Stratégie d’entreprise: fin de l’ère Porter
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Michael Porter vient de recevoir la distinction ultime. La Gazette de Harvard (7 décembre 2020):
Ses livres ornent les étagères des PDG, des chefs d'État, des académiciens et des étudiants des écoles de commerce. Des pays et des entreprises du monde entier ont adopté ses théories sur la concurrence et la stratégie dans un marché mondial en expansion. Son travail a également été appliqué à une variété de questions sociales importantes, du développement économique des centres-villes américains aux préoccupations environnementales.
Michael E. Porter MBA '71, Ph.D. '73, C. Roland Christensen Professeur d'administration des affaires à la Harvard Business School (HBS), dont les prodigieux efforts de recherche et de développement de cours portent à la fois sur la théorie économique et la pratique des affaires, a été nommé professeur d'université, la plus haute distinction professionnelle pour un membre de la faculté de Harvard.
"C'est un grand honneur", a déclaré M. Porter. "Je suis également fier de suivre les traces de mon défunt professeur, mentor et ami de HBS, Chris Christensen, en tant que professeur d'université. Cette nomination est particulièrement importante pour moi, car le champ de mes activités s'est considérablement élargi au fil des ans.
"Mon premier domaine d'intérêt est d'examiner comment les entreprises sont compétitives dans les industries et obtiennent un avantage concurrentiel", a-t-il poursuivi. "Le suivant porte sur les lieux d'implantation et sur les raisons pour lesquelles certaines villes, certains États ou certaines nations peuvent être plus compétitifs ou plus prospères que d'autres. Et le troisième domaine, issu du second, s'intéresse à la manière dont on peut appliquer la pensée concurrentielle aux problèmes sociaux. Cette chaire universitaire multipliera les possibilités de recherche interdisciplinaire et me permettra de travailler avec de nombreux autres chercheurs de Harvard".
La stratégie d’entreprise suit le modèle de Porter depuis les années 80, enseignement universitaire aidant ! Warren Buffett en est le parangon avec ses importantes participations dans Coca Cola et Procter & Gamble (anciennement Gillette), manifestant son refus d’investir dans l’innovation. N’est-il pas temps de dépoussiérer cette discipline, si l’on veut éviter de regarder les trains passer ?
D’après Wikipedia:
Le modèle des « cinq forces de Porter » est un modèle utilisé en stratégie d'entreprise. Il a été élaboré en 1979 par le professeur de stratégie Michael Porter. Ce modèle permet d'identifier les forces en concurrence dans une industrie, qui déterminent son intensité concurrentielle. Il a été créé afin de combler les lacunes de la méthode d'analyse SWOT.
Les cinq forces de Porter.
Porter construit son modèle à partir d'une extension de la définition de la concurrence. Pour lui, le terme de « concurrent » désigne tout intervenant économique susceptible de réduire la capacité des firmes en présence à générer du profit[1].
Il identifie cinq forces qui déterminent la structure concurrentielle, et donc la profitabilité, d'une industrie : le pouvoir de négociation des clients, le pouvoir de négociation des fournisseurs, la menace des produits de substitution, la menace d'entrants potentiels sur le marché, et l'intensité de la rivalité entre les concurrents[2].
La concurrence pure et parfaite est l’état d’équilibre, de nature. L’art de la stratégie est de créer un déséquilibre, de s’éloigner de cet état le plus longtemps possible pour capter le maximum de profit marginal. Mais inévitablement, Mère Nature fera son œuvre et ramènera les choses à l’état d’équilibre, à l’état de profit marginal zéro. Si ce n’est pas Mère Nature, L’Etat, par l’intermédiaire de la Commission de la Concurrence s’en chargera.
La vision d’un monde défini par la concurrence, où il faut se battre pour les ressources, est à la base des théories promues par les écrivains du XIXème siècle, d’Adam Smith à Darwin en passant par Malthus, théories reprises par les néoclassiques. L’idée directrice est que l’Histoire est la résultante de ce combat. Certains l’affrontent, d’autres l’évitent, les espèces ou entreprises les plus adaptées l’emportent.
Les premières notions de stratégie d’entreprise se sont développées à partir des années 60 avec le développement de la mondialisation (le bloc américain), de la voiture, des produits de consommation et de la grande distribution. La concurrence était féroce pour arriver jusqu’à l’étalage et si possible en tête de gondole. La gestion de l’espace était une contrainte forte, il fallait y trouver sa place et pour cela éliminer les concurrents, grosso modo en les battant sur les coûts ou en étant différencié. Les écoles de management ont commencé à fleurir avec comme cours magistral la stratégie d’entreprise, la matrice du BCG puis les forces de Porter. Ultérieurement ces forces ont été affinées, notamment par Bruce Greenwald, professeur à Columbia dans son opus: Competition demystified édité en 2005. Le postulat reste le même: le primat de la concurrence qu’il faut vaincre en captant les ressources avant les autres puis en instaurant un équilibre des forces. Cette idée a été reprise par Henry Kissinger et appliquée aux États dans son livre Diplomatie. Dans cette optique, les économies d’échelle sont vues comme un moyen d’écraser les concurrents et le client comme la ressource suprême pour battre le compétiteur ! Pour Bruce Greenwald, le sommet de l’avantage concurrentiel est de rendre le client captif, soit en créant une habitude chez lui, soit en rendant l’abandon ou le remplacement du produit difficile. Il n’est pas étonnant que dans son livre, Bruce Greenwald s’extasiait sur Coca Cola mais critiquait Apple qui n’avait pas su créer cette captivité client…et était condamné à subir le sort de Nokia ou Sony…Le problème d’Apple selon Greenwald était que le prix unitaire de ses produits était trop élevé et l’achat non répétitif, rendant impossible la création d’une habitude…En décembre 2005, le cours d’Apple était de $2,5; il est de $134 aujourd’hui. Les conseillers ne sont pas les payeurs…
J’ai du mal à imaginer que la loi de la concurrence pure et parfaite, et la façon de la contourner soient encore à la base de l’enseignement sur la stratégie d’entreprise et des lois anti trust en occident. Le corpus n’a pas évolué, malgré ois les changements apportés par internet, c’est encore ce qu’apprend ma fille en deuxième année d’économie/gestion à Assas !
René Girard à la rescousse
Rene Girard a dénoncé la rivalité mimétique comme la mère de tous nos maux. Le désir mimétique, inné, nous pousse à désirer l’objet que l’autre convoite non pas pour ses qualités mais juste parce que l’autre le désire; comme cet objet est généralement rare, le conflit est larvé. Dans la violence et le sacré, il cite le récit de Caïn et Abel comme exemple typique de rivalité mimétique allant jusqu’au meurtre. On peut sortir du mimétisme de deux façons: la première par le bas en trouvant un bouc émissaire pour se décharger de la violence engendrée par la rivalité, la deuxième par le haut en reconnaissant sa nature mimétique, l’acceptant et la transcendant par l’abnégation et la reconnaissance d’un objectif plus grand (la religion chrétienne selon René Girard). Au vu de cette analyse, la loi de la concurrence pure et parfaite présentée comme un équilibre, une loi de la nature, enferme les entreprises dans la rivalité mimétique, ne leur offrant pas d’alternative au conflit et à la destruction mutuelle, comme si l’économie était un jeu à somme nulle... La différenciation prônée par les théoriciens de la stratégie comme Porter est un leurre: elle n’est destinée au final qu’à gagner des parts de marchés par rapport aux concurrents; la référence reste le concurrent, la rivalité mimétique est toujours là…avec un gros défaut: le client devient un prétexte de la rivalité mimétique, une variable qu’il faut capter avant le concurrent et rendre prisonnier. C’est charmant pour le client ! Heureusement certains praticiens n’ont pas écouté les théoriciens et mis en oeuvre une vision plus “girardienne” de la stratégie.
De Peter Thiel à Jeff Bezos
Peter Thiel, fondateur de PayPal et grand amateur de René Girard justement, rejète cette vision de la concurrence qui pour lui conduit à des rivalités stériles. Sa vision du progrès est de savoir passer de zéro, le marigot où les entreprises se font concurrence, à un, l’innovation sans commune mesure avec ce qui a été fait avant, sans comparaison possible qui crée sa propre catégorie, son monopole. Il cite par exemple Google qui a créé un marché nouveau à un seul acteur: le moteur de recherche. L’idée sous-jacente est de transcender la rivalité mimétique par la création d’un marché nouveau, inexistant, par un acte de foi dans le futur. La stratégie devient religion. Son livre De zéro à un ouvre des perspectives intéressantes: il y aborde notamment la question du secret, à la base de la création d’entreprises uniques: “qu’est-ce que tout le monde tient pour vrai et qui pourtant ne l’est pas ?” Palantir, qu’il a créé et qui capitalise $67 milliards, est né de l’idée peu répandue de mélanger talents humains et intelligence artificielle pour résoudre les problèmes de sécurité, au lieu d’intelligence artificielle seulement. Laisser faire la machine n’était pas pour lui une bonne idée car les hackers s’adaptent et évoluent.
Son acolyte chez PayPal, Elon Musk, parle lui de partir des principes premiers pour créer un produit ou répondre à un problème. La logique est voisine de celle de Peter Thiel: on décompose un problème en facteurs premiers irréductibles auquel on essaie de répondre. On ne fait pas référence donc à ce qui peut être dit ou pensé par les autres sur le sujet, évitant ainsi le mimétisme et le positionnement relatif. C’est ainsi qu’on innove réellement, qu’on passe de la diligence à l’automobile, de la voiture à essence à la voiture électrique, des fusées de la NASA à SpaceX.
Jeff Bezos transcende la compétition en adoptant comme principe premier de se focaliser sur le client et non la compétition, comme l’indique sa première lettre annuelle aux actionnaires:
Depuis le début, nous nous sommes attachés à offrir à nos clients une valeur irrésistible. Nous avons réalisé que le Web était, et est toujours, le World Wide Wait. C'est pourquoi nous avons entrepris d’offrir aux clients ce qu'ils ne pouvaient pas obtenir autrement, et commencé à les servir avec des livres. Nous leur avons apporté beaucoup plus de sélection que ce qui était possible auparavant (notre magasin occuperait désormais 6 terrains de football), et l'avons présenté sous un format utile, facile à rechercher et à parcourir dans un magasin ouvert 365 jours par an, 24 heures sur 24
C’est ainsi qu’ont germé des innovations comme le Kindle, AWS, Prime ou la livraison en 1 heure.
Ces praticiens ont créé des entreprises à succès et figurent maintenant parmi les premières fortunes mondiales tandis que les adeptes des théories de Porter les boudaient, criaient à la bulle et continuaient à donner pour modèle les vieilles gloires comme Coca Cola ou Procter et Gamble. Le mouvement open source et l’internet ont subtilement fait sauter le verrouillage du client, brique essentielle des cinq forces…
Open source, internet et verrouillage du client
Ali Ghodsi (CEO Databricks), le 28 janvier 2021:
Je pense que l'open source est essentiel pour les entreprises. Je pense que les entreprises ne veulent pas s'enfermer dans les logiciels propriétaires... Elles ont parié sur des fournisseurs vraiment, vraiment bons qui ont de grandes innovations et qui leur donnent toutes leurs données et les enferment dans ces formats propriétaires. Et puis ces vendeurs, à cause de ce verrouillage, ou de ce fossé, deviennent complaisants après un certain temps, ils n'ont plus besoin d'innover. Finalement, les fondateurs ou les personnes à l'origine du projet passent à autre chose. Et à ce stade, il ne s'agit plus que de vieux logiciels gonflés, qui sont très coûteux, et ils peuvent continuer à augmenter le prix et vous devez payer plus cher parce qu'il vous est difficile de vous en détacher parce que vous êtes enfermé.
Je pense donc que les entreprises, si elles ont le choix, préfèrent l'open-source parce qu'il permet d'éviter ce blocage.
Le mouvement open source a correspondu à l’arrivée de l’internet, permettant le partage facile du code et la collaboration sur de grands chantiers intéressant non pas une entité concurrentielle mais une multitude d’entre elles, décidant d’enterrer la hache de guerre. A l’époque (fin des années 90), c’était Microsoft, le maitre verrouilleur, contre tout le monde. Il n’est donc pas surprenant qu’une opposition se soit levée prenant le contre-pied de l’approche propriétaire de ce monopole à la fois horizontal et vertical. L’open source permettait aux entreprises de lutter contre le verrouillage que leur faisait subir les Microsoft et Oracle. C’était encore une défense, pas un modèle économique en tant que tel. La question était maintenant de savoir comment une entreprise pouvait se développer si elle dévoilait tout son code. Comment pouvait-elle se différencier, verrouiller son client si son offre n’était pas propriétaire ? La réponse une fois de plus a été donné par la pratique, a l’opposé des concepts de Porter. Les premières sociétés open source se sont lancées: Red Hat, distributeur Linux puis MySQL, Cloudera, MongoDB, Elastic et aujourd’hui de nombreux autres dont Databricks évalué récemment à $28 milliards. Le modèle économique n’est pas de capter mais de donner. La future théorie de la stratégie devrait emprunter à Marcel Mauss, auteur de l’Essai sur le don, plutôt qu’au néo-classiques et à l’équilibre des forces…Les sociétés open source bénéficient d’une recherche distribuée, d’une notoriété auprès des développeurs qui testent leur code, et d’une possibilité d’adoption virale. Elles monétisent leur projet open source en vendant un petit supplément qui va de la maintenance à l’offre SAAS qui inclut l’évolution du code. L’idée est qu’à partir du moment où on ne capte pas le client, il faut sans cesse être très bon et se renouveler. Il y a là encore une foi dans le futur qui est presque religieuse et rejoint l’analyse girardienne…Ces sociétés d’un nouveau type sont régulièrement la proie d’autres acteurs qui prennent leur code et l’ajoutent à une offre plus captive. La tentation est toujours la captation…Elles sont cependant en mesure de riposter en exigeant que tout copieur dévoile l’intégralité de son code en open source (donnant/donnant). MongoDB et Elastic ont du recourir à cette exigence pour se protéger. Le développement de l’open source montre l’importance de la communauté comme vecteur stratégique pour les sociétés de logiciel.
Pour en faire une théorie, il faudrait pouvoir extrapoler le concept, montrer que l’économie du don est supérieure à celle de la captation, d’un point de vue stratégique. L’internet vient à la rescousse en rendant de plus en plus difficile la captation du client. le propre des sociétés internet est de réduire les frictions, les coûts de transaction, facilitant l’adoption d’un produit mais aussi la possibilité d’en changer. Google est par exemple dominant sur la recherche mais qu’est ce qui empêche d’aller sur Bing ou Duck Duck Go ? On pourra objecter que Google instaure une habitude, plus qu’un coût de transaction; effectivement, c’est une tentation reposante à laquelle a cédé Google, une fois son produit répandu et généralement à laquelle cède toute société qui assoie sa dominance. C’est pourquoi, il est prêt à payer à Apple près de $10 milliards par an pour être le moteur de recherche par défaut de l’iPhone ou fait pression sur les constructeurs Android pour que son moteur de recherche soit pré-installé d’office. Le problème cependant est que la compétition est à un clic et que si Google n’améliore pas sans cesse ses produits, il reste vulnérable. Il en est de même de Facebook qui peut subir l’attaque d’un nouveau réseau social comme TikTok, Discord ou ClubHouse, si le statut social qu’il procure est plus fort. L’effet d’échelle ou l’habitude ne suffisent pas pour verrouiller le client. Une campagne négative sur une société internet peut avoir un effet négatif immédiat, si les clients décident d’aller voir ailleurs. C’est pourquoi les sociétés internet doivent bichonner leurs clients, se renouveler sans cesse pour éviter le désamour fatal et le désintérêt du client. La maîtrise de l’équilibre des forces de Porter n’est plus adaptée.
Repenser la stratégie d’entreprise
Le mouvement open source est un véritable laboratoire d’observation pour la stratégie d’entreprise parce que son modèle fonctionne et peut être extrapolé à tout l’internet (sans internet pas d’open source et vice versa), donc à la quasi intégralité des sociétés post-covid. Que constate-t-on dans les projets open source et sociétés bâties sur l’open source ? Le client est à parité avec le fournisseur et dans l’échange gratuit (jusqu’à un certain point bien entendu). L’open source est un échange entre développeurs. Les entreprises open source comme Red Hat ou MongoDB, constituées de développeurs sont les modérateurs d’un projet visant à faciliter la vie d’autres développeurs sur un point précis. Et ceux-ci, en retour, contribuent, ou pas, aux développements de ce projet. Chaque projet open source peut être considéré comme un mini réseau social, hébergé généralement sur GitHub, avec son administrateur/modérateur qui fait avancer le projet. Il n’y a pas captation mais distribution de statut social en fonction de la qualité des contributions (reconnaissance par les pairs). Cette distribution de statut social pourrait définir un nouveau modèle de stratégie d’entreprise vertical et non plus horizontal, axé sur la création et la modération d’un réseau social, ou plus précisément d’un club:
Un modèle pour les sociétés de nouvelle génération pourrait être le club, dont le droit d’entrée est le ou les produits qu’elle propose, la différence avec le passé étant la taille potentielle du club... Le gourou/influenceur peut être ou pas dans l’effectif, l’essentiel est qu’il fasse partie du club et favorise sa cohésion. L’affaire Gamestop, qui a défrayé la chronique récemment est un révélateur de ce modèle:
le marché a sous-estimé la valeur du club GameStop, constitué des vrais joueurs, ceux qui ont une console, et sont très attachés à leur principal fournisseur. GameStop (Micromania en France) a été à tort comparé à Blockbuster, qui lui était en relation purement transactionnelle avec sa clientèle, et correspondait au schéma de Porter, victime de la substitution de Netflix.
Robinhood qui prétend avoir pour mission de démocratiser le trading, n’a pas constitué de club d’officionados. Le club est sur Reddit et s’appelle WallStreetBets: avec 8,5 millions de suiveurs, il peut agir comme un gigantesque hedge fund, se polariser sur une valeur et faire craquer les shorts, ce qu’il a fait avec GameStop. Or le petit secret de Robinhood pour éviter de facturer des frais de courtage à ses clients est de dévoiler leurs ordres avant leur exécution aux teneurs de marché de manière a les aider à se positionner. Ce que redoutent le plus les teneurs de marché est de se retrouver face à une contrepartie puissante traitant à sens unique. Ils sont prêts à payer cher Robinhood justement parce qu’il n’y a pas cohésion entre les donneurs d’ordre et qu’ainsi la diversité des ordres leur permettra de faire des allers et retour fructueux. Robinhood, au delà de sa façade moderne, n’avait pas du tout en tête le modèle du réseau social, son modèle économique s’y oppose même, il pourrait finalement en être victime.
D’autres sociétés cependant fondent leur stratégie sur le modèle du réseau social: Tesla par exemple dont le réseau est animé par Elon Musk (46 millions d’abonnés sur Twitter), SoFi (Social Finance) par Chamath Palihapitiya, Disney, dont les univers Star Wars ou Marvel constituent des réseaux sociaux, ou Nike qui joue sur ses sportifs pour agréger des groupes de fans. Contrairement à ce qui peut être véhiculé dans la presse, Facebook n’a pas le monopole des réseaux sociaux. Ce tweet illustre bien l’importance croissante des réseaux sociaux de toute sorte:
La volonté de plusieurs de ces réseaux de monétiser leur base d’utilisateurs par le commerce social explique leur forte hausse en bourse (Snapchat, Pinterest, Poshmark, par exemple). Leur montée en puissance est le signe que les sociétés développent une autre approche vis à vis de leurs clients, qui est beaucoup plus sociale et moins dans le rapport de force. A l’avenir, la stratégie des sociétés sera peut être évaluée d’avantage par la densité du réseau social qu’elles réussissent à créer autour d’elles, plutôt que par la maîtrise des cinq forces de Porter. Ces deux conceptions de la stratégie sont antinomiques. On ne crée pas un club en captant le client, comme s’il était une ressource, en dressant des barrières à la sortie: le club implique le don, l’échange et la réciprocité.
Ces quelques lignes n’ont pas pour vocation d’établir les bases de la stratégie d’entreprise version 2020. Il s’agit simplement de faire réfléchir au caractère de plus en plus inadapté de la théorie de la stratégie telle qu’élaborée depuis les années 60, fondée sur le postulat de la concurrence pure et parfaite, ainsi que d’ouvrir des pistes à explorer. Une telle réflexion est à mon sens essentielle, si on veut adapter les lois de la concurrence héritées du temps des “robers barons” et des cartels à la réalité d’aujourd’hui où les services sont presque gratuits. La difficulté est justement de partir d’un existant alors qu’il faudrait penser les lois anti-trust avec un regard neuf: que cherche-t-on à promouvoir et à éviter ? En quoi cette nouvelle façon de penser le client peut avoir des travers et comment les éviter ? C’est le sujet d’un autre article…
Bonne fin des semaine, prochain texte après les vacances,
Hervé