Monnaies numériques de banque centrale: révolution ou pétard mouillé ?
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Mon article sur l’informatique quantique ayant apparemment intéressé les lecteurs, je continue avec la partie 2 de la série: révolution ou pétard mouillé ?
CNBC, le 20 mai 2021:
La Réserve fédérale avance dans ses efforts pour développer sa propre monnaie numérique, annonçant jeudi qu'elle publiera cet été un document de recherche qui explore plus avant cette possibilité.
Bien que la banque centrale n'ait pas établi de plans spécifiques sur la monnaie, le président Jerome Powell a cité les progrès de la technologie des paiements et a déclaré que la Fed a "suivi de près et s'est adaptée" à ces innovations.
"Le fonctionnement efficace de notre économie exige que les gens aient foi et confiance non seulement dans le dollar, mais aussi dans les réseaux de paiement, les banques et les autres prestataires de services de paiement qui permettent à l'argent de circuler au quotidien", a déclaré M. Powell dans un message vidéo accompagnant l'annonce.
"Notre objectif est de garantir un système de paiement sûr et efficace qui offre de larges avantages aux ménages et aux entreprises américains tout en favorisant l'innovation", a-t-il ajouté.
La FED a six ans de retard sur la banque centrale chinoise (PBOC). Entre temps, l’Europe s’est réveillée avec un timide rapport de la Banque Centrale Européenne le 2 octobre 2020. Conclusion de Christine Lagarde:
Pour l'avenir, nous devons être prêts à introduire un euro numérique, si le besoin s'en fait sentir. Pour l'instant, nous gardons les options ouvertes quant à savoir si et quand cela doit se produire.
D’après un sondage de la Banque pour les Règlements Internationaux réalisé en 2020, 86% des banques centrales sondées étudient des projets de monnaie numérique. 60 banques centrales se sentent concernées. Les paiements mobiles prennent le pas sur l’utilisation du cash, les Blockchain sur les systèmes de paiement type SWIFT. Les banques centrales se sentent menacées dans leur privilège ancien de droit de seigneuriage. Comment récupérer ce pouvoir et ne pas se laisser dépasser par de nouveaux entrants ? Il leur faut proposer une alternative convaincante, combler un manque, sans déstabiliser l’ordre monétaire historique.
Quel est le manque ?
Généralement, un nouveau produit pour être adopté doit combler un manque, même inconscient. Les cryptomonnaies par exemple répondent à un besoin de retrouver un internet décentralisé, le Bitcoin au rêve d’une monnaie forte. Mais le cash digital ?
Il est moins anonyme que le cash réel, la monnaie fiduciaire, dans la mesure où il est constitué d’un enregistrement incluant le nom ou numéro de téléphone de son propriétaire dans une base de données de la banque centrale, elle-même sous-traitée à un cloud privé.
Il est moins inclusif car le porteur doit disposer d’un smartphone ou au minimum d’une carte pour le stocker. La poche de pantalon ou le sac à main ne suffisent plus.
Il est moins sécurisé car une écriture comptable dans une base de données qui n’est pas une blockchain peut être effacée ou transformée du jour au lendemain.
Enfin, il n’offre aucun espoir d’avoir plus de valeur que le cash auquel il se substitue et court un risque de dépréciation par rapport à la monnaie fiduciaire officielle: 1/ Il est encore plus facile à émettre et à introduire dans le système bancaire que la monnaie papier, l’obstacle de la matière disparaissant.2/ Il est aisément manipulable par le biais de taux d’intérêt négatifs.
Il faut aller alors chercher le manque du côté des moyens de paiement: comme l’usage du cash diminue face aux paiements mobile, de plus en plus dominés par des FinTech non bancaires, la marginalisation du système bancaire est un risque. Pour reprendre la main, la banque centrale ne pourrait-elle pas améliorer l’infrastructure des paiements avec le cash digital, les rendre plus rapides, anonymes, inclusifs et sûrs, en supprimant une étape: le dépôt bancaire ? Cela engendre un dilemme:
Ce cash digital, s’il est distribué par les banques sera-t-il aussi pratique que les solutions existantes (Visa, Mastercard, Alipay, WeChat Pay, Diem, etc.) basées sur l’échange de dépôts ? L’aspect pratique n’est-il pas ce que les gens cherchent en priorité dans le paiement mobile ? Une monnaie ne se développe vraiment que si elle est utilisée.
Si on rend le transfert de cash digital aussi pratique que le transfert de dépôts bancaires par QR code ou NFC, la concurrence risque de déstabiliser le système bancaire. Il y a un rapport de 1 à 10 entre l’encours de monnaie fiduciaire et le montant des dépôts bancaires. La justification de ces dépôts est essentiellement de pouvoir payer ses achats.
Les banques centrales doivent gérer ce dilemme, limiter la concurrence qu’elles pourraient exercer sur des systèmes de paiements mobiles souvent déjà performants: le flop n’est pas loin...
Il reste le rêve pour un pays ou une zone de constituer une monnaie de réserve grâce à un système de paiement international moderne. La cryptomonnaie est idéale sur ce point car elle est à la fois jeton et infrastructure de paiement, comme le photon est onde et matière. Si une monnaie digitale banque centrale est intégrée à une blockchain efficace qui fait tache d’huile à l’international, on peut espérer que l’une entraînera l’autre, donnant à la e-devise un statut de monnaie de réserve. La question reste de savoir si la puissance économique d’une zone ne reste pas le premier critère pour imposer sa monnaie.
Le flop du dollar digital équatorien.
L’Equateur a fait sa tentative, elle a duré de 2014 à 2018. Depuis 2000 et après un épisode d’hyperinflation, le Sucre équatorien a été rattaché au dollar puis substitué par ce dernier. 40% de la population n’a pas de compte bancaire et réalise ses transactions en cash dollar. Cela finit par poser un problème de souveraineté que la banque centrale maquille en problème d’inclusion (inclusion dans la base fiscale probablement). Le gouvernement Correa s’est donné toutes les chances. Il fait passer une loi en 2014 bannissant les cryptomonnaies et donnant à la Banque Centrale d’Equateur le monopole de la monnaie numérique incluant le portefeuille électronique. Les banques sont désintermédiées, même si elles sont utilisées pour distribuer le portefeuille électronique de la banque centrale. Les utilisateurs ont directement un compte à la banque centrale, la monnaie électronique étant une créance sur le dollar . Il n’y a plus de problème d’inter-opérabilité entre moyens de paiement mobile puisqu’il n’y en a plus qu’un. Pour réaliser son plan, la Banque Centrale d’Equateur se met entre les mains d’une FinTech (Inswitch), certainement très contente d’avoir le monopole. Le résultat est un échec: en trois ans 400 000 comptes ont été ouverts (sur une population de 17 millions) dont 70% inactifs fin 2017. Le successeur de Correa ordonne de fermer tous les comptes d’ici avril 2018. On peut tirer plusieurs leçons de cet échec:
Le fait d’imposer une monnaie ne suffit pas à la faire circuler. L’usage compte. Le Bitcoin, pourtant interdit, a continué à se transiger.
Eliminer la concurrence du secteur privé est dangereux car on finit par fabriquer une usine à gaz.
Centraliser le cash sur une base de donnée non distribuée ne donne pas confiance, car il rend le porteur à la merci d’une décision brutale de la Banque Centrale à son encontre. Les équatoriens avaient peur que leur banque centrale transforment leurs dollars en monnaie de singe. En 2008, l’Etat avait été incapable de rembourser ses dettes en dollar.
Les autorités équatoriennes ont depuis revu leur position et ouvert les moyens de paiement électroniques à la concurrence.
Les motivations chinoises
Chaque pays a des bonnes raison pour adopter la monnaie électronique, le plus souvent des raisons de pouvoir. Pour l’Equateur, c’était la prépondérance du cash dollar qui inquiétait les autorités, pour la Chine, c’est plutôt la perte de contrôle sur les paiements, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des frontières.
A l’intérieur : le graphique suivant explique pourquoi la Banque Centrale chinoise (PBOC) a commencé à être préoccupée en 2014:
Les paiements mobiles sont dominés en Chine par deux plate-formes privées qui ne sont pas contrôlées par la PBOC, échappant ainsi jusqu’à présent au système bancaire et à son contrôle: Alipay et WeChat Pay:
C’est en 2014 qu’Alipay se transforme en Ant Financial et commence à se diversifier sur les métiers bancaires (micro-crédit, gestion pour compte de tiers, crédit consommation, etc.), sans supervision. Tencent l’imite à son tour en janvier 2014 avec la création des enveloppes rouges. La menace est sérieuse à terme pour la souveraineté chinoise, si un système bancaire alternatif ultra-efficace se développe.
A l’extérieur : les paiements internationaux sont orchestrés par le système de messagerie SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), une coopérative belge contrôlée par ses adhérents, les principales banques internationales. Dans les faits, la majorité des paiements se font en dollar qui est la monnaie de réserve internationale:
Les États-Unis dominent les paiements et par conséquent la coopérative. Ils ont tendance à utiliser SWIFT à des fins politiques (sanctions visant à exclure des membres comme l’Iran). La Chine voit cette domination d’un mauvais œil et cherche l’instauration d’un mécanisme de paiement international moderne où elle pourrait exercer son influence. En ayant la première monnaie digitale banque centrale d’importance sur le marché, la Chine espère pouvoir faciliter les paiements internationaux, imposer ainsi sa monnaie pour les paiements trans-frontières, noyauter SWIFT ou en constituer une alternative credible, voire imposer le renminbi digital comme monnaie de réserve concurrente du dollar.
La PBOC, à la différence de la banque centrale équatorienne veut prendre son temps pour éviter le fiasco, multiplie les opérations pilote, évite d’arrêter trop vite ses options. La banque centrale entreprend un plan à dix ans, centre son action sur les paiements plutôt que le remplacement du cash, appelant sa monnaie électronique DC/EP (Digital Currency/ Electronic Payment). C’est un vaste projet de recherche. L’idée est d’équilibrer le pouvoir entre banques d’état (qui n’ont pas Visa/MasterCard) et plate-formes de paiement ainsi que de stimuler la concurrence. Assez vite, les travaux ont porté sur la blockchain car à mon avis, la PBOC essayait d’apporter un plus aux paiements digitaux tels que pratiqués par les deux géants de l’internet, pour y apporter plus de sécurité: on n’attire pas les mouches avec du vinaigre. Les travaux ont patiné pendant quatre ans, la nature décentralisée de la blockchain étant incompatible avec la volonté de contrôle de la PBOC. Il a fallu attendre Facebook et son invention de la blockchain centralisée en 2019 avec la création du Libra et la gestion de la base de donnée par une association. Cette initiative d’un grand centralisateur, Mark Zuckerberg, ouvrait des horizons et créait une motivation pour faire avancer le renminbi digital. Au final, même avec un aspect centralisé, la blockchain reste incompatible avec le contrôle total du renminbi digital souhaité par la PBOC, c’est à dire la possibilité de revenir sur une transaction. C’est pourquoi elle n’est pas retenue pour l’instant dans le fonctionnement au niveau de la PBOC même si les explorations continuent pour différencier le renminbi digital des moyens de paiement Alipay et WeChatPay. L’idée serait d’introduire des smart contrats.
Comment le renminbi digital va fonctionner
Il n’y a pas de livre blanc pour le renminbi digital (DC/EP ou e-CNY) comme il y en a pour les crypto-monnaies. Le renminbi digital est un projet de recherche qui pose un certain nombre de principes. A la différence de la monnaie électronique équatorienne, il ne va pas court-circuiter les intermédiaires mais au contraire les responsabiliser, pour assurer le succès de la distribution. C’est un système à deux niveaux dans lequel les intermédiaires (banques) acquièrent la monnaie contre réserves, puis la cèdent contre dépôts à leurs clients. Ils choisissent la technologie pour effectuer les règlements, constituent les wallets, garantissent les paiements, font les KYC (Know your customer). Ce ne sont pas de simples émissaires de la banque centrale payés à la commission comme en Équateur. Le renminbi digital fonctionne comme la monnaie fiduciaire, il fait partie de M0. Pour la PBOC, l’émulation de la concurrence permettra d’éviter de tomber dans le duopole des deux géants du paiement en monnaie scripturale (dépôts) en ouvrant le champ de la concurrence au paiement en monnaie fiduciaire et de rester ainsi à la pointe de la technologie. Qu’est-ce au juste que la DC/EP ?
une inscription dans un registre tenu par la banque centrale.
des applications (Wallet) privées pour stocker l’instruction et la transmettre (assurer les règlements). Ces applications sont liées à un compte bancaire, mais les opérations effectuées sont anonymes, donc inconnues de la banque ou de tout autre tiers hormis la PBOC. Le wallet fonctionne comme un coffre à la banque: le banquier ignore ce qu’il contient et son usage.
une infrastructure informatique qui permette d’enregistrer les instructions au fur et à mesure dans la base de données de la PBOC.
La technologie déployée par la PBOC est indépendante de celles qui seront adoptées par les banques. Il faudra néanmoins une intégration de sorte qu’une opération anonyme pour le banquier soit traçable et surtout modifiable par la PBOC. Dans l’idéal, la technologie des règlements adoptée par les intermédiaires sera une blockchain, celle de la PBOC une base de données classique mais les deux seront intégrées (ce qui semble être aujourd’hui la quadrature du cercle). En avril 2021, la PBOC a fait le choix de la base de données Océan, conçue par Ant Group. Parallèlement, la Chine s’est fixée sur un projet de blockchain national pour les intermédiaires en janvier 2021: Chang’an. Il reste à comprendre si cette blockchain en sera bien une ou un artifice marketing. Voici le schéma de fonctionnement envisagé :
Les intermédiaires seront d’abord les six grandes banques d’Etat, les wallets devant être connectés à des comptes bancaires pour les transferts de fonds (dépôts contre e-CNY et vive versa ). Puis en principe d’autres intermédiaires pourraient être agréés comme Alipay ou WeChatPay.
La Chine a commencé à introduire l’e-CNY au travers d’opérations pilotes; en fait beaucoup de battage médiatique pour un montant global distribué d’environ $30 millions et $ 300 millions dépensés en 2020 , à comparer aux $ 49 trillions de paiements mobiles. Les essais vont s’intensifier en 2021 avec la participation des plateformes commerciales comme Jd.com, Didi et Meituan ravies de pouvoir offrir à leurs clients un paiement autre que celui déployé par leurs plus gros concurrents Alibaba.com et Tencent. En 2022 les jeux olympiques d’hiver seront une occasion médiatique importante pour déployer le renminbi digital.
Pour ce qui concerne les paiements trans frontières, la Chine organise une opération pilote entre Shenzhen, 8 autres municipalités chinoises, Hong Kong et Macau, une zone de 72 millions d’habitants et un PNB de $1,6 Trillion. L’idée est de faire fonctionner un paiement en e-yuan par wallet au niveau international et en temps réel. La Chine n’en est pas encore à concurrencer SWIFT. Elle a créé au contraire un joint venture avec ce dernier début 2021 pour explorer un paiement interbancaire international en e-CNY. L’objectif est pour l’instant de contrecarrer l’influence US dans SWIFT.
Le dilemme de l’innovateur
Le renminbi digital est en concurrence directe avec le dépôt bancaire: toutes choses égales par ailleurs, un renminbi digital en plus est un dépôt bancaire en moins. Dans un premier temps pour en favoriser l’adoption, les opérations pilote ont consisté en des loteries dans lesquelles la PBOC donnait des e-CNY. C’était de la création monétaire pure, permettant d’éviter la concurrence avec le dépôt bancaire. Le fonctionnement pratique à l’échelle sera différent. Si le renminbi digital est apprécié comme moyen de paiement, son usage va se répandre ainsi que les encaisses correspondantes. C’est le principe de la monnaie: l’échange produit de la réserve. En l’occurrence les réserves en e-CNY détruiront des dépôt bancaires. Le risque est un effet boule de neige où l’e-CNY chasse le dépôt jusqu’à la panique bancaire et la dépression:
L’e-CNY ne peut être que marginal dans le contexte du système bancaire actuel. Il faut s’attendre à des limites importantes sur son utilisation et son encaisse. Les wallets imaginés par la PBOC incorporent ces limites:
D’après China Briefing, le 12 mai 2021:
Sur la page de gestion du portefeuille de l'application officielle de la CCB, le portefeuille numérique en RMB comporte un identifiant de portefeuille, un solde actuel, une limite de solde, une limite de paiement unique, une limite de paiement cumulatif quotidien, un paiement cumulatif annuel, un montant restant quotidien et un montant restant annuel.
Le contrat d'utilisation de la banque précisait qu'il y aurait quatre niveaux de porte-monnaie numérique en RMB, avec des limites de solde et de paiement variables.
La Chine fait ainsi face au dilemme de l’innovateur cher au professeur Clayton Christensen: ou elle adopte résolument le renminbi digital et revoit de fond en comble son système bancaire pour éliminer le levier des dépôts et le risque de dépression, ou elle cherche avant tout à préserver le système bancaire existant et l’e-CNY sera alors un flop car victime de ses limites (taux d’intérêts négatifs pour en éviter l’expansion par exemple). La Chine n’est pas mieux lotie sur les paiements trans frontières. Le système à deux niveaux retarde l’adoption d’une blockchain, donc d’une épine dorsale moderne. Les prochaines années seront intéressantes à observer.
Les disrupteurs ?
Une monnaie digitale banque centrale a peu de chance de réussite dans les pays sur-bancarisés et peu prompts au changement, les plus susceptibles d’être victimes du dilemme de l’innovateur. Les probabilités de succès sont faibles aux États-Unis et inexistantes en Europe. Ce sera sans doute beaucoup de bruit pour rien. Les meilleures chances sont, comme pour toute innovation, du côté de ceux qui ne sont pas encombrés par leur passé, en l’occurence un lourd système bancaire existant. Il faut chercher du côté des pays émergents. Il y a deux approches contrastées: certains pays cherchent à construire une infrastructure de paiement, d’autres à créer un jeton.
Le Cambodge s’intéresse à l’infrastructure de paiement. Il comprend 500 banques privées, de nombreux pourvoyeurs de paiements mobiles, un marché éparpillé et peu structuré, un problème d’interoperabilité entre systèmes. En coopération avec la FinTech japonaise Soramitsu, la Banque Nationale du Cambodge met en place le projet Bakong, une base de données partagée (distributed ledger) utilisant le protocole open source Hyperledger Iroha. A la différence de la Chine, l’option blockchain est résolument adoptée pour l’ensemble du dispositif, au lieu d’un système complexe à deux dimensions permettant de revenir sur les transactions (base de données relationnelle centrale et blockchain). La simplicité permet d’aller plus vite: le projet démarre en 2016, les opérations pilote ont lieu en 2019, le livre blanc est édité au deuxième trimestre 2020 et la monnaie numérique lancée formellement au troisième trimestre 2020. Le Cambodge n’a pas d’arrière pensée sur le développement de la monnaie numérique car 78 % de la population n’a pas de compte en banque alors que presque tous les habitants ont un smartphone. La panique bancaire n’est pas vraiment le sujet, l’inclusion au contraire l’est ainsi que la mise en place d’une infrastructure de paiement moderne. La Chine ne répond pas aux critères d’une telle réussite: près de 80 % de la population chinoise est bancarisée, les paiements mobiles fonctionnent très bien et en cas de réussite du projet, le risque de canibalisation des dépôts est réel. Plus qu’une monnaie numérique, le Cambodge met en place une infrastructure de règlement, capable de supporter n’importe quelle e-monnaie (fiduciaire ou scripturale). La monnaie numérique de banque centrale est une option, qui pourra ou pas prendre de l’ampleur. La directrice générale de la Banque Nationale du Cambodge est clair sur le sujet (interview du 11 novembre 2020):
Emmanuel Daniel (journaliste) : Vous imaginez que Bakong est décrit en dehors du Cambodge comme une monnaie numérique de banque centrale. Est-ce vraiment une monnaie numérique de banque centrale ? Ou est-ce simplement un compte et un système de comptabilité pour le moment ?
Chea Serey (BNC) : Je n'ai jamais décrit ce projet comme une monnaie numérique de banque centrale. Je l’ai toujours décrit dans beaucoup de mes interviews comme un système de paiement dorsal, utilisant la technologie DLT (Distributed Ledger Technology). Je veux dire, d'un point de vue technologique, parce que c'est du peer to peer, et que c'est émis par la banque centrale, donc les gens pensent que c'est une monnaie numérique de banque centrale. C'est une quasi-monnaie et ce n'est pas exactement ce qu'une monnaie numérique de banque centrale est censée être. Par exemple, elle n'est pas basée sur un jeton, mais sur un compte. Nous ne gagnons aucun seigneuriage en l'émettant.
Les Bahamas axent leur développement sur la monnaie numérique de banque centrale et créent un jeton. Dans un archipel de 700 îles éparpillées dans une zone exposée aux cyclones, le cash, pourtant prédominant, rencontre l’obstacle de la distance et des destructions potentielles de distributeurs de billets . Une monnaie numérique de banque centrale permet d’éviter ces inconvénients: elle est clairement un substitut au cash avec de bonnes chances de réussite, l’aspect pratique compensant l’inconvénient de la traçabilité (pour l’utilisateur). La Banque centrale des Bahamas a donc créé son jeton (le Sand dollar) qui est distribué au travers d’établissements agréés et une infrastructure blockChain depuis octobre 2000. Le jeton est lié à un compte bancaire, lui fait concurrence. La Banque Centrale accepte le risque car 1/ la dette du pays est raisonnable, 2/ le pays est riche, 3/ la monnaie numérique de banque centrale se substitue au cash, qui a déjà mordu sur les dépôts, 4/ un système de limite d’utilisation a été mis en place qui empêchera une concurrence trop forte par rapport aux paiements en monnaie dépôts. Cependant, le sand dollar tout comme son homologue physique le Bahamas dollar étant lié au dollar des Etats-Unis, il y a peu de chance de voir une révolution sur le système bancaire partir de cette région.
La monnaie numérique de banque centrale est susceptible de renverser le système bancaire traditionnel, si son côté pratique l’emporte sur les solutions de paiement existantes. Avec les développements de la blockchain, une telle révolution est envisageable, surtout que les infrastructures de paiement actuelles sont plutôt antiques. On passerait ainsi du batch au temps réel…Les principaux obstacles à prévoir sont plutôt du côté des banques centrales elles-même qui sauront mettre des bâtons dans les roues de projets qui pourrait transformer leur conception de la monnaie. La note d’espoir vient du fait que sur 60 projets envisagés, il y a bien une chance que l’un sorte du lot et fasse tâche d’huile.
Bonne fin de semaine,
Hervé