y compris de grands et petits éditeurs en ligne ; des particuliers sur YouTube les créateurs diffusant depuis leur domicile et les labels de musique mondiale ; ainsi que Google Play des développeurs de toutes tailles. Nous ne réussissons que lorsque nos clients et nos partenaires réussissent. Il y a un chiffre qu'il me semble utile de souligner dans ce contexte. Au cours des trois dernières années, nous avons payé près de 140 milliards de dollars à nos partenaires - des développeurs et éditeurs partenaires de Google Play en utilisant nos services de publicité, aux créateurs de YouTube, aux artistes et aux organisations médiatiques dans le monde.
Google aide les créateurs…oui, mais selon ses termes qui sont souvent punitifs: Google laisse 29 % de son chiffre d’affaires aux développeurs (140/481 milliards de dollars sur 3 ans). Cela parait beaucoup, mais c’est en fait une belle taxe: GOOGLE prélève plus de 3 fois ce qu’il apporte à son écosystème. On est loin de la définition que donnait Bill Gates d’une plateforme:
Une plate-forme est considérée comme telle lorsque la valeur économique de tous ceux qui l'utilisent dépasse la valeur de l'entreprise qui la crée.
Une vrai plate-forme prélève peut-être 5 % à 10 % de la valeur qu’elle crée, elle n’étouffe pas les créateurs, elle crée un monde de créateurs, un effet réseau de créateurs. J’aime la définition des créateurs que donne Matt Mullenweg, CEO d’Automattic, la société derrière le projet open source Wordpress:
Une chose que j'aime chez les grands créateurs, vous pouvez l'imaginer, comme un J.R.R. Tolkien, il n'écrit pas seulement un livre, il crée un monde. Il y a un script d'Elvis qui a écrit de la poésie. Il y a toute une histoire autour de lui. Et puis les meilleurs créateurs et les meilleures oeuvres créent aussi des mondes qui se produisent après eux. Sur Tumblr, nous avons tant de fandoms et de fanfictions. Les gens qui prennent le canon travaillent et l'élargissent ensuite. Ils créent un nouvel art, de nouvelles histoires. Vous pouvez faire cela avec des entreprises. Et mes entreprises préférées le font. Nous prenons pour acquis, parce que nous regardons... quand nous parlons de Salesforce, nous parlons de leurs acquisitions, ou de Mark Benioff et Bret Taylor.... Mais on oublie qu'ils ont créé un monde, The Trailblazers Series, qu'ils forment les gens. Il y a des événements, où ils partagent des informations. Il y a des interactions avec les communautés. Leur nom est imprimé sur le plus haut bâtiment de chaque ville. Toutes ces choses font partie de l'univers, de la mythologie, du monde de quelque chose comme une force de vente.
C'est aussi ce que nous avons essayé de faire avec WordPress. Nous avons dit : ce n'est pas seulement un produit, c'est un mouvement, c'est un écosystème, c'est une philosophie, c'est une vision du monde. C'est quelque chose que les gens peuvent s'approprier. Vous possédez WordPress tout autant que moi. Vous pouvez définir l'avenir de WordPress autant ou plus que moi. Vous pouvez le bifurquer. Vous pouvez y contribuer.
Aucune entreprise ne réalise plus de 5 % des revenus de l'écosystème. Le fait que l'open-source soit un moyen de faire travailler ensemble les concurrents et qu'il y ait plusieurs entreprises de RRA de 100 millions de dollars dans l'espace WordPress est donc un fait. Pour moi, c'est bien plus gratifiant et bien meilleur pour la longévité de WordPress. Une autre chose, c'est que je veux que ce mouvement survive à moi et à tous ceux qui y travaillent actuellement. Qu'est-ce qui va le faire fonctionner pendant des décennies ?
Il y a un fossé entre la vision qu’a Matt Mullenweg des créateurs et celles que peuvent en avoir les Google et Apple. Or, le sens de l’histoire et de l’internet semble être d’aider les créateurs, pas d’en profiter. Les plateformes de nouvelle génération, celles qui marchent et se développent à vitesse V adoptent ce modèle et tendent à reléguer les GAFA à un rôle défensif. Citons en quelques unes:
TikTok a pris les réseaux sociaux traditionnels par surprise, gagnant tel un Gengis Kahn, la bataille de l’engagement. Une des clés de ce succès est la qualité de l’outil de création vidéo, créé explicitement pour le smartphone (à la différence de celui de YouTube, l’ancêtre), et qui parvient à créer un effet réseau de créateurs. Cela lui donne un avantage difficile à égaler, les créateurs attirant d’autres créateurs utilisant facilement le travail des premiers. Eugène Wei, dans cet article brillant explique comment la technologie déployée par TikTok permet de créer un effet réseau de la créativité. Le nirvana pour une plateforme est de créer un effet réseau. Généralement, il se produit entre l’offre et la demande (Netflix, Amazon, Uber), ce qui nécessite de fournir de la liquidité à la plateforme en subventionnant tantôt la demande, tantôt l’offre. Les plateformes dominantes (Google, Facebook) ne s’appuient que sur un côté: les utilisateurs, ce qui rend leur effet réseau indépendant des créateurs et donc particulièrement puissant, voire écrasant, à un coût raisonnable (pas besoin de subventionner). TikTok introduit un nouveau modèle d’effet réseau endogène, construit sur les créateurs. Il est à la fois un outil et un agrégateur des créateurs, un modèle qui sera difficile à égaler.
Shopify est avant tout un outil, une API à laquelle un site peut se brancher pour créer une offre d’e-commerce: deux lignes de code et le tour est joué. La simplicité de Shopify fait son succès pour tout e-marchand qui ne veut pas dépendre des fourches caudines algorithmiques d’Amazon, mais au contraire avoir une relation directe avec sa clientèle. Le modèle n’est pas frontalement concurrent d’Amazon mais peut le menacer, ayant généré $120 milliards de transactions en 2020, 40% de celui produit par la place de marché d’Amazon. Shopify est une véritable plate-forme dans la mesure où il ne prélève que 2,4 % du volume généré grâce à lui. Les créateurs choisissent Shopify car ils peuvent créer une relation directe avec leurs suiveurs selon leurs propres termes et donc les retenir sur le long terme, en faisant valoir leur exclusivité. Avec Amazon, on vend plus vite mais il faut oublier l’exclusivité. Le meilleur des mondes est de se faire connaitre avec les GAFA puis de bifurquer sur une plate-forme plus ouverte comme Shopify: on acquiert le client avec Facebook ou Amazon par exemple et on le garde avec Shopify. Amazon ou Facebook pourraient être cantonnés au simple rôle d’apporteur d’affaires dans ce nouveau monde des créateurs. Une perspective peu réjouissante qui les pousse à se défendre en créant des outils directement concurrents de ces plateformes de créateurs: Facebook a créé Reels pour contrer TikTok, Amazon achète Selz en janvier 2020 pour contrer Shopify.
Pinterest est un relai permettant aux créateurs de se faire connaître par la photo de leur œuvre qui circule auprès des personnes intéressées. Pinterest est un mégaphone visuel pour les créateurs. Cela différentie ce réseau social d’un autre réseau visuel: Instagram, centré sur l’auto-promotion auprès de ses amis. Il y est plus difficile pour un créateur de se faire sa place car il n’est pas la priorité et est relégué au rang de faire valoir pour le réseau d’amis.
Du consumérisme à la quête de sens
je pourrai citer d’autres plateformes comme Roblox ou Etsy, par exemple, leur point commun, outre leur focalisation sur le créateur, ayant quelque chose d’exclusif à proposer, est croissance impressionnante de leur chiffre d’affaires. Les GAFA sont progressivement rattrapés par des affaires ayant une vision radicalement différente de la relation producteur/consommateur. La disruption décrite par Clayton Christensen dans son livre The Innovator’s Dilemma est en marche. La relation purement transactionnelle entre vendeur et acheteur semble faire place à une relation plus humaine, valorisant l’acte de création. On peut penser que l’internet dans un premier temps n’a fait que répondre plus efficacement à la soif de consommation permise par les progrès de la grande distribution depuis l’après deuxième guerre mondiale. La contrainte de gestion de l’espace disparaissant, un grand nombre de producteurs qui n’avaient pas accès au marché se sont vus ouvrir de nouveaux horizons tandis que le choix offert au consommateur augmentait de manière exponentielle. La logique de continuité était d’offrir l’abondance, ce que les GAFA ont réalisé à la perfection en centralisant au passage l’internet. Parallèlement, ce dernier apportait une innovation bien supérieure: la possibilité pour deux êtres à l’autre bout de la planète de communiquer en audio, texte ou vidéo et par conséquent d’organiser une relation et un commerce sans intermédiaire. C’est maintenant l’organisation de cette relation qui est la clé des affaires à succès de demain. L’internet libère le potentiel créatif de l’homme, auparavant réservé aux “happy few” ayant accès à la distribution. Dès lors le créateur va chercher son public, ses fans dans le monde entier et créer une relation directe exclusive. Cette relation est à double sens, l’interactivité entre passionnés permettant d’accélérer le potentiel créatif. L’avenir est aux outils qui favorisent ce potentiel, car il est plus humain que la logique quantitative consumériste. Les GAFA devront s’adapter, passer progressivement d’un monde à l’autre, ils l’ont déjà compris avec le cloud par exemple et ont un avantage pour leur défense: le client leur est déjà acquis et il leur est facile d’en faire bénéficier les créateurs. La valeur va aller vers les créateurs les plus talentueux et les outils qui en favorisent l’émergence. Les conséquences risquent d’être profondes sur l’organisation des sociétés.
De la grande entreprise à la multinationale unipersonnelle
La grande entreprise n’a pas vraiment été remise en question depuis les premières sociétés anonymes qui étaient déjà des monstres avec un objectif: conquérir l’effet d’échelle. A l’époque, il fallait amortir le coût des navires. La East India Company fondée en 1600 a donné le ton pour les entreprises à succès des quatre siècles à venir. Les PME bien sûr ont coexisté mais avaient soit pour vocation à devenir de grandes entreprises elles-mêmes pour les plus performantes, soit gérer les tâches ne pouvant donner lieu à un effet d’échelle, le commerce de proximité, les fonctions libérales, la maçonnerie, etc. Elles étaient reléguées aux arrière-postes. Aux Etats-Unis, 50 % du PNB privé est produit par les petites entreprises avec 50% des effectifs (l’effet d’échelle n’est pas si facile pour les grandes entreprises !). Un basculement pourrait avoir lieu en faveur de petites unités capables d’un effet d’échelle considérable, au détriment des grandes entreprises, sans personnalité, une nouveauté pas encore appréciée à sa juste valeur:
la production est en grande partie modularisée, l’avantage réside dans l’art de l’assemblage et la collecte de données permettant de créer une relation pertinente avec les clients. Il est intéressant de voir que dans le domaine des voitures électriques, une foison de “start up” émergent, chacune proposant son modèle spécifiques, avec la collecte de données qui va avec: Lucid pour les voitures de luxe, Lordstown Motors pour les utilitaires, Fisker pour la qualité du design (Henri Fisker est le designer de la BMW Z8 de James Bond), etc. Ses voitures sont fabriquées par de petites entreprises à l’inverse des voitures à combustion, car toutes les pièces sont modularisées. Ls PME est personnifiée par son créateur, par exemple Henri Fisker. L’unité de production peut être à la limite une seule personne !
La distribution est désintermédiée, de manière à créer une relation spéciale avec le client, collecter des données pour mieux le servir et lui vendre de l’exclusivité. Là aussi, il n’y a pas besoin d’une armada, mais d’une bonne exploitation des outils à disposition. Ce graphique illustre bien le processus qui va de la création à la monétisation et qui, s’il est réussi, crée un véritable effet d’échelle avec potentiellement un employé:
Il y a aujourd’hui 50 millions de créateurs, d’après SignalFire, dont 2 millions de professionnels, essentiellement des influenceurs sur YouTube et Instagram et 48 millions qui rêvent de changer de statut. Il y a là un véritable potentiel pour créer des entreprises d’un nouveau type: les multinationales unipersonnelles qui viendront tailler des croupières aux grandes entreprises d’aujourd’hui.
De l’IPO aux SPACS
La créativité pour pouvoir atteindre sa cible dans le monde entier requiert un minimum de moyens financiers, même si la barrière à l’entrée baisse. Jusqu’à 2020, le canal privilégié pour financer l’innovation était le fonds de capital risque émanant de la Silicon Valley (Benchmark, Séquoia), finançant des entrepreneurs de la Silicon Valley. Ce beau monde généralement se congratulait au moment de l’IPO dirigée par Goldman Sachs ou JP Morgan qui venait concrétiser la réussite de “l’unicorn” et la propulser vers des nouveaux sommets. En-dehors du sérail, point de salut. Les introductions en bourse valorisaient les heureux élus en dizaines de milliards de dollars (Uber, DoorDash, Snowflake, bientôt Roblox, Coinbase et UI Path). Un phénomène nouveau a émergé en 2020: le SPAC, qui fait sauter le monopole de la Silicon Valley. D’après Wikipedia:
Une société d'acquisition à vocation spécifique (SPAC ; /spæk/), également appelée "société à chèque en blanc", est une société écran cotée en bourse dans le but d'acquérir une société privée, la rendant ainsi publique sans passer par la procédure traditionnelle d'introduction en bourse. Selon la Commission américaine des valeurs mobilières (SEC), "une SPAC est créée spécifiquement pour mettre en commun des fonds afin de financer une opportunité de fusion ou d'acquisition dans un délai déterminé. L'opportunité n'a généralement pas encore été identifiée". Les SPAC ont levé un montant record de 82 milliards de dollars en 2020, une période parfois appelée le "boom des chèques en blanc".
Les années précédentes, les montants levés étaient de l’ordre de $10 milliards. Il y a donc une accélération qui ne dément pas en 2021 avec $65 milliards levés sur les 2 premiers mois. La taille moyenne du SPAC est de l’ordre de $300 millions, presque équivalente à la taille d’une IPO classique. Le financement par voie de SPAC est en train de prendre le pas sur le financement par IPO ($55 milliards levés en 2020 pour les projets technologiques). Je relève deux principales différences entre l’introduction par SPAC et la technique traditionnelle:
le SPAC finance des sociétés qui valent moins cher en absolu (souvent moins de $5 milliards), à un stade plus précoce de développement, et pour des montants supérieurs par rapport à leur taille.
le SPAC est généralement sponsorisé par des professionnels, des créateurs ou fondateurs d’entreprises dans des domaines divers associés éventuellement à des financiers et cherche des cibles digitales. On sort du pur digital et donc de la Silicon Valley pour chercher plutôt la digitalisation du monde physique: le professionnel rencontre le développeur pour réinventer le monde physique.
La technique du SPAC est décriée dans les milieux financiers car elle fait sauter les intermédiaires traditionnels et permet aux créateurs de se faire financer directement par les particuliers actifs sur Reddit ou Twitter, friands de SPACs. On crie facilement à la bulle. Mais là encore le créateur rencontre son public, utilisant les fonds levés pour développer son projet et acquérir des clients afin de constituer le vainqueur qui prend tout. Les bulles ont souvent des aspects très positifs comme faire émerger des idées qui n’auraient jamais vu le jour, si un grain de folie avait été réprimé trop vite.
Un internet des créateurs n’empêchera pas les échecs, probablement nombreux, mais il ouvre le champ des possibles et de la compétition Schumpeterienne a un niveau inédit, ce qui est un réel facteur de progrès.
Bonne fin de semaine,
Hervé