Médias après Covid-19
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Le Covid-19 va entraîner des changements profonds dans nos comportements. La question qui vient à l’esprit pour l’économie est de savoir si les tendances qui prévalaient avant Covid vont se renforcer ou au contraire s’inverser. Pour Ben Thompson (Stratechery), la question est tranchée:
En même temps, je pense qu'il existe une règle générale qui restera valable : la crise du coronavirus ne provoquera pas tant des changements radicaux qu'elle accélérera des tendances qui se produisaient déjà. Des changements qui auraient pu prendre 10 ou 15 ans, simplement en raison de la rigidité du statu quo, peuvent maintenant se produire en beaucoup moins de temps.
Ainsi, le passage au télétravail, déjà entamé avant la pandémie sera probablement de plus en plus répandu après, les entreprises s’étant habituées à ce genre de fonctionnement. L’infrastructure qui l’accompagne, le cloud, va de même être adoptée plus généralement. En revanche les grandes banques peuvent inverser la tendance de l’après 2008, jouant un rôle majeur pour aider les populations dans la période (moratoires sur les intérêts, nouveaux dépôts et crédits, transmission des aides de l’Etat fédéral). Même Wells Fargo a vu sa limite sur les actifs relevés ! Les FinTech risquent d’en subir les frais. Il y a donc là une rupture par rapport au monde d’avant Covid. Le cas des médias est ambivalent. En période de confinement, les populations regardent d’avantage la TV, même linéaire. Pour autant, la tendance de rejet des chaînes traditionnelles linéaires au profit de YouTube, Netflix et autres vidéos à la demande va-t-elle s’interrompre ? Les jeux vidéo vont ils prendre le pas sur Netflix ? De même, les salles de cinémas font de moins en moins recettes depuis plusieurs décennies et compensent la baisse des entrées par la hausse du prix du ticket, ce qu’elles peuvent faire grâce à un privilège (révolu ?) sur le visionnement des nouveaux films:
La tendance (ligne bleue) va-t-elle s’accentuer avec les craintes de résurgence du virus ou au contraire y aura-t-il un besoin de socialisation plus élevé, le soir notamment,si les gens travaillent déjà d’avantage à la maison ? Les parcs à thème qui au contraire étaient particulièrement prisés ces dernières années vont ils voir leur élan coupé net ou aura-t-on un scénario voisin de l’après 11 septembre avec une forte reprise de la fréquentation 3 ans plus tard ?
Qu’en est-il de la musique ou des podcasts qui semblent faire les frais du confinement ? Le sport diffusé par la TV linéaire sera-t-il durablement touché si le “cord cutting” s’amplifie. Contrairement aux techs et aux banques il semble y avoir un patchwork d’évolutions possibles dont il est difficile de trouver le facteur unifiant. Y a-t-il un boson de Higgs qui pourrait tracer l’avenir des médias de l’après Covid ? Comment interpréter la pensée magique de Ben Thompson ?
Le confinement nous rappelle notre solitude
Pascal (Les Pensées):
Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre.
Pascal l’explique par la réalisation dans la solitude de notre condition mortelle. D’où notre volonté de nous divertir:
De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas qu’il y ait en effet du bonheur, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu ou dans le lièvre qu’on court, on n’en voudrait pas s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu’on recherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous divertit.
Il y a une frustration terrible qui est en train de se créer dans le monde entier (plus de la moitié de la terre dans sa chambre !), et va entraîner un besoin sans précédent de divertissement après Covid. Pascal ne donne pas de clé sur le type de divertissement qui peut être de toute sorte, y compris la guerre, pourvu qu’il nous empêche de penser à nous. Dino Buzzati donne un autre éclairage dans Le désert des Tartares:
Quelle triste erreur, pensa Drogo, peut-être en est-il ainsi de tout, nous nous croyons entourés de créatures semblables à nous et, au lieu de cela, il n'y a que gel, pierres qui parlent une langue étrangère ; on est sur le point de saluer un ami, mais le bras retombe inerte, le sourire s'éteint, parce que l'on s'aperçoit que l'on est complètement seul.
Confinés et solitaires, nous finissons par nous retrouver en face de notre solitude ontologique, ce qui est proprement insupportable. Un élan de socialisation sans précédent est à prévoir lors de l’après Covid, ce qui cette fois peut nous donner des indications sur l’avenir des médias. Elias Canetti dans Crowds and Power montre bien la dualité de l’être humain, à la fois condamné à être seul et voulant l’oublier dans la foule.
Solitude:
Ces différences sont principalement imposées de l'extérieur ; ce sont des dis- tinctions de rang, de statut et de propriété. Les hommes, en tant qu'individus, sont toujours conscients de ces distinctions ; elles pèsent lourdement sur eux et les maintiennent fermement à l'écart les uns des autres. Un homme se tient seul dans un endroit sûr et bien défini, chacun de ses gestes affirmant son droit à tenir les autres à distance. Il se tient là comme un moulin à vent sur une énorme plaine, isolé, et il n'y a rien entre lui et le moulin suivant. Toute la vie, pour autant qu'il la connaisse, est disposée en distances - la maison dans laquelle il s'enferme et ses biens, les postes qu'il occupe, le rang qu'il désire - tout cela sert à créer des distances, à les confirmer et à les étendre. Tout geste d'approche libre ou important à l'égard d'un autre être humain est inhibé. L'impulsion et la contre-impulsion suintent comme dans un désert. Aucun homme ne peut s'approcher d'un autre, ni atteindre sa hauteur. Dans tous les domaines de la vie, des hiérarchies bien établies l'empêchent de toucher toute personne plus élevée que lui, ou de descendre, sauf en apparence, vers une personne plus basse. Dans les différentes sociétés, les distances s'équilibrent différemment les unes des autres, l'accent étant mis sur la naissance pour certaines, sur la profession ou la propriété pour d'autres.
Foule:
L'homme se pétrifie et s'assombrit dans les distances qu'il a créées. Il se traîne sous leur fardeau, ne peut plus bouger.. Il oublie qu'il s'inflige à lui-même, et aspire à la liberté. Mais comment, seul, peut-il se libérer ? Quoi qu'il fasse, et quelle que soit sa déception, il se retrouvera toujours parmi les autres qui contrecarrent ses efforts. Tant qu'ils tiennent bon à leurs distances, il ne peut jamais s'approcher d'eux.
Ce n'est qu'ensemble que les hommes peuvent se libérer de leur fardeau de dis- ance ; précisément, c'est ce qui se passe dans une foule. Pendant la décharge, les distances sont abolies et tous se sentent égaux. Dans cette densité, où il n'y a pratiquement pas d'espace entre les corps et où ceux-ci se pressent les uns contre les autres, chaque homme est aussi proche de l'autre que de lui-même, et un immense sentiment de soulagement s'ensuit. C'est pour ce moment béni, où personne n'est plus grand ou meilleur qu'un autre, que les gens deviennent une foule.
Abondance et solitude
Il y a un contraste énorme entre les frictions imposées par les gouvernements pour lutter contre le Coronavirus et la diminution des frictions de toute sorte apportée par internet. S’il y a bien une tendance de fond, c’est l’abandon des frictions qui nous permet d’avoir ce que l’on veut à tout instant, sans difficulté. L’abondance de biens et de contacts est à portée de mobile (à condition que la demande globale suive une loi normale, pas une loi de puissance comme aujourd’hui, mais c’est pour un autre article !). Les sociétés technologiques nous aident à trier cette abondance et à nous la fournir sur le champ: Google pour l’information, Facebook pour les contacts, Netflix pour les séries, Amazon pour les biens matériels, Spotify pour la musique. Nous avons tout à disposition sauf la présence d’autrui. Le confinement, en nous mettant en face de notre solitude, creuse singulièrement notre besoin d’être ensemble, et ce besoin est en sérieux conflit avec la logique de l’internet qui est avant tout asynchronisme et distanciation:
Asynchronisme: la grande force d’internet est de banaliser le temps. Les interactions sont grandement favorisées par rapport au monde d’avant justement parce qu’elles sont décalées dans le temps, et cela donne un avantage terrible pour le ciblage. Ainsi de nombreuses affaires internet peuvent prospérer au détriment des sociétés traditionnelles qui connaissent moins bien leurs clients, ne bénéficiant pas des mêmes mécanismes de feedback. Netflix s’est construit sur la banalisation du temps, mettant en ligne l’intégralité d’une série alors que les chaînes vidéo type HBO ou Starz distillaient les épisodes semaine après semaine sur le câble pour garder au maximum leurs abonnés. Netflix procurait l’abondance quand HBO gérait la rareté en l’inscrivant dans le temps. L’internet segmente et sépare.
Distanciation: l’internet change la perspective par rapport à la vérité. Jusqu’alors on avait confiance dans des experts adoubés par des diplômes, des comités ou leurs pairs pour délivrer la bonne parole, que ce soit concernant l’analyse politique (journaux), le savoir (encyclopédies), la santé (OMS), la vie de la cité (partis politiques mainstream). On a maintenant une profusion d’information et la sagesse des foule produit une information gratuite souvent de bien meilleure qualité que l’information officielle, mais elle est enfouie dans un monceau d’informations insipides au mieux et fausses au pire. Cela permet des sites comme Wikipedia par exemple. Tirer parti au mieux de l’internet demande cependant d’adopter une attitude distante par rapport à l’information, de ne pas prendre pour argent content tout ce qui est raconté, bref d’adopter un filtre dont on se passait auparavant. On s’habitue à ce filtre comme j’imagine à un masque en période de Covid-19. La distanciation vis à vis de l’information devient aussi distanciation vis à vis de ceux qui la donnent. Les contacts (amis/ followers) se multiplient mais la nécessité de prendre ses distances aussi.
Certes l’internet permet aussi de rassembler. On le voit par exemple avec le succès de Zoom, l’application de visioconférence dont le nombre d’utilisateurs quotidiens est passé de 10 millions à 200 millions pendant le confinement. Cependant, il s’est développé dans une direction qui abstrait le temps et les autres, accentuant notre solitude, malgré les apparences. C’est pourquoi la pensée magique (assénée, non explicitée) des spécialistes des médias, comme Ben Thompson ou Mathieu Ball mérite d’être approfondie:
Le retour du direct
La TV traditionnelle avait la particularité de pouvoir réunir autour d’événements: le premier homme sur la lune, le combat entre Mohamed Ali et James Frasier, la coupe du monde de foot, le film du dimanche soir, les soirées électorales, etc. Ces événements partagés nous font sentir notre appartenance à une communauté, à une foule selon Canetti. Après confinement, notre soif de contact va monter. La TV linéaire a trop de frictions pour rentrer en grâce, même si elle est adaptée au direct. Elle est liée à son habitation et ne permet pas d’interactivité. C’est trop frustrant à l’heure de l’internet. Le bouquet de chaînes ne tient plus que grâce au sport, qui pour l’instant évite internet en raison de sa forte fragmentation. L’internet va donc devoir évoluer pour accommoder le direct, ou tout au moins proposer une alternative à l’asynchronisme, dont il s’est fait une spécialité. Les BigTech ont un problème avec le direct:
Elles sont fortes pour trier l’abondance, abondance qui se déprécie très vite (règle économique de base). Elles sont donc à risque des qu’elles paient pour cette abondance. C’est pourquoi Google et Facebook ont les meilleurs modèles économiques car ils ne paient rien pour leur contenu. Le bon direct coûte cher, ce qui les rend mal à l’aise.
Elles fragmentent leur audience pour mieux la servir, ce qui n’est pas propice au direct.
Leur modèle publicitaire repose avant tout sur la publicité basée sur la performance (au clic). Or il est très peu pratique de cliquer pendant un direct.
Les essais de direct par les BigTech ne sont pour l’instant pas concluants. Elles ne veulent pas payer pour les programmes, car l’audience est trop fragmentée. La TV en direct chez Facebook est insipide. Qui la regarde ? Qui sait même qu’elle existe ? YouTube (Google) s’y essaie mais avec une audience très fragmentée. Ne voulant pas débourser, YouTube manque de programmes en direct fédérateurs. Amazon et Netflix sont les deux sociétés de médias internet qui peuvent le mieux faire la transition de l’asynchronisme vers le direct, parce qu’elles sont habituées à gérer des biens qui se déprécient vite et n’ont pas un modèle économique publicitaire. Netflix s’y essaie timidement, donnant maintenant le hit parade du jour, espérant ainsi inciter ses membres à regarder la même chose au même moment (ou presque) et reproduire l’expérience communautaire de la TV d’antan (cette fois par nudge, non obligation):
Amazon Prime Video est plus audacieux, et n’hésite pas à racheter des droits sportifs. Après le foot, le tennis. L’Express (14/11/2019):
Jeu, set et match ? Emilie Montané vient de donner vie au pire cauchemar du petit écran. Cet été, la discrète juriste a bousculé tout le paysage audiovisuel. La directrice médias & production de la Fédération française de tennis (FFT) a rompu avec la tradition qui assurait à France Télévisions le monopole de la retransmission du tournoi de Roland Garros sur terre battue. Dès le mois de mai 2021, il devra composer avec Amazon. Toutes les chaînes redoutaient ce moment-là. Cet instant précis ou YouTube, Facebook ou Twitter s'inviteraient à leurs dépens dans la diffusion en direct d'événements sportifs. Mais pas forcément en venant frapper un grand coup dans la petite balle jaune. "Leur ombre planait sur le PAF depuis un bon moment, au point que personne n'y croyait plus, souligne Emilie Montané. En récupérant les matchs du court Simonne-Mathieu et ceux en soirée, Amazon a finalement été le premier à s'aventurer sur ce terrain."
Facebook achète aussi de temps en temps des droits sportifs régionaux mais hésite à se lancer vraiment car ce n’est pas dans sa culture. Les BigTech pataugent mais le Covid va leur donner une nouvelle impulsion.
Paradoxalement, les vieilles sociétés de médias ont leur chance dans ce nouvel environnement, en premier celle qui sait regrouper toutes les générations autour de ses programmes: Disney est le maître pour créer des communautés autour de ses programmes, que ce soit Star Wars, l’univers Marvel ou le sport via ESPN. Ces communautés sont durables et transcendent les différents moyens de communication. La communauté se crée à partir du lancement d’un film au cinéma. Il ne faut pas négliger l’importance du modèle économique des salles de cinéma qui est d’avoir la primeur sur les nouveaux films pendant une période de 90 jours. Cela permet de créer des communautés de gens qui voient le même film à peu près en même temps. Disney est maître dans la création de ces communautés, en créant le buzz (à la Apple) puis en lançant massivement ses films. Avengers Endgame par exemple a collecté $357 millions le premier week-end d’ouverture aux Etats-Unis sur un total de $858 millions. La communauté créée ainsi sera entretenue avec les produits dérivés, séquelles, parcs de loisirs, etc., de génération en génération. Disney est particulièrement préparé à l’internet du direct car son contenu y est adapté: l’univers de ses personnages ne se déprécie pas ce qui lui permet de prolonger ses communautés de fans aussi bien dans l’univers physique que virtuel (internet), à un coût marginal bien inférieur à ce que peut faire Netflix par exemple. Disney + quelques mois après son lancement a déjà 50 millions d’abonnés alors qu’il se permet de ne dévoiler qu’un épisode par semaine, justement pour lutter contre l’asynchronisme. Évidemment, n’est pas Disney qui veut. Il n’en reste pas moins que l’après Covid donne une chance supplémentaires aux producteurs de contenu de qualité, celui qui fédère et crée des communautés, de revenir dans la course par rapport aux BigTech.
De nouveaux développements possibles
Il est difficile de prévoir l’avenir des salles de cinéma dans ce contexte. D’une part elles permettent effectivement de se retrouver autour d’un thème et de combler notre besoin d’être ensemble. D’autre part, Disney rafle une proportion toujours croissante du box office comme le montre le graphique suivant, montrant qu’il est bien seul à tirer parti des salles pour construire des communautés de fans:
Le pouvoir de négociation de Disney monte à vue d’œil ainsi que sa capacité à extraire des conditions de plus en plus favorables des salles de cinéma, pénalisant au passage les petits producteurs dépendant des même salles. La fenêtre de tir des salles va se réduire (Universal l’a déjà annoncé pendant le Covid), ce qui les gêne mais pas Disney qui aura déjà constitué sa communauté et la poursuivra plus efficacement par d’autres canaux. Disney sait faire, il l’a pratiqué avec ESPN, qui étant la meilleure part du bouquet numérique imposait aux distributeurs de privilégier les autres chaînes Disney et poussait le prix du bouquet vers le haut. Enfin, les salles de cinéma vont être décimées par l’absence de recettes pendant le confinement. Elles n’étaient pas déjà dans la meilleure situation financière. Seules les plus fréquentées, vivant probablement déjà de Disney, survivront. Pour faire simple, les salles de cinéma vont devenir une annexe de Disney.
Si les salles de cinéma vont avoir de plus en plus de difficultés à faire recette en dehors de l’univers Disney, les producteurs de contenu médiatique pour éviter la banalisation du rouleau compresseur Netflix vont devoir apprendre à rassembler autour de leur contenu. Les BigTech peuvent avoir une nouvelle vocation: mettre en valeur le contenu au lieu de le banaliser.
Le premier développement qui peut illustrer ce point est l’accord récent (post Covid) entre la NBA et Microsoft. De CNBC, 16 avril 2020:
La National Basketball Association adoptera le nuage Azure de Microsoft pour améliorer l'expérience en ligne des fans, et utilisera les tablettes Microsoft Surface de manière non spécifiée, à partir de la saison 2020-21 de la ligue, ont annoncé les parties jeudi. La durée et les conditions de l'accord n'ont pas été divulguées.
L'accord intervient alors que la NBA est en pause - la ligue a suspendu la saison en cours le 11 mars pour limiter l'exposition aux coronavirus, et d'autres ligues sportives ont pris des mesures similaires. Étant donné que les équipes pourraient organiser des matchs sans foule pendant un certain temps, a-t-il dit, il est encore plus important que les ingénieurs de la ligue commencent à assembler le nouveau système.
"Je pense que le fait que nous l'annoncions en plein milieu de cette pandémie témoigne de l'importance de faire avancer cet accord", a déclaré le commissaire de la NBA, Adam Silver, dans une interview accordée à CNBC mercredi. "Le temps est essentiel ici".
Un porte-parole de la NBA a déclaré que la ligue pourrait utiliser la technologie de Microsoft pour ajouter de nouvelles fonctionnalités à son site web et à ses applications, telles que la diffusion de jeux dans la langue maternelle des fans, la possibilité de discuter pendant les matchs, l'affichage du meilleur angle de caméra pour le moment et la présentation de statistiques pertinentes sur les joueurs favoris. La ligue souhaite également s'appuyer sur des vidéos d'archives pour augmenter ce que les gens voient en regardant et en diffusant des clips des joueurs préférés.
M. Silver a déclaré que les fans préfèrent peut-être les places au bord du terrain plutôt que toute autre chose pour assister aux matchs, mais les nouvelles capacités numériques sont censées les rapprocher le plus possible.
"Comment pouvez-vous remplacer cette expérience ?" a déclaré Silver. "Peut-être qu'on peut s'en approcher."
Le Coronavirus est l’occasion de faire passer le direct de la TV traditionnelle à internet. La différence est dans ce cas précis que la NBA peut éliminer le distributeur, en engageant directement les fans. Voyons comment. Dans le monde de la TV traditionnelle, où il n’y a aucune interactivité, le direct est imparfait à faire sentir le sentiment d’appartenir à une foule: le fait de regarder en même temps est un élément. De même, la vision de la foule en liesse dans le stade. Cependant les fans se contentaient de cette immersion puisque 99 % n’allaient jamais dans un stade et la TV était la poule aux œufs d’or pour la NBA. Du fait du manque d’engagement direct possible avec les fans, la NBA avait tout intérêt à être retransmise par un distributeur (ESPN ou Warner) qui pouvait la faire bénéficier d’économies d’échelle, les avantages de cette dernière solution contrebalançant les inconvénients de ne pas pouvoir engager directement les fans. Le Covid donne l’impulsion pour un autre type d’immersion puisque les matchs vont se jouer avec des stades vides. De Morning Brew (19 avril 2020):
Le circuit PGA a annoncé jeudi qu'il reprendrait le 11 juin sans spectateurs pour permettre aux joueurs de se réjouir après les entraînements.
Taïwan a déjà pris le train en marche en accueillant des matchs de basket et de base-ball professionnels devant des stades vides ou, parfois, des mannequins robots.
Le commissaire de la NBA, Adam Silver, a lancé l'idée de jouer sans fans, tandis que la NFL a déclaré que sa décision sera "guidée par les derniers conseils des responsables médicaux et de la santé publique".
L’internet permet une immersion d’un autre niveau, ce qui libère potentiellement les fournisseurs de programmes de leur distributeur classique. Dans un récent interview avec Ben Thompson (Stratechery), Adam Silver, responsable de la NBA explique l’accord avec Microsoft:
Je pense qu'on se concentre tellement sur le fait que nous pourrions jouer à des jeux sans fans cet été, et une chose que je ne cesse de souligner aux gens est que la grande majorité de nos fans, probablement plus de 99% d'entre eux, ne mettent jamais les pieds dans une arène de la NBA. Nous jouons donc toujours devant des fans, même si vous n'avez pas de fans physiques dans l'arène. Cela change l'expérience et ils nous manqueront beaucoup, mais je pense que cela crée un défi encore plus grand sur la façon de les atteindre.
L'une des choses auxquelles nous avons pensé du point de vue technologique, c'est que c'est peut-être une expérience unique d'être dans une arène de la NBA, mais la meilleure chose à faire est de s'asseoir pour regarder un match, comme sur une Xbox peut-être avec votre casque, et vous avez un ami à votre gauche, un fan à votre droite et c'est comme si vous étiez dans l'arène en train de parler à ces amis pendant le match. Et puis, plutôt que de se limiter aux 19 000 personnes présentes dans l'arène avec vous, cette communauté mondiale de fans de la NBA se rassemble en temps réel, et il y a un moyen d'obtenir instantanément une sorte de sagesse de la part de la foule pour savoir si elle pense que c'était une bonne ou une mauvaise décision, si elle applaudit ou si elle se moque ou quoi que ce soit d'autre. Une partie de ce que nous espérons construire avec cette relation est une façon de reproduire cette expérience incroyable que nous avons maintenant dans notre arène.
Il n’est pas dit que les fournisseurs de programmes en constituant des communautés autour d’eux vont se passer de l’effet d’échelle des distributeurs. En tout cas, leur pouvoir de négociation va sensiblement se renforcer grâce à BigTech.
Un deuxième développement possible dans l’univers des médias pourrait passer par la visio-conférence. L’utilisation des applications s’est multipliée pendant le confinement, au départ pour le télétravail. Zoom, la plus utilisée (200 millions d’utilisateurs quotidiens au dernier comptage connu) est destinée a une clientèle d’entreprise. D’autres applications peuvent essayer tirer parti de l’erreur stratégique de Zoom d’avoir négligé la sécurité: Meet, Skype, Cisco WebEx. Le confinement a permis le développement de nouveaux usages inattendus. Par exemple Okta a décidé cette année de tenir sa conférence des développeurs de manière virtuelle plutôt que de l’annuler comme l’ont fait Google et Facebook:
Okta est la dernière entreprise technologique à annuler sa prochaine conférence et à la transformer en un événement virtuel au milieu des inquiétudes suscitées par la maladie liée aux coronavirus, COVID-19.
La société de gestion de la sécurité et de l'identité a déclaré qu'elle ferait de sa conférence annuelle Oktane, destinée aux professionnels de l'informatique, aux chefs de produits et aux développeurs, un événement uniquement en ligne, car c'est le meilleur moyen de "s'engager en toute sécurité avec l'ensemble de notre communauté". L'événement compte généralement environ 6 000 participants.
Surprise ! L’événement a attiré 15 000 personnes en live plus d’autres en différé et attiré 4 000 prospects. La visioconférence pourrait largement dépasser le cadre du télétravail à l’avenir pour être largement adoptée dans le domaine des médias. Son adoption se heurte à des limites physiques: qualité médiocre de la transmission et nombre limité de participants (1 000 chez Zoom). Or le modèle économique du virtuel (de la TV à l’internet) est le coût marginal nul. C’est ce qui fait que la NBA est rentable avec seulement 1% des fans dans les stades et 99% derrière leur poste de télévision. 1 000 participants est insuffisant. Une fois ces limites repoussées, la visioconférence permettra de rapprocher les fans autour d’événements de masse, que ce soit du sport, du spectacle ou même du virtuel (jeux vidéos) et cela bien mieux qu’avec le chat utilisé aujourd’hui. Il faut s’attendre à des investissements massifs dans la visioconférence ces prochaines années avec la pleine implication des BigTech à l’assaut de Zoom pour dépasser largement le cadre du télétravail.
Les grandes tendances que j’entrevois pour les médias après Covid-19 sont donc:
Le retour du direct, qui va à l’encontre de la tendance asynchronique de l’internet, mais sous des formes qui nous feront d’avantage ressentir notre appartenance à une foule.
Le retour du contenu fédérateur, difficilement banalisable, contrebalançant le pouvoir des agrégateurs.
la disparition d’intermédiaires qui avaient leur raison d’être dans un monde non segmenté.
Un nouveau rôle de facilitateur, au lieu de prédateur pour les BigTech
L’achat de Houseparty, l’application de visioconférence par Epic Games (Fortnite) laisse entrevoir que peut-être l’avenir de la visioconférence est dans le metaverse.
Bonne fin de semaine à tous,
Hervé