Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Voici mon dernier texte de l’année. C’est le moment de vous souhaiter un joyeux Noël et de vous donner rendez-vous en 2020.
De CNBC (22 novembre 2019):
Le PDG de Tesla, Elon Musk, a dévoilé jeudi soir le pick-up 100% électrique de la société, le Cybertruck, lors de l'un des événements promotionnels emblématiques de la société à Los Angeles. Le véhicule, qui représente un gros trapèze métallique, démarrera à 39 900 $.
Le camion est le sixième modèle de véhicule de Tesla depuis la création de la société en 2003, et il est le plus expérimental. Il concurrencera sur un marché la Ford F Series, qui est le pick-up le plus vendu depuis plus de 40 ans aux États-Unis, suivie par la Chevrolet Silverado de General Motors, un autre concurrent redoutable.
Musk avait précédemment déclaré que Tesla comptait vendre son modèle de base à moins de 50 000 dollars, le style du camion serait "cyberpunk", plutôt que traditionnel, inspiré par deux films - "Blade Runner" et "The Spy Who Loved Me". Le PDG a également suggéré précédemment que la demande pour le pick up de Tesla sera peut-être inférieure à celle de la berline phare de la société, la berline Model S et le SUV modèle X combinés, en raison de sa conception unique.
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Le cybertruck de Tesla constitue en théorie la plus sérieuse menace de disruption pour le trio General Motors, Fiat Chrysler et Ford. En effet la majorité des profits de ces derniers peuvent être attribués aux pickup trucks et particulièrement aux 25% de « heavy duty », les plus puissants. Au total, les trois constructeurs vendent 2,7 millions de trucks (chiffres 2018) à parts égales. Les japonais sont hors marché ils préfèrent le compromis à la débauche de puissance, leur structure monocoque bon marché contraint leur performance. Toyota n’a vendu que 110 000 Tundra, son plus puissant modèle aux Etats-Unis en 2018. Nissan est encore plus largué avec 50 000 Titan vendus. Donc jusqu’à présent, les constructeurs américains règnent en maîtres sur ce marché, formant un oligopole. Par exemple General Motors a avoué l’année dernière réaliser un profit avant impôt de $17 000 pour les plus gros trucks (heavy duty). Sachant que GM en vend 250 000 par an, cela représente un profit avant impôt de $4 milliards sur le segment haut de gamme, la moitié de son profit total ! L’arrivée de Tesla va -t-elle déranger cette situation confortable, placer les constructeurs dans Le dilemme de l’innovateur jusqu’à ce que leurs trucks soient complètement marginalisés ?
Les constructeurs font de la résistance…
Les trois modèles actuellement vendus par Tesla sont le S, le X et le 3, sur un rythme de 400 000 par an:
Le modèle S avec 25 000 exemplaires vendus par an, le triple de Ferrari, vise essentiellement le luxe. L’absence d’effet d’échelle sur les premiers modèles implique de toute façon de se positionner sur le haut de gamme où les marges sont les meilleures. Le prix minimum est de € 90 000 mais grimpe vite avec les options. Le propre du luxe est de viser l’exclusivité, le petit nombre. Certaines sociétés comme Apple ou Louis Vuitton ont inventé le concept de luxe pour les masses, mais cela peut difficilement être le concept visé par le modèle S, vu son prix. Dès lors, le modèle S concourt avec les autres marques de luxe, c’est à dire pour ce qui concerne les constructeurs américains Cadillac, Maserati et Lincoln. Cadillac vend 150 000 voitures, Maserati un petit 50 000, Lincoln 100 000, à eux trois 300 000. L’objectif de ces marques n’est pas forcément de vendre plus mais de vendre plus cher. Le 20F 2019 de Ferrari est clair sur le sujet du luxe:
Bien que nous surveillions notre part de marché en tant qu'indicateur de l'attrait de notre marque, nous ne considérons pas que notre part de marché soit particulièrement pertinente par rapport aux autres segments de l'industrie automobile. Nous ne nous concentrons pas sur la part de marché en tant que mesure de la performance. Au lieu de cela, nous gérons délibérément notre offre par rapport à la demande afin de défendre et de promouvoir l'exclusivité de notre marque et nos tarifs préférentiels. Ces dernières années, nous avons produit un nombre sensiblement constant de voitures par an dans le cadre de cette stratégie.
Ces marques de luxe peuvent donc tout à fait coexister, leur capacité à monter les prix est assurée par le nombre croissant de millionnaires dans le monde. Ils sont d’après la dernière étude de 47 millions, en croissance de 1,1 million sur un an. L’important pour chacune de ses marques est de ne pas s’endormir sur les modèles anciens, de continuer à innover.
Le modèle X se vend à 40 000 exemplaires l’an environ. C’est également un modèle de luxe vendu à plus de €100 000, construit sur le même groupe moto propulseur que le modèle S. Il se compare aux SUV de marques de luxe: le Levante de Maserati à €80 000, le Porsche Cayenne à €80 000. Les SUV de Cadillac et Lincoln sont moins chers encore. Le raisonnement du modèle S se tient là aussi, la part de marché n’est pas l’enjeu. Il n’y a pas de risque de disruption pour les SUV vendus par les trois marques à des prix bien inférieurs à des clients différents. Le prix d’un SUV Chevrolet va plutôt tourner autour de $30 000. Il est important de noter que la courbe de diminution des prix de la batterie ne changera pas la donne. Supposons que Tesla fabrique ses batteries à $160/kWh, dont $40 pour l’emballage. Le modèle X le plus puissant dispose d’une batterie de 100 kWh, coûtant donc $16 000. Imaginons que Tesla arrive à faire baisser le coût à $80 kWh (dont $30 d’emballage). Cela ne représenterait qu’un diminution de $8 000, pas de quoi attirer les masses. Il en est de même avec le modèle S. De toute façon, il serait malvenu de baisser sensiblement les prix de modèles de luxe et les faire changer de catégorie. Tesla dévaloriserait alors ses modèles haut de gamme qui n’attireraient alors plus grand monde.
La vision d’Elon Musk depuis la création de Tesla est de produire des voitures pour les masses. Commencer par le luxe constituait une tactique pour compenser le manque d’échelle. Le modèle 3 correspond plus à cette vision et est nettement plus menaçant à première vue pour les constructeurs. Il est plus représentatif du luxe pour les masses qui fait le succès d’Apple et LVMH. Son prix est de €50 000 et Tesla en produit à un rythme de plus de 300 000 par an. Le modèle 3 menace à première vue les berlines, mais plutôt celles haut de gamme. Tesla peut espérer faire baisser le coût avec les économies d’échelle, cette fois. Cependant, les constructeurs traditionnels ne se sentent pas menacés par le modèle 3 car ils ont déjà quasiment abandonné la lutte sur les berlines, le créneau est en sérieuse perte de vitesse, la demande se portant sur les crossovers et SUV. La question est plutôt de se demander si le modèle 3 peut se substituer aux SUV, le créneau sur lequel les constructeurs se sont engouffrés.
…en se concentrant sur les SUV, les modèles les plus fonctionnels.
Les constructeurs sont bel et biens dans le dilemme de l’innovateur: au fur et à mesure que des applications se répandent pour répondre à tel ou tel besoin de transport, ils doivent se concentrer de plus en plus sur le SUV: l’idéal pour transporter tout ce qu’on veut partout où on le veut, à un coût marginal faible. Dans mon article intitulé Les maîtres du temps
, j’ai évoqué l’intérêt du bouquet avec l’exemple de la TV:
Une méthode très efficace connue dans le monde de la TV est le paquet (ou bouquet). Le principe repose sur la mutualisation. On vous propose un service/produit que vous voulez vraiment à un prix inférieur à celui que vous paieriez normalement à conditions de prendre d’autres services/produits mais à des conditions super-avantageuses. Au final vous payez plus mais vous faites une affaire sur chacun des services achetés. Chris Dixon a démontré la magie du paquet dans cet article. L’avantage du paquet pour celui qui le propose est de recevoir plus d’argent et de rendre le client captif de l’offre.
Alex Danco dans ce post fait un rapprochement audacieux entre la voiture et un bouquet de chaînes TV:
Une voiture est comme la télévision par câble. Certaines caractéristiques de ma voiture ne me sont pas utiles. Et il y en a dont vous n’avez pas vraiment besoin non plus. Mais nous les achetons tous les deux de toute façon, car la logistique et l’économie de leur achat ensemble sont tellement plus convaincantes que si nous devions acheter individuellement ce dont nous avions besoin dans un véhicule.
Il en déduit l’avantage énorme du SUV, par rapport aux autres catégories de voitures:
il est utile de penser à la voiture elle-même comme un paquet. La proposition de valeur d'une voiture repose sur quelques caractéristiques principales différentes, telles que «cela peut vous permettre de travailler» ou «cela peut vous amener à faire vos courses». Les acheteurs disposent d'un large éventail d’options pour ces fonctions: tout le monde ne veut pas tout. Au sein de ces fonctions de base, il existe de nombreuses sous-fonctionnalités qui pourraient vous intéresser. Certaines personnes se soucient de la puissance, certaines personnes se soucient de l'espace dans le coffre, certaines personnes se soucient du style, certaines personnes se soucient de la sécurité.
C’est une bonne raison pour laquelle les SUV sont devenus si populaires: c’est le tout. Personne n'a besoin de toutes les fonctionnalités d'un SUV. Mais les acheteurs de SUV sont tout à fait satisfaits de leur voiture, car ils en achètent beaucoup. L’économie du paquet va dans le sens que tout le monde achète un véhicule capable de répondre à tous les besoins, même ceux que vous n’avez pas vraiment.
Il est clair que les constructeurs pour contrer les menaces de disruption des applications comme Uber s’arc-boutent sur ce qui fait la force des voitures: leur côté multi-fonctionnel. Le SUV permet 1/ d’aller au travail, 2/ de faire ses courses, 3/ de transporter les enfants, 4/ de partir en week-ends et en vacances et 5/ d’afficher son statut social. Et tout ceci dans les meilleures conditions (puissance/sécurité/espace/prix/durabilité). Le paquet est particulièrement solide et difficile à déplacer, notamment pour ce qui est transport des enfants et de biens. Les berlines sont dépassées. Les constructeurs sont dans le corner SUV. Le modèle 3 est très bon sur le statut et l’expérience de conduite mais beaucoup moins bon sur les fonctionnalités de base. Est ce que ce sera suffisant pour déplacer les SUV ? Au contraire le modèle 3 ne court il pas le risque d’être déplacé comme les autres berlines par les applications mono-fonctions, type Uber ? Elon Musk ne prend pas le risque et décide très vite de développer le modèle Y.
L’intégration nuit à la fonctionnalité
Le dilemme de Tesla est qu’il a choisi un modèle vertical alors qu’il destine ses véhicules pour les masses. Tesla est à la fois équipementier, fabricant de batteries, et assembleur. Conscient qu’une voiture est avant tout une série de lignes de codes sur quatre roues, il fabrique ses propres puces. Tesla a même une division pour fabriquer les vitres: Tesla Glasses. Il n’est pas facile de savoir si le verre utilisé pour la démonstration du Cybertruck était fabriqué en interne, espérons pour Tesla que non. L’intégration permet de faire des véhicules plus performants, plus différenciés, avec un feedback plus rapide et une bien meilleure expérience utilisateur, bref, l’effet whaoo si bien illustré par Apple. Steve Cheney en parle très bien dans cet article. Elle a cependant ses inconvénients:
Elle oblige à développer des plates-formes différentes pour des modèles différents. C’est coûteux à la base, mais encore plus coûteux pour un constructeur qui n’a pas d’effet d’échelle.
Pour compenser ce manque d’échelle, elle force Tesla à dupliquer, dupliquer et encore dupliquer. Il en découle que les voitures se ressemblent et cela peut poser problème quand il s’agit de répondre à des besoins très différents. On verra plus loin que le truck ne peut répondre à cette logique de duplication.
Enfin, l’intégration oblige à viser de toute façon le haut de gamme. L’amortissement de la plupart des pièces se fait sur un trop petit nombre de véhicules pour faire au final un véhicule bon marché.
Tesla se différencie complètement des autres constructeurs qui adoptent de plus en plus une approche de plate-formes modulaires. Il peuvent ainsi fabriquer des véhicules aux caractéristiques et pièces différentes sur le même socle. Leur valeur ajoutée est dans l’assemblage de pièces bon marché amorties sur plusieurs constructeurs. Chez Général Motors, la production sera limitée à cinq plate-formes en 2020. L’exemple de Subaru est intéressant. La société a dévoilé en 2016 sa nouvelle plate-forme modulaire utilisée pour l’ensemble de la gamme, soit 41 modèles (1,1 millions de voitures vendues en 2018) allant de la berline au SUV, de la voiture à essence à l’hybride ou au tout électrique. La modularité permet la variété dans les caractéristiques, la répartition du poids, etc.
Tesla donc a de fortes contraintes par plate-forme. Le modèle X étant construit sur la même plate-forme que le modèle S doit lui ressembler. Ce n’est pas l’idéal pour un SUV d’être contraint par le design d’une berline. Le modèle X n’est pas surélevé comme un SUV classique, il fait moins SUV:
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C’est également le cas pour le modèle Y qui partage la même plate-forme intégrée que le modèle 3. Il est peu probable qu’il se distingue vraiment du modèle 3 dont la hauteur est 1,4 m. Le modèle Y sera donc probablement plus cher qu’un SUV type et donnera moins cette impression de sécurité liée à la surélévation.
En résumé le Y sera probablement cher sans correspondre à ce que les gens cherchent vraiment dans un SUV. La question est de savoir si c’est important pour Tesla.
Le Cybertruck: une parodie de truck
Les trucks sont un concentré de SUV. Il en ont tous les attributs mais singulièrement renforcés. Si le bouquet de fonctions du SUV le rend attractif, pour ceux qui en ont les moyens, les mêmes dans l’enveloppe d’un truck sont encore plus appréciées: plus de sécurité, plus d’espace, plus de puissance pour des fonctionnalités améliorées à un prix encore raisonnable. Le cocktail est imbattable ! Seulement, cette fois Tesla aborde le problème avec une plate-forme spécifique dédiée au truck, il peut donc répondre parfaitement à la demande, sans avoir à se coller à un modèle de berline. Quelle menace représente -t-il ?
Le premier point à observer est que contrairement au marché du luxe, croissant, le marché des trucks est stable. Bon an, mal an, on vend 2,5 millions de pickup trucks aux Etats-Unis. D’après Statista:
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L’arrivée d’un intrus (Tesla), voire de deux en incluant Rivian, financé par Amazon, ne peut à priori faire du bien aux constructeurs traditionnels. On peut penser que le fromage sera à partager en plus de parts. La réponse peut être trouvée dans les caractéristiques des deux pickup:
Le truck traditionnel se définit par deux critères: sa charge utile et sa capacité de remorquage. Plus elles sont élevées, plus le truck est haut de gamme et cher: c’est un heavy duty comme celui représenté ici:
Le truck a pour fonction principale de transporter un maximum. La contrainte technique implique la séparation de la coque et du châssis. La puissance emporte le prix du bouquet vers le haut comme ESPN emporte le prix du bouquet TV. Un heavy duty GMC coûte entre $60 000 et $80 000. Sa charge utile est de 3,3 tonnes et sa capacité de remorquage de 16 tonnes.
Le Cybertruck a un problème: d’une part, comme tout véhicule électrique, le remorquage épuise la batterie comme montré ici. D’autre part, pour des raisons de simplicité, de poids et d’économie, il est monocoque. Cela implique que toute la force de la charge et du remorquage s’applique à la coque toute entière au lieu de s’appliquer au seul châssis (ce qui est le cas pour un truck traditionnel). Cela lui donne un air penché dès qu’il est chargé. Cette vidéo le montre bien (4ème minute). Le Cybertruck est une parodie de truck. Il vaut mieux que son prix soit raisonnable. Elon Musk dans sa présentation du 24 novembre a affiché un prix de base de $ 40 000. Annoncer un prix bas permet de faire un coup marketing et de multiplier les réservations. Elon Musk avait procédé ainsi avec le modèle 3, annoncé à $35 000 et prenant les réservations sous condition d’une caution de $1 000. Le prix du modèle 3 évolue entre $40 000 et $60 000. Elon Musk essaie de réitérer son effet d’annonce avec le Cybertruck. La caution n’est plus que de $100. Il faut s’attendre à un prix nettement supérieur au final, sauf si on aime les vitres fragiles… En fait, le Cybertruck a tout de l’apparence d’un truck mais il n’en est pas un. Sa fonction principale est de renforcer le statut social. Elon Musk ne cherche pas à se battre sur le terrain de l’adversaire mais à changer la règle du jeu: il veut casser l’automobile traditionnelle, comme Netflix à cassé le bouquet TV.
Le positionnement de Tesla: lancer un signal
Il y a une certaine dérision dans le concept du Cybertruck. On aurait pu imaginer ceci:
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Un truck dans la lignée des autres modèles de la gamme. On a plutôt cela:
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Des contraintes techniques peuvent expliquer ce look bizarre, comme c’est montré dans ce lien. Surtout Elon Musk doit aller beaucoup plus loin avec le Cybertruck car il ne peut rivaliser avec un truck sur ce qu’on en demande en premier: la puissance. Il prend donc le contrepied du truck traditionnel et avance un nouveau pion dans sa stratégie écologiste. Elon Musk lance le signal que le Cybertruck n’est pas un truck comme les autres mais un symbole avant-gardiste. La preuve qu’il s’agit bien d’un signal est qu’Elon Musk ne compte pas en vendre beaucoup. Il a volontairement choisi un look futuriste (inspiré de Blade Runner selon son compte Tweeter) et humoristique pour dénoncer le passéisme et côté ringard de la course actuelle à la puissance, incarnée dans l’industrie du pickup. Tesla vend du statut social intégré à une expérience de conduite hors pair, la fonctionnalité est secondaire: la combinaison est imbattable! La personne qui conduit une Tesla est en avance sur son temps, comprend que le futur est écologique et par dessus tout elle vit une expérience. Elon Musk a compris son époque…
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Il pense qu’apporter du plaisir et de la fierté donnera une raison solide de détenir une voiture, bien plus solide que de se battre sur les fonctions.
Netflix a cassé le bouquet TV traditionnel en étant très bon sur une intégration: abondance et choix, un mix de contenus et de technologie, que ne pouvaient contrer les autres médias empêtrés dans leur chaîne de valeur. Tesla veut faire de même avec la voiture en mixant statut social et expérience utilisateur, écologie et technologie. Elon Musk a bien saisi que la fonction peut de plus en plus être remplie par des applications, il faut viser ailleurs. C’est pourquoi le Cybertruck, comme les autres modèles de la gamme ne visent pas un certain type de voiture (berlines, crossovers, trucks) mais toutes les voitures, car elles manquent toutes cruellement de caractère écologique et d’expérience utilisateurs. Le Cybertruck ne s’adresse pas au conducteur de GMC SIERRA heavy duty mais plutôt à à personne sensible à l’écologie et au plaisir de conduire, donc plutôt à celui qui aurait pu craquer pour un modèle S ou un modèle 3., mais qui préfère son côté imposant Cette nuance est importante: le Cybertruck vise ceux qui n’auraient jamais acheté un truck (voir ce sondage). C’est à mon sens l’erreur de Rivian: il fait trop « truck » sans en avoir les points forts: il ne plaira ni à la clientèle traditionnelle de trucks, portés sur la puissance et non l’écologie, ni aux autres qui n’ont pas une grande admiration pour les premiers.
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En multipliant les modèles, Tesla espère bien faire craquer l’écolo moderne qui est en nous en lui proposant le style qu’il préfère. Le temps joue pour Tesla: la pression sociale va de plus en plus ringardiser les possesseurs de véhicules à moteur, validant son approche écologique et technologique.
Les constructeurs traditionnels relégués au rang de suiveurs
L’électrique n’est plus une option. Tous les constructeurs, pression sociale exige, vont y passer dans les prochaines années. Volvo s’est engagée à ce que 50% de sa flotte soit électrique en 2025. General Motors planifie d’introduire 20 nouveaux modèles tout électriques d’ici 2023. Ford n’est pas très en avance sur ses modèles tout électrique mais a annoncé la construction d’un réseau de stations de recharges non exclusives plus important que celui de Tesla: Fordpass, réseau de 12 000 stations. Les constructeurs, de gré ou de force vont se trouver sur le terrain de Tesla. L’approche des constructeurs est modulaire, leur culture est de réaliser des économies d’échelle avant tout. La tentation est d’utiliser leurs plate-forme moteur à explosion, déjà amortie, pour fabriquer les véhicules électriques. BMW, Subaru, Jaguar Land Rover et PSA Group ont choisi cette voie. Les voitures électriques qui sortent de ces plate-formes fourre tout n’ont pas la meilleure expérience utilisateur, ressemblant à des voitures à essence sauf le moteur et coûtent en moyenne $12 000 de plus a produire que leurs homologues à essence. La plupart des constructeurs visent la transition avec des modèles hybrides: c’est qu’ils raisonnent avec le rétroviseur, inconscients de la nécessité de suivre Tesla. Des constructeurs plus audacieux investissent dans des plate-formes modulaires tout électrique afin d’obtenir au final un véhicule plus simple et plus performant, toutes les pièces étant conçues autour du moteur électrique. Ces plates formes permettent en plus de faire baisser le prix des voitures électriques d’un montant estimé à $6 000/$7 000. Volkswagen a créé sa plate-forme MEB, General Motors BEV3. Le problème est le coût d’investissement initial, le même problème que Tesla. Le cas de General Motors est intéressant: il dédie sa nouvelle plate-forme BEV3 à tous ses véhicules électriques et comme Tesla, il commence par le luxe en fabriquant une Cadillac électrique. Puis il compte descendre en gamme pour obtenir un effet d’échelle raisonnable. Finalement General Motors n’a que quatre ans de retard par rapport à Tesla. Et son approche modulaire présente le risque de faire des voitures moins réussies que les Tesla. La Bolt par exemple n’a pas eu le succès escompté par Marry Barra.
Tesla est donc supérieur grâce à son modèle vertical, son avance technologique et sa courbe d’expérience. Aussi la société peut rester dans l’exclusif, tout en s’approchant de l’objectif d’Elon Musk: produire du luxe pour les masses. La baisse progressive des coûts de fabrication devrait le permettre. C’est le même combat que celui qu’Apple affronte avec Android: l’intégration verticale coûte cher (absence d’économie d’échelle) mais l’expérience utilisateur en est tellement améliorée. Apple réalise la grande majorité des profits de l’industrie du smartphone avec 20% de parts de marché seulement. Compte tenu du prix unitaire d’une Tesla, les 20% de parts de marché sont peut être illusoire mais avec 10% seulement, Tesla vendrait 9 millions de véhicules par an.
Tesla est en train de casser le modèle traditionnel du bouquet automobile en imposant un modèle d’intégration inimitable sur tous ses modèles (berline/SUV /trucks): statut social et confort d’utilisation, l’effet whaoo. Après le premier coup porté par Uber à l’automobile traditionnelle, il en porte un second, espérant bien ébranler l’édifice bâti sur les fonctionnalités. Les constructeurs sont acculés à répondre en passant au tout électrique, en reniant les fonctionnalités qui font leur force. Elon Musk a compris avant les autres que la recherche de statut pouvait prendre le pas sur la fonctionnalité, à l’époque d’Uber et du réchauffement climatique et que l’automobile devait devenir une expérience. Les autres constructeurs sont maintenant voués à combler le retard. Ils ont, pour les audacieux, un avantage non négligeable: la possibilité de réinvestir leurs cash flows dans leur plate-forme modulaire tout électrique. Tesla n’a pas ce luxe et doit compter sur le marché: les exemples récents de SoftBank montrent que de temps en temps, les marchés demandent à voir les cash-flows…The show must go on !
Je vous souhaite un très joyeux Noël,
Hervé