WILLIAM DING, le CEO de NETEASE est l'entrepreneur chinois type: il n’est pas missionnaire à la façon des entrepreneurs de la SILICON VALLEY, mais essentiellement pragmatique, prêt à changer de braquet et brancher sa société sur des activités disparates, pourvu que ça marche.
Le document d’introduction en bourse datant de 2000 expliquait le métier de NETEASE:
Nos activités
Nous sommes l'un des leaders de la technologie Internet en Chine. Nous avons été les pionniers du développement d'applications, de services et d'autres technologies pour Internet en Chine. Grâce à nos technologies Internet, les sites Web exploités par notre société affiliée, Guangzhou Netease Computer System Co. ou les sites Web Netease offrent aux internautes chinois des services de contenu en ligne en chinois, de commerce électronique et communautaire ou de commerce électronique. Selon une enquête du China Internet Network Information Center, ou CNNIC, datée de janvier 2000, les sites Web Netease ont été classés au deuxième rang des sites les plus recommandés par les internautes chinois. Nous croyons que nous avons été la première entreprise de technologie Internet en Chine à offrir un service de courriel Web gratuit qui prend en charge les langues chinoise et anglaise. Contrairement à de nombreuses autres sociétés Internet qui fournissent des services Internet en langue anglaise, nous nous concentrons sur les utilisateurs d'Internet en Chine. La plupart de nos employés sont de nationalité chinoise ; leurs connaissances culturelles et linguistiques nous permettent d'adapter nos services aux besoins des internautes chinois. Le nombre moyen de pages vues par jour pour la période de sept jours terminée le 31 mai 2000 a dépassé 20 millions.
on peut constater dès l’origine que NETEASE est un fourre-tout pour les chinois: média (contenu), réseau social (communauté), commerce électronique. La mission n’a pas la pureté de celle de GOOGLE (organiser l’information à l'échelle mondiale) ou de FACEBOOK (rapprocher les gens dans le monde entier). Cela explique peut-être pourquoi NETEASE est l'éternel POULIDOR derrière des sociétés comme ALIBABA ou TENCENT. De ce patchwork, une activité a émergé et constitué une réelle réussite: le service de mail gratuit proposé au travers du site 163.com qui a environ 760 millions d’utilisateurs enregistrés. Mais le mail, du fait de son aspect très décentralisé est très difficile à monétiser. WILLIAM DING ne pouvait bâtir son entreprise là dessus.
La spécialité de NETEASE était d’attirer des utilisateurs sur ses sites, notamment grâce à la fonction de mail gratuit qu’il proposait. En 2000, il y avait déjà 27 millions d’utilisateurs enregistrés. La question était de savoir comment les monétiser. Le mail n'étant pas rentable, il fallait voir ailleurs. En 2001, NETEASE acquiert les actifs d’une société qui a développé et introduit en Chine le premier jeu multi-joueurs de masse en ligne (MMORPGs). L’idée est de se servir de ses sites internet pour distribuer ce type de jeu. C’est ainsi qu’en 2001 est créé WESTWARD JOURNEY ONLINE, le jeu phare de NETEASE jusqu’à aujourd’hui. EN 2002, les jeux représentent déjà 16 % du chiffre d’affaires. En 2003, les jeux en ligne prennent l’ascendant et représentent désormais 36% du chiffre d’affaires. Voici comment la société définit son offre de jeux:
Notre activité de jeux en ligne se concentre sur l'offre massivement multijoueurs de jeux de rôle en ligne sur le marché chinois, connus sous le nom de MMORPG. Les MMORPG se jouent sur Internet dans des "mondes virtuels" qui existent sur des serveurs de jeu auxquels des milliers de joueurs se connectent et interagissent simultanément. Nous développons et concédons des licences pour des jeux en ligne destinés au marché chinois, et nous nous efforçons d'offrir à nos utilisateurs une expérience de jeu de la plus haute qualité. Nos titres MMORPG actuels incluent nos titres développés en interne, "Westward Journey Online Version 2.0" et "Fantasy Westward Journey", et un titre sous licence, "PristonTale".
Nos titres MMORPG sont accessibles de n'importe quel endroit avec une connexion Internet par les utilisateurs enregistrés des sites Web NetEase. Les joueurs de ces jeux choisissent un personnage spécifique pour commencer à jouer. Au cours du jeu, ces personnages acquièrent de l'expérience et améliorent leurs capacités de jeu, leur richesse, leurs armes et d'autres possessions, qui peuvent toutes être transférées à des sessions de jeu ultérieures. Les joueurs développent leurs personnages en fonction des choix qu'ils font dans la construction du jeu et interagissent avec des personnages exploités par ordinateur ainsi qu'avec d'autres joueurs qui jouent sur le même serveur réseau. Les joueurs peuvent communiquer entre eux pendant le jeu par messagerie ou chat, ce qui leur permet de coordonner leurs activités avec d'autres joueurs pour former des groupes et atteindre des objectifs collectifs.
Nous pouvons faire de ce bref historique de la société quelques déductions :
NETEASE, dès le départ a cherché à tirer parti de l’effet massif d’internet et à maximiser l’engagement sur ses sites: peu importe l’application pourvu qu’il y ait l’engagement, c’est à dire le temps passé de manière active.
En partant de l’engagement, NETEASE est parti tous azimuts (moteur de recherche, communauté, commerce électronique) et a laissé émerger et dominer des concurrents plus focalisés (BAIDU, ALIBABA et TENCENT). Il faut se rappeler qu’en 2003, WILLIAM DING était le chinois le plus riche. Sa fortune est maintenant estimée à 15,3 millards de dollars, moins de la moitié de celle de JACK MA ou de celle de PONY MA.
WILLIAM DING a finalement trouvé son créneau avec les jeux en ligne. Mais au lieu de constituer un agrégateur internet, tirant parti de sa base de clients et de leur engagement pour dominer l’offre, NETEASE s’est enfermé sur une niche, certes large mais une niche quand même: 40 millards de dollars en Chine sont dépensés en jeux vidéos et 150 millards de dollars dans le monde. Par comparaison, le marché mondial de la TV est environ le double.
Donnant toujours la priorité à l’engagement conformément à son modèle d’origine, NETEASE s’est spécialisé dans des jeux propriétaires à diffusion potentielle massive. La société a réussi avec quelques jeux dont WESTWARD JOURNEY. Ces jeux de type communautaire (multi-joueurs) peuvent engager les joueurs pendant de nombreuses années. Une fois ces jeux créés et un certain succès obtenu, l’objectif est de les faire évoluer par des nouvelles versions (un peu comme IOS) pour maintenir l’engagement. NETEASE a ainsi 550 millions de joueurs enregistrés sur ses différents jeux PC et mobile. Grosso modo, un utilisateur est monétisé 14 $ par an, contre 25$ pour FACEBOOK, 9$ pour TWITTER et 6$ pour SNAP.
NETEASE, comme TENCENT a un excellent business modèle fondé sur l’engagement, extensible à coût marginal faible, mais il reste dans la ligue des capitalisations boursières à deux chiffres au lieu des trois chiffres des géants de l’internet chinois. L’engagement et la monétisation sont liés aux jeux vidéo. Dans ce domaine, NETEASE excelle: parti d’un jeu inspiré de la littérature classique chinoise (un peu comme le PUY DU FOU s’inspire de l’histoire de France et connaît un grand succès depuis des années), la société a capitalisé sur l’engagement de ses joueurs pour distribuer en Chine les jeux de Blizzard Entertainment (WORLD OF WARCRAFT, OVERWATCH, etc.). NETEASE utilise aussi les cash-flows récurrents de WESTWARD JOURNEY, qui s’adresse à un public chinois pour lancer de nouveaux jeux plus internationaux : INVINCIBLE en 2015, ONMYOJI en 2016 et IDENTITY 5 en 2018.
Le grand intérêt des business modèles liés à l’engagement est que le chiffre d’affaires marginal est très rentable. La stratégie est avant tout d’augmenter le chiffre d’affaires, soit en conquérant de nouveaux clients avec les produits existants, soit en vendant aux clients déjà conquis de nouveaux produits. Dans le premier cas, on fait levier sur des produits déjà amortis, dans le deuxième cas, on économise des frais commerciaux et on renforce l’engagement. Le potentiel de NETEASE dans le jeu vidéo reste lié à cette niche. Le nombre de joueurs dans le monde est estimé à 2,4 milliards: NETEASE en touche déjà 23%. Il y a certes encore un potentiel, notamment à l’international qui ne représente que 10% de son chiffre d’affaires jeux vidéo. Mais il est difficile de penser que NETEASE va croître plus que l’industrie du jeu, sachant qu’il y a de rudes compétiteurs.
Finalement l’avantage concurrentiel de NETEASE aujourd’hui repose plus sur sa propriété intellectuelle de jeux multi joueurs que sur sa base de distribution. Et c’est justement la difficulté par rapport à ALIBABA et TENCENT. Ces derniers peuvent plus facilement faire levier sur leur base d’utilisateurs pour proposer de nouveaux services cohérents avec leur offre principale: WECHAT est un bon véhicule pour commercialiser des jeux, faire du commerce, payer, écouter de la musique, etc. L’univers du jeu est encore aujourd’hui assez fermé. C’est pourquoi les nombreuses tentatives de diversification de WILLIAM DING font chou blanc et se heurtent à chaque fois à des géants mieux armés pour réussir. La plus importante diversification est de constituer une plate-forme d’importation de produits de marques étrangères, la classe moyenne chinoise étant particulièrement friande de ce genre de produits. NETEASE déploie des ressources dans cette activité mais n’a que très peu de chance face à ALIBABA. Le mail n’est pas un bon vecteur pour promouvoir l’e-commerce, le jeu non plus; NETEASE part chaque fois avec une longueur de retard.
La question pour NETEASE, s’il veut rivaliser avec les géants de l’internet, est comment à partir du jeu promouvoir d’autres services et améliorer la monétisation.
Les tendances actuelles donnent une clé :
Le succès impressionnant de TWITCH montre qu’une communauté peut se créer autour de stars du jeu (15 millions d’utilisateurs quotidiens actifs)
Les tournois gagnent du terrain: la coupe du monde FORTNITE a réuni des dizaines de millions de joueurs en juillet et la finale s’est déroulée dans le stade ARTHUR ASHE. Le site jeu vidéo.com décrit l’ambiance et les possibilités de monétisation :
le stade Arthur Ashe, plus grand stade de Tennis au monde, lieu des finales de l'US Open et coeur américain du tennis. Mais également dans le véritable parc d'attractions miniature qui a poussé autour du stade, invitant les spectateurs à venir s'amuser dès le matin alors que les matchs ne sont joués que l'après-midi. Ici, des dizaines de stands proposent sensations fortes, maquillages, dances et quiz, chaque attraction étant minutieusement pensée pour faire référence au jeu. Fortnite est maintenant un univers, une marque qui s'exporte. En voyant la file de plusieurs centaines de mètres qui s'étend dès 8 heures du matin de la station de métro environnante à l'entrée du stade, on réalise que le titre n'est peut-être pas si loin de marcher sur les traces d'Harry Potter et d'avoir son propre parc à thème.
Les progrès de la réalité virtuelle estompent les différences entre monde virtuel et réel, si bien que les jeux peuvent mélanger les deux réalités.
La conséquence est que les jeux peuvent attirer un large public pas forcément joueur (comme le foot peut être regardé par des non sportifs) qui se préoccupe plus d’être en communauté que de réaliser un challenge. Comme FACEBOOK ou YOUTUBE, ces réseaux auront leurs règle du jeu avec recherche de statut. Les influenceurs (type NINJA) seront au top de la pyramide. Les jeux serviront à connecter des gens, comme tout bon réseau social qui se respecte, pour passer un bon moment ensemble. Dès lors, les services proposés pourront se multiplier autour des relations entre personnes et la monétisation s’accroître considérablement au delà des voies habituelles.
La question est de savoir si NETEASE, leader des jeux en Chine, peut en profiter pour reprendre l’ascendant sur TENCENT qui détient 40% d’EPIC GAMES, le promoteur de FORTNITE. L’option est incertaine mais pas cher payée.