Spotify, la radio universelle
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Le podcast suit pour les abonnés.
Le cas Spotify ne prête apparemment pas à controverse:
Trois labels concentrent l’essentiel du catalogue musical: Universal (30%), Warner (23%) et Sony (18%).
Les abonnés d’applications de streaming écoutent essentiellement le catalogue de ces labels et plus précisément la musique ancienne de plus de cinq ans. Chez Spotify par exemple, 85% de l’audience concerne le catalogue des labels, le reste allant vers les artistes indépendants et les podcasts.
Les appli de streaming sont bien obligées de fournir ce que leurs abonnés veulent, c’est à dire l’intégralité du catalogue. Spotify ne se différencie pas d’Apple Music, ni d’Amazon Music, ni de YouTube: ils doivent tous fournir la même chose.
Enfin Amazon se sert de la musique pour attirer des souscripteurs Prime, Apple pour vendre des AirPods, etc. Ces sociétés ont les poches bien pleines et peuvent casser les prix pour imposer leur écosystème.
La conséquence est que Spotify ne peut gagner d’argent, tiraillé entre les labels qui fixent leurs conditions et les GAFA qui se servent du streaming musical comme produit d’appel. Les marges brutes restent désespérément collées à 25%, du fait des royalties dus aux labels et de la concurrence des GAFA. Spotify travaille pour les labels ! Le contraste avec Netflix est on ne peut plus saisissant. Spotify affiche une capitalisation boursière de $25 milliards, le 1/6 de celle de Netflix. Pourtant Spotify a 124 millions d’abonnés payant et 271 millions d’utilisateurs, en progression de 30%, alors que Netflix a 167 millions d’abonnés en progression de 20%; les deux affaires sont dans un climat très concurrentiel, en proie aux GAFA. D’où vient donc cette supériorité de Netflix ? Tout simplement du fait qu’un film se déprécie plus vite qu’un morceau de musique. Un film se regarde une fois et on préfère les nouveautés (à l’exception de certains classiques), un morceau de musique de multiples fois. Dans l’industrie de la vidéo, la valeur va vers celui qui produit le plus de nouveautés, dans l’industrie musicale elle va vers celui qui détient les titres historiques. C’est pourquoi Netflix avec des cash-flows négatifs de $4 milliards vaut 6 fois Spotify qui engrange des cash-flows positifs de $0,5 milliards: quand Netflix investit dans la production pour creuser son avantage, Spotify paie sa taxe aux labels pour creuser le leur. Fin de l’histoire, donc ?…pas si vite…The Verge (5 février 2020):
Spotify a continué à prouver qu'il est sérieux dans sa volonté de dominer l'industrie du podcast en annonçant aujourd'hui l'acquisition de The Ringer, une société de médias connue à la fois pour son site web culturel et pour son opération massive de podcast, dont le titre est The Bill Simmons Podcast. L'émission de Simmons pourrait bien, à la place, ancrer l'empire podcast en expansion de Spotify.
L'acquisition complète une année d'achats liés au podcast pour Spotify. Il y a presque exactement un an, la société a acheté Gimlet Media, un réseau de podcast avec des émissions comme Reply All et Startup, et Anchor, une application de création de podcast. Plus tard dans l'année, elle a racheté Parcast, un réseau spécialisé dans les crimes et les horreurs réels. Ensemble, Spotify possède désormais des programmes liés au sport, à l'horreur et au crime, ainsi que des séries de prestige et des émissions originales Spotify axées sur les célébrités, comme l'émission de la comédienne Amy Schumer et celle de Joe Budden. La société audio est bien placée pour offrir quelque chose à chaque auditeur.
SPOTIFY CONSTRUIT UN CATALOGUE COMPLET DE SPECTACLES
Pourtant, Spotify n'a pas encore fait la chose la plus évidente, malgré les centaines de millions de dollars dépensés dans ces affaires : déplacer chaque émission derrière un paywall ou au moins derrière un nom d'utilisateur Spotify. Au lieu de cela, il s'est surtout concentré sur le développement de son énorme réseau, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de l'application, peut-être parce qu'il y a beaucoup d'argent à tirer des émissions disponibles gratuitement.
Que dit cette acquisition de la stratégie de Spotify ?
La course aux MAUs…et à l’engagement
Spotify a une stratégie semblable à Netflix qui est de gagner la guerre de l’engagement: nombre d’auditeurs multiplié par temps d’écoute. Leur concurrent à tous les deux est…le sommeil. La tactique diffère cependant: Netflix a proposé un catalogue énorme de films et séries à un prix mensuel 10 fois inférieur à celui d’un bouquet de chaînes câblées traditionnel. Une telle différence de prix et de quantité suffisait pour commencer à attirer des abonnés. Netflix a pu constituer une masse d’abonnés sans équivalent avant que les autres médias ne se réveillent, si bien que son coût de production par abonné est maintenant bien inférieur à celui de ses concurrents potentiels. La dynamique de l’effet réseau est imprenable pour Netflix: plus de films moins chers implique d’avantage d’abonnés implique encore plus de films moins chers. Spotify ne peut compter sur cette dynamique, ses frais étant largement variables. L’effet réseau est inexistant: plus d’utilisateurs ne font pas baisser les coûts mais enrichissent les labels. Cela fait qu’un dernier entrant est à force égale par rapport à un premier entrant. Apple Music (2015) arrive après Spotify (2008) mais peut proposer d’un coup autant de titres au même prix: 60 millions d’après le site d’Apple contre 50 millions revendiqués par Spotify. Netflix s’appuie à la fois sur sa base d’abonnés et sa capacité de production supérieures, les deux se renforçant l’un et l’autre. Spotify ne peut s’appuyer que sur sa base d’utilisateurs et donc y met le paquet, encore plus que Netflix. Pour gagner des utilisateurs Spotify offre un service gratuit payé par la publicité, il est ainsi beaucoup plus facile de les agréger. Apple (60 millions de souscripteurs) peut difficilement rivaliser, ne proposant qu’un service payant. Enfin Spotify vient à bout du troisième larron Amazon Music (55 millions d’utilisateurs), grâce à la supériorité de ses playlists et de ses algorithmes de découverte des morceaux. Spotify adopte la stratégie de Facebook ou Google d’agréger le maximum de monde avec un service gratuit qui colle le plus aux besoins des gens, grâce à l’interactivité: Google pour la recherche d’information, Facebook pour le social et Spotify pour l’audio. L’approche de Spotify est vraiment celle d’un agrégateur: le service est gratuit par défaut, payant en option, alors que pour Amazon Music, c’est l’inverse. Le résultat est époustouflant:
Le taux de croissance des utilisateurs est de 32% par an et il ne ralentit pas (+32% au Q4 2019). Par comparaison, la croissance de Netflix est pâlotte (+20% par an)
On peut se demander à quoi sert d’agréger tous ses utilisateurs et leur temps d’écoute si leur priorité est d’écouter le catalogue de musique existant, propriété des labels, donc de les enrichir ?
Les relations de pouvoir entre labels et streamers
Les trois labels concentrent 80% du catalogue. Si l’on ajoute Merlin qui fédère des indépendants on arrive à 85%. Face à ce pouvoir se dressent les trois streamers Spotify, Apple Music et Amazon Music. Ils concentrent 80% des abonnés (hors Chine, un marché très particulier) et leur part dans le revenu des labels monte chaque année. La croissance du chiffre d’affaires des labels est de 10% par an, celle des streamers est plutôt de 20% à 25% par an. La tendance est claire: les jeunes générations privilégient largement le streaming. D’après le récent S1 (document d’introduction en bourse) de Warner Music:
Aujourd'hui, les consommateurs s'intéressent à la musique de plus en plus. Selon l'IFPI, les consommateurs du monde entier ont passé 18 heures à écouter de la musique chaque semaine en 2019. Les tendances démographiques et la pénétration des smartphones ont été des facteurs clés de la croissance de l'engagement des consommateurs. Les jeunes consommateurs sont généralement les premiers à adopter les nouvelles technologies, notamment les appareils fonctionnant avec de la musique. Selon Nielsen, en 2019, 58 % des adolescents américains âgés de 13 à 17 ans et 45 % des jeunes américains âgés de 18 à 34 ans utilisaient leur smartphone pour écouter de la musique chaque semaine, contre une moyenne de 40 % pour l'ensemble des consommateurs américains. En outre, en 2019, les adolescents et les personnes âgées de plus de dix ans aux États-Unis ont écouté en moyenne 32,6 et 29,7 heures de musique par semaine, respectivement, soit plus que les 26,9 heures de l'ensemble des consommateurs américains.
Le bras de fer risque fort de tourner à l’avantage des streamers dans les années qui viennent. Ce risque pour les labels est d’autant plus fort que les artistes se détournent de plus en plus des labels. Seulement 8% des artistes indépendants souhaitent signer avec des labels traditionnels. Les artistes ne veulent pas attendre d’être déjà au top de la pile pour être repérés par les labels, ni signer pour des périodes aussi longues qu’avant. Les streamers comme Spotify, au lieu de concurrencer les labels, donnent des moyens aux artistes de s’en passer et de publier directement leur musique. De nouveaux agents se créent pour représenter les artistes et les faire percer dans le monde digital, tout en les intéressant beaucoup plus largement aux gains que les labels traditionnels. Ont peut citer AWAL dans cette catégorie. Les labels ne peuvent se contenter d’exploiter leur copyrights, leurs artistes et leurs éditeurs vont demander plus, leur coût marginal va monter. En 2019, Spotify représente environ 20% du chiffre d’affaires des labels. Cette proportion ne peut que monter dans les années qui viennent, elle atteindra probablement entre 25% et 30% d’ici cinq ans. Les labels dépendront alors entre 75% et 85% des streamers pour leur distribution contre 50% à 60% aujourd’hui. Reprenons la question du paragraphe précédent: pourquoi agréger tous ces utilisateurs ? Tout simplement parce que grâce à l’interactivité de l’internet, une fois la confiance installée avec l’utilisateur, Spotify peut être une redoutable commercial qui surpasse complètement les labels dans leur effort et les vide de leur substantifique moelle: la promotion des artistes.
Spotify devient le portail
L’industrie musicale s’est structurée autour du fait qu’un morceau de musique nécessite un coût important au départ (enregistrement et marketing) puis ne se déprécie pas. Le label finançait ce coût de départ et en tirait l’essentiel du profit en rente par la suite.
Le métier du label est de financer la promotion des artistes et de se payer en copyright. Son avantage est de financer la production et contrôler la distribution. Il fait le travail à l’ancienne: une fois l’œuvre enregistrée , il a les contacts avec les radios, les organisateurs de tournées, etc. Le S1 de Warner Music est édifiant dans son portrait du contexte économique de l’industrie musicale:
Aujourd'hui, les entreprises mondiales de divertissement musical comme la nôtre sont plus importantes et pertinentes que jamais. Les obstacles traditionnels à la distribution généralisée de la musique ont été supprimés. Les outils de production et de distribution de la musique sont à la portée de chaque musicien, et la technologie actuelle permet à la musique de faire le tour du monde en un instant. Ainsi, la musique est omniprésente et accessible à tout moment. Dans ce contexte, le volume de musique diffusé sur les plateformes numériques fait qu'il est de plus en plus difficile pour les artistes et les compositeurs de se faire remarquer. Nous avons réduit le bruit en identifiant, en signant, en développant et en commercialisant des talents extraordinaires.
Warner Music reconnaît que le commercial est plus important que jamais parce que l’abondance d’artistes fait qu’il est difficile de se faire remarquer. Sa solution est d’être moderne et de signer avec les streamers !
Notre innovation commerciale est cruciale pour maintenir notre élan. Nous avons défendu de nouveaux modèles commerciaux et donné des moyens d'action aux acteurs établis, tout en protégeant et en améliorant la valeur de la musique. Nous avons été la première grande entreprise de divertissement musical à conclure des accords historiques avec des sociétés importantes telles qu'Apple, YouTube et Tencent Music Entertainment Group, ainsi qu'avec des sociétés de technologie musicale pure telles que MixCloud, SoundCloud et Audiomack. Nous nous sommes adaptés à la diffusion en continu plus rapidement que d'autres grandes sociétés de divertissement musical et, en 2016, nous avons été la première société de ce type à déclarer que la diffusion en continu était la principale source de revenus de notre musique enregistrée.
C’est se jeter dans la gueule du loup. Les streamers ont la relation client, pas Warner Music qui n’a que la distribution. Spotify vend à ses utilisateurs de la découverte musicale, pas des morceaux de musique. Il tisse une relation spéciale avec ses utilisateurs, interactive donc approfondie et devient un point de passage obligé pour les atteindre. Spotify comme les GAFA cherche à passer du stade de l’agrégation d’utilisateurs à celui de monopole commercial. C’est ainsi que le moteur de recherche Google devient progressivement un moteur de recherche publicitaire:
Il semble que Warner Music dans son S1 ne voie pas la menace. Pour lui, les streamers sont juste un outil de distribution comme un autre mais qui a le vent en poupe. Cela ressemble fort à l’erreur de Disney qui pensait que licencier son catalogue à Netflix lui apportait un débouché en plus… Warner Music ne s’intéresse du reste qu’aux abonnés payant, c’est à dire au service sans publicité, aucune mention n’est faite dans le S1 aux utilisateurs payés par la publicité. Il ne semble pas réaliser qu’avec la maîtrise de la playlist et de la promotion publicitaire, Spotify peut favoriser un label par rapport à un autre, donc le faire payer plus. La désintégration du label est en marche: la commercialisation de l’artiste, la substantifique moelle du label est prise en charge par Spotify, le coût fixe est transféré mais la monétisation risque de l’être aussi… Le label est de plus en plus cantonné dans sa mission de venture capital, c’est à dire de représentation des plus gros, ceux qui ont besoin de financement et qui ont déjà fait leurs preuves, pour une visibilité massive. Le label subit le sort décrit dans le dilemme de l’innovateur: celui de être cantonné progressivement sur ses meilleurs artistes. Le pilonnage vient du bas, des labels nouvelle génération qui proposent des services low cost et se branchent aux différents streamers pour assurer la promotion des artistes tout en prélevant une part plus raisonnable du gâteau. Spotify plutôt que de concurrencer les labels en direct facilite le travail de création et la promotion des artistes sur son application, banalisant ainsi le métier des labels. Les labels ont perdu, mais ils ne le savent pas encore…
La mutation de Spotify
Spotify ne cherche pas à pousser son avantage, au contraire. L’objectif est de continuer à agréger en masse des utilisateurs (payants ou non). 271 millions est loin d’être suffisant quand Facebook annonce 2 milliards d’utilisateurs sur WhatsApp et Google 2 milliards également sur YouTube. La technique est celle décrite dans la mort du colporteur:
Ils ont commencé par séduire la planète internet en apportant l’abondance et surtout en la triant, là où il y avait la rareté, une amélioration ^10 par rapport au monde ancien: Amazon a commencé avec les livres puis s’est étendu progressivement à tout le commerce. Google a permis de trouver l’information souhaitée instantanément, Facebook de se connecter à ses amis 24 h sur 24. Fascinés par ces services, les internautes les ont intégrés dans leur vie quotidienne, comme des compagnons. Dans un monde d’abondance qui est celui de l’internet, être le compagnon, l’interlocuteur de confiance de l’internaute est extrêmement précieux, il y a peu d’élus. Une fois cette position acquise, souvent à grands frais, en cassant les prix, les grandes plateformes ont entrepris de désintégrer la société commerciale, un mix production et commercial. Le commercial devient une affaire d’échelle, bien mieux fait et à moindre frais par un GAFA. Ce dernier commence par prendre une fonction du commercial mais la destination est la désintégration totale.
Spotify est encore loin d’avoir agrégé un nombre suffisant d’utilisateurs pour rentrer dans le club très prisé des oligarches commerciaux, pour passer du portail musical au publicitaire généraliste. Son chiffre d’affaires publicitaire n’est que de $800 millions en run rate, la moitié de celui de Pinterest et à peine le quart de celui de Twitter. Son taux de croissance des MAU est cependant bien supérieur, 32% contre 26% pour Pinterest et 20% pour Twitter. Pour maximiser les MAU, Spotify doit continuer à faire des promotions, limiter la publicité, produire du signal coûteux. Il lui faut augmenter le contenu audio, dépasser la musique pour avoir aussi la voix. Avec le podcast, Spotify peut devenir la radio de l’internet, voix et musique dans le monde entier. Or la radio est écoutée par 5 milliards de personnes mondialement. Le potentiel d’agrégation est donc bien plus important que celui de Twitter qui rassemble les personnes qui s’intéressent à l’actualité (peut être 300 millions) ou Pinterest qui concerne les personnes qui s’intéressent à la décoration.
Le réseau à trois faces
Agréger des utilisateurs n’est pas suffisant, il faut exploiter son avantage en constituant un réseau à trois faces: l’utilisateur, l’artiste (représenté ou non) et l’annonceur. C’est ainsi que Google et Facebook ont constitué des citadelles imprenables, en devenant des machines à créer de l’interdépendance. C’est maintenant ce que tente de réaliser Amazon avec son business publicitaire. Spotify a une carte à jouer car Apple Music ne fait pas de publicité et Amazon Music n’a que 5 millions d’utilisateurs sans abonnement (exposés à la publicité). Les podcasts sont un excellent moyen pour prendre le marché publicitaire. L’industrie du podcast est encore désorganisée, chaque podcaster vend de la publicité à l’intérieur de son podcast, tout comme le faisait les sites aux debuts de l’internet. Spotify peut y apporter de l’ordre en centralisant la demande publicitaire et la dispatchant ciblée tant sur les podcasts hébergés sur sa plate-forme que des podcasts tiers. Spotify peut espérer répéter pour l’audio ce que Google a fait pour l’internet: AdWords pour ses propriétés, Adsense pour les sites tiers en constituant une plate-forme publicitaire complète musique et podcasts. L’erreur à ne pas commettre est celle de Twitter qui a donné son graphe social à des applications tierces, a dispersé son audience sans avoir de solution publicitaire globale. Le réseau est resté à deux faces et n’a pas donné son potentiel. L’achat de Ringer pour $250 millions est le deuxième podcast fédérateur acheté par Spotify, le premier étant Gimlet acheté en 2019. Un podcaster exclusif peut faire venir des utilisateurs, accroît leur engagement et les fait convertir plus facilement en abonnés. Le marché est vierge, décentralisé, la publicité est inefficace et il y a une masse énorme de podcasts. Spotify essaie donc de devenir un croisement entre Google et Netflix pour les podcasts: Netflix pour l’effet réseau entre podcasts exclusifs et agrégation d’utilisateurs, Google pour la monétisation: mettre un péage devant chaque podcast est impossible à l’heure actuelle , cela risquerait de tuer l’industrie. La vidéo partait d’une situation où les abonnés payaient $100 pour leurs programmes ! Ce handicap pour Spotify peut être une bénédiction car le poussant à construire ce réseau à trois faces bien plus prégnant que celui à deux faces de Netflix…tout en marginalisant les labels…
La recette du succès dans le digital est d’être une usine à absorber du coût fixe présent dans un secteur économique et a le régurgiter en coût variable pour ce même secteur. La raison est que le coût marginal du digital est nul, il est donc particulièrement intéressant d’absorber le coût fixe et le régurgiter en produit variable. Le processus de production est industriel, les économies d’échelle sont la seule règle, obtenue par l’agrégation des utilisateurs. Pour ce faire le service doit être excellent. Netflix est une parfaite illustration de ce processus, transformant chaque année des montants de plus en plus conséquents de coûts fixes (les frais de production de films et séries atteignent maintenant $15 milliards annuels) en coût variable pour les abonnés. Amazon est le champion avec $16 milliards d’investissements, $36 milliards de technologie et $19 milliards de marketing dans des secteurs aussi variés que la logistique ou AWS. Le généraliste bat le spécialiste car son potentiel d’agrégation, de transformation de frais fixes est supérieur ainsi que sa diversification de sources d’approvisionnement. Il y a exception si le spécialiste est vraiment différencié dans son offre. Spotify est encore bien loin d’être un champion digital. Son objectif est de devenir l’usine à transformer du frais fixe audio. Ses free cash-flows positifs sont un signe qu’il est loin de l’objectif, la grande majorité de ses frais sont variables. Mais il y travaille: les frais fixes payés pour agréger les utilisateurs (achat de podcasts, fabrication d’outils logiciels pour les artistes, marketing) sont transformés en frais variables pour les annonceurs publicitaires (dont les labels!) ou les abonnés. Il reste à savoir si l’offre sera suffisamment différenciée pour résister à un Amazon beaucoup plus efficace dans sa transformation de frais fixes de tout bord.
Bonne fin de semaine à tous,
Hervé