Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
On ne voit jamais venir Netflix. Il semble tellement focalisé qu’il ne gène personne…jusqu’au jour où…
Netflix, la menace discrète
Blockbuster ne l’avait pas vu venir…L’année 2000 est marquée par le krach technologique. Netflix qui loue des DVD par l’intermédiaire de son site internet boit le bouillon. Reed Hastings et Marc Randolph, les fondateurs, paniquent et vont voir John Antocio, PDG du monstre Blockbuster ($ 5 milliards de chiffre d’affaires avec plus de 7 000 magasins de location vidéo); leur objectif est de vendre Netflix, sauver l’honneur. John Antocio les reçoit avec condescendance, Reed Hastings demande $50 millions et se voit rapidement montrer la porte de la sortie. En 2010, Blockbuster fait faillite, en 2014, il ferme son dernier magasin.
Disney ne l’avait pas vu venir… après tout, Netflix n’est qu’une chaine TV parmi d’autres, sa spécificité est juste d’être une chaine internet. Il n’y a donc pas de mal à lui louer son catalogue. Disney fait du contenu, Netflix le distribue. Si Netflix fait croitre son nombre d’abonnés, c’est du gagnant gagnant…
BEVERLY HILLS et BURBANK, Californie, 4 déc. 2012 /PRNewswire/ -- Netflix Inc. (Nasdaq:NFLX) et The Walt Disney Company (NYSE:DIS) ont annoncé aujourd'hui un nouvel accord de licence pluriannuel qui fera de Netflix le service de télévision par abonnement exclusif aux États-Unis pour les longs métrages d'action et d'animation en première diffusion de The Walt Disney Studios.
À compter de ses longs métrages sortis en salles en 2016, les nouveaux titres de Disney, Walt Disney Animation Studios, Pixar Animation Studios, Marvel Studios et Disneynature seront mis à la disposition des membres de Netflix qui pourront les regarder instantanément dans la fenêtre de télévision payante sur plusieurs plateformes, notamment la télévision, les tablettes, les ordinateurs et les téléphones mobiles. L'accord porte également sur les nouveautés Disney de haut niveau en vidéo directe, qui seront mises à disposition sur Netflix à partir de 2013.
Séparément, Disney et Netflix ont conclu un accord sur un catalogue pluriannuel qui permet aujourd'hui aux membres américains de Netflix d'accéder à des films Disney très appréciés tels que "Dumbo", "Pocahontas" et "Alice au pays des merveilles".
"Disney et Netflix ont partagé une longue relation mutuellement bénéfique et cet accord apportera à nos abonnés, dans la première fenêtre de télévision payante, certains des films familiaux de la plus haute qualité et les plus imaginatifs réalisés aujourd'hui", a déclaré Ted Sarandos, Chief Content Officer de Netflix. "C'est un bond en avant audacieux pour la télévision sur Internet et nous sommes incroyablement heureux et fiers que cette marque familiale emblématique fasse équipe avec Netflix pour y parvenir."
"Avec cet accord avant-gardiste, nous sommes ravis de faire passer notre relation très appréciée avec Netflix à un niveau supérieur en ajoutant les premiers films de Disney à leur gamme de programmes", a déclaré Janice Marinelli, présidente de Disney-ABC Domestic Television. "Netflix continue de répondre aux exigences de ses abonnés dans le paysage numérique actuel, qui évolue rapidement, et nous sommes ravis qu'ils aient accès beaucoup plus tôt à notre programmation divertissante et de qualité supérieure", a-t-elle poursuivi.
Et ce, deux ans après la faillite de Blockbuster…c’est dire si Netflix a su se faire discret pour amadouer Disney. Le nombre d’abonnés de Netflix passe de 30 millions en 2012 à 110 millions en 2017 ! Disney achète BamTech, une société de technologie spécialisée dans le streaming, dénonce l’accord avec Netflix et annonce sa propre application de streaming qui deviendra Disney +. Dans la pure tradition Netflix, Reed Hasting calme le jeu: il y a de la place pour plusieurs sites de streaming, au contraire, cela crée un marché. Il avait toujours été entendu que Disney passerait un accord provisoire avec Netflix pour se laisser le temps d’apporter sa propre solution au déclin de la TV payante, etc. Reed Hasting annonce même son abonnement à Disney+. On est loin de Bill Gates qui ne veut pas que ses enfants aient un iPhone…
Netflix contre Disney
Ouf ! Disney a contré la menace se montrant plus intelligent que Blockbuster: ce dernier s’était enfermé dans son modèle de magasins de location, au lieu de les utiliser comme levier pour créer un compétiteur à Netflix. Disney a réalisé l’ampleur du désastre potentiel et fait de Disney+ le fer de lance de l’ensemble de son offre. L’application lui permettra de mieux comprendre ses clients et de les diriger vers ses autres offres les plus adaptées (parcs de loisirs, produits dérivés, films en salle, et.).
Le cœur de l’avantage concurrentiel de Disney est la sympathie que ses personnages suscitent. On a envie de voir et revoir les mêmes têtes évoluant dans des univers bien marqués tels que Marvel, Star Wars, Pixar, Pirates des Caraïbes, etc. Chaque personnage de la galaxie Disney est une marque. Disney fait raisonner ses marques au travers de ces films puis parcs de loisirs, produits dérivés, séquelles, chaînes TV… Le cœur de l’avantage concurrentiel de Netflix est lui tout simplement de retenir l’attention (temps passé ). Netflix est avec YouTube l’application la plus regardée (en temps). Pour Reed Hastings, le premier concurrent de Netflix est le sommeil ! Tout est bon pour susciter l’intérêt de l’abonné et capter son attention dans le temps. Le moyen efficace est jusqu’à présent le film et la série, constituant majeur de l’offre TV, elle même captant plus de 5 heures par jour par exemple aux États-Unis.
La roue de la fortune de Disney peut être représentée ainsi:
Netflix attaque insidieusement deux points faibles de Disney:
la sympathie qu’il suscite envers les caractères provient des films diffusés en salle. Loin des yeux, loin du cœur. En saturant l’attention de ses abonnés (près de 230 millions probablement à la fin de l’année), Netflix érode l’envie qu’ils pourraient avoir de voir des films en salle.
Sympathie implique empathie. C’est une qualité qui manque à Disney, société construite sur l’ancien modèle: j’ai une idée, je l’impose et je matraque par la publicité. Netflix au contraire récupère des données sur ses abonnés et les exploite pour leur servir ce qu’ils veulent. Son modèle est l’expérimentation: pas de grandes dépenses unitaires, de super productions, mais du saupoudrage pour voir ce qui marche et l’exploiter au maximum pour faire le buzz. C’est ainsi que Squid Game est devenu un succès mondial inattendu.
La roue de la fortune Netflix peut être représentée ainsi:
Le risque est qu’un abonné pris dans ce cercle vertueux (pour Netflix) abandonne progressivement les salles, sapant ainsi la force de Disney. Ce dernier a donc intelligemment réagi avec la création de Disney+ qui a rapidement dépassé les 100 millions d’abonnés. L’objectif n’est pas de faire un deuxième Netflix, mais de préserver, voire renforcer le lien de sympathie en proposant une alternative plus interactive aux films.
La manœuvre est défensive certes, mais efficace. Disney gagne au passage un levier supplémentaire sur les salles de cinéma qui ne vivent que grâce à ses productions: un film peut sortir simultanément en salle et en streaming, voire prioritairement en salle ou en streaming.
Une trêve pourrait donc s’instaurer entre Disney et Netflix, chacun évoluant dans un univers parallèle: la quête de la sympathie d’un côté, celle de de l’attention de l’autre.
Pour une fois cependant, Netflix ne cherche pas à se faire oublier et désigne le rival. Commentant les résultats du 3 eme trimestre 2021 et ses initiatives en dehors des films et séries, c’est à dire les jeux et les produits dérivés, Reed Hastings se montre plus agressif:
Et imaginez que dans 3 ans, un futur jeu Squid Game soit lancé, et qu'il s'accompagne d’une gamme incroyable d'options interactives ou de jeux, et tout ça est intégré à l’abonnement. Et puis, bien sûr, vous avez nos autres initiatives, les expériences que nous développons, les produits de consommation, tout ces assemblages.
Donc, une entreprise comme Disney est encore en avance sur nous dans certaines de ces dimensions de mettre toute cette expérience ensemble, mais bon sang, nous faisons des progrès. Et c'est excitant de voir qu'au cours des 3 à 5 prochaines années, nous allons combler cet écart. Et j'espère les dépasser sur cette expérience spectaculaire.
Certes, ces nouveaux produits sont une réponse à Disney: vous m’attaquez sur mon terrain, je fais de même. Mon interprétation cependant est que Reed Hastings vise Disney ouvertement pour faire diversion. Il vise en fait plus haut.
Disney, FAAGM…même combat
Il faut reprendre là où j’avais laissé le réflexion dans mon article Voitures électriques, trublion du metavers :
Avec le smartphone, une entreprise peut atteindre une masse considérable de gens, sans mobiliser de points de présence physiques. La proposition commerciale est dans le smartphone, donc déjà dans la poche de tous les clients potentiels. La question devient celle de l’attention. Les conséquences sont majeures sur le développement des entreprises:
auparavant, la distance était la limite: il fallait se rendre proche du prospect, le coût était proportionnel à la distance à parcourir, donnant un avantage de départ au local. Les grandes entreprises devaient compenser ce handicap par un effet d’échelle supérieur, leur permettant d’amortir le coût de l’éloignement. Il y avait cependant une sorte d’équilibre entre les petits et les gros: chacun avait sa chance <…>
Le coût de la distance supprimé, seul compte désormais l’attention, la compétition est mondiale, le local pulvérisé. Sans l’équilibre antérieur, des phénomènes extrêmes se produisent. Quelques sociétés jouent sur l’aspect routinier de l’attention pour la capter en la saturant. Les principaux vecteurs de l’attention sont l’apprentissage, la distraction, les autres, les achats, les passions. Hormis ces dernières qui laissent leurs chances à de petits acteurs mondialisés, les autres vecteurs de l’attention sont la proie de Google, Facebook, Amazon et quelques autres…
Le résultat est une économie extrêmement polarisée entre les quelques marchands d’attention tout puissants et le reste des entreprises qui la quémandent. Il s’ensuit un écart de plus en plus important sur la répartition du pouvoir et de la richesse, des taux de croissance à deux ou trois chiffres du côté des affaires oeuvrant à retenir l’attention, une stagnation de l’autre pour les affaires traditionnelles, avec des conséquences géopolitiques importantes.
Il y a maintenant une différence importante entre Netflix et ces autres marchands d’attention. Ces derniers ne cherchent pas l’attention pour elle même mais la captent comme un sous-produit de leur objectif principal. Celui de Facebook est de maximiser les interactions entre membres, celui de Google de répondre aux questions, celui d’Amazon de faciliter le commerce, celui d’Apple de faire ressentir la touche magique, enfin celui de Microsoft d’être la solution la plus pratique pour les entreprises . En ce sens, ces géants technologiques ressemblent à Disney dont l’objectif principal n’est pas l’attention mais de créer un lien de sympathie entre le public et ses caractères, l’attention étant un sous-produit de cette stratégie. Les conséquences sont importantes. Si l’attention n’est pas l’objectif principal, on peut la vendre. C’est ce que font ces groupes au travers de leur offre publicitaire. Ils proposent à leurs utilisateurs de quitter leur écosystème pour aller sur des applications tierces, ils favorisent même ce transfert, cela fait partie de leur modèle de monétisation ! Or une fois l’utilisateur parti, il peut être plus compliqué de le faire revenir. Les FAAGM ont le même problème potentiel que Disney: loin des yeux, loin du cœur. Nos yeux sont rivés H24 sur notre smartphone pour nous orienter dans des activités les plus diverses. Avant de vendre quoi que ce soit, il faut d’abord capter l’attention, c’est un pré requis. Les FAAGM ont là une faiblesse: l’attention des internautes est toujours à un click de les quitter.
Comment TikTok a fait trembler Facebook
Les algorithmes de Facebook ont pour principal objectif de favoriser les interactions entre membres, pas le temps passé sur l’application. Pendant un temps, les posts d’articles de journaux ont pris le pas sur les interactions, le buzz sur les conversations, l’antagonisme sur la bienveillance. Les membres passaient du temps sur l’application certes mais pas forcément pour discuter entre eux. C’était excellent pour river les membres à l’application mais Facebook devenait une tribune publique capable de faire une élection. Le 11 janvier 2018, Marc Zuckerberg, sous le feu des critiques, décide de rectifier le tir et annonce une mise à jour de ses algorithmes:
Aujourd'hui, nous utilisons des signaux tels que le nombre de personnes qui réagissent aux messages, les commentent ou les partagent pour déterminer le niveau d'affichage des messages dans le fil d'actualité.
Avec cette mise à jour, nous allons également donner la priorité aux messages qui suscitent des conversations et des interactions significatives entre les personnes. Pour ce faire, nous prédirons les messages sur lesquels vous souhaiterez interagir avec vos amis et nous les afficherons plus haut dans le fil d'actualité. Il s'agit de messages qui suscitent des discussions dans les commentaires et de messages que vous pourriez avoir envie de partager et auxquels vous pourriez réagir, qu'il s'agisse d'un message d'un ami demandant des conseils, d'un ami demandant des recommandations pour un voyage, d'un article d'actualité ou d'une vidéo suscitant de nombreuses discussions.
Nous donnerons également la priorité aux messages des amis et de la famille par rapport au contenu public, conformément aux valeurs de notre fil d'actualité.
Faisant passer l’attention au second plan, Facebook a ouvert une brèche dans laquelle s’est introduit TikTok. Les algorithmes TikTok sont optimisés pour l’engagement: le format vidéo plein écran immerge l’utilisateur. Ce dernier tague lui-même les données (j’aime/ je n’aime pas), entraîne ainsi directement l’algorithme, évitant les faux signaux que son comportement pourrait engendrer. Enfin le format de vidéo courte permet d’augmenter le nombre d’ interactions entre l’utilisateur et l’application, procurant plus de données pour l’algorithme. Le résultat est une intelligence artificielle redoutablement efficace à cibler ce que les utilisateurs veulent voir, donc à capter leur attention. Pour couronner le tout, TikTok organise une véritable compétition entre les créateurs de vidéos, leur permettant de créer à partir de la création des autres. Il y a là un effet multiplicateur et la qualité des vidéos s’en trouve rehaussée, donnant des raisons supplémentaires aux utilisateurs de rester accroché à l’application. TikTok ne représentait rien en 2017, il a maintenant 1 milliards d’utilisateurs dans 150 pays qui passent en moyenne 52 minutes par jour sur la plate-forme, rattrapant son retard sur les 2h20 de Facebook, Instagram et WhatsApp réunis.
Marc Zuckerberg est obligé de réagir face à cette menace et réoriente la stratégie du groupe. Lors des commentaires sur les résultats du 3ème trimestre Marc Zuckerberg:
Une grande partie de notre travail avec les créateurs consiste à nous concentrer sur Reels. Reels est déjà le principal moteur de la croissance de l'engagement sur Instagram. C'est incroyablement divertissant, et je pense qu'il y a une énorme quantité de potentiel à venir. Nous nous attendons à ce que cela continue de croître et je suis optimiste quant au fait que Reels sera aussi important pour nos produits que ne le sont les Stories. Nous prévoyons également d'apporter des changements significatifs à Instagram et à Facebook au cours de l'année prochaine, afin de nous orienter davantage sur la vidéo et faire de Reels un élément plus central de l'expérience.
Les interactions passent au deuxième plan. La priorité est la vidéo au travers de Reels, concurrent de TikTok promu dans Instagram et probablement bientôt dans Facebook. Le temps passé sur les applications redevient l’axe principal sans lequel la monétisation court le risque de s’atrophier.
TikTok et Netflix se ressemblent dans la mesure où leur objectif est le même: capter l’attention. Le premier, ayant adopté le modèle gratuit financé par la publicité peut croître comme un champignon mais la monétisation joue à l’encontre de sa stratégie et l’affaiblit. Le second avec son modèle payant est comme une boule de neige, plus lente à se constituer jusqu’à ce qu’on ne puisse plus la stopper.
Vers l’infini et au delà…
Pour Netflix, le champ du combat est clair. Reed Hastings dans sa dernière lettre trimestrielle aux actionnaires:
Nous sommes en concurrence avec un ensemble d'activités d'une ampleur stupéfiante pour le temps et l'attention des consommateurs, comme regarder la télévision linéaire, lire un livre, naviguer sur TikTok ou jouer à Fortnite, pour n'en citer que quelques-unes.
Si les Facebook, Amazon, Apple, Google et Microsoft ne le perçoivent pas comme tel, tant mieux pour Netflix qui continue en sous-marin à capter toujours plus de temps d’écran. D’après PC Mag, aux Etats-Unis, les abonnés passent 3,2 heures par jour sur Netflix !
Effectivement les FAAGM semblent tous apprécier les vertus financières de la publicité, à savoir des marges très confortables pour un investissement minime, cerise sur le gâteau de leur offre principale. Pendant presque deux décennies, Google et Facebook ont dominé le marché de la publicité digitale, que ce soit sur PC et sur smartphone. En 2012, Amazon voyant le potentiel (votre marges est mon opportunité, disait Jeff Bezos), lance Amazon advertising qui réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de $32 milliards, le quart de celui de Facebook mais avec une croissance bien supérieure). Apple ne veut pas être en reste et cherche un point d’entrée. L’App Store est un marché de plus de 2 millions d’applications appelant une offre publicitaire. Apple a néanmoins un obstacle sur sa route: Facebook qui est la principale source de découverte des apps. Grâce aux multiples données qu’il collecte sur chaque utilisateur qu’il suit au travers des applications partenaires, Facebook sait qui télécharge quoi et peut ainsi facilement trouver des profils identiques pour cibler ses publicités. Il compte ainsi l’herbe sous le pied d’Apple, lequel trouve sa riposte avec IOS 14: il faut maintenant demander l’autorisation à l’utilisateur pour pouvoir le traquer d’apps en apps. L’autorisation étant rarement donnée, Facebook se trouve privé de sa possibilité de savoir ce que fait l’utilisateur en dehors de sa propre application. Apple l’a rendu aveugle et peut proposer le service à sa place…Nous avons donc quatre géants de l’internet qui se battent sur la publicité et acceptent de dégrader l’expérience utilisateur, de risquer la perte de son attention.
Pendant ce temps, Netflix fait tout pour capter la moindre parcelle d’attention; tout temps mort dans la journée peut être mis à profit pour regarder quelques minutes d’une série servie dès l’ouverture de l’application (une différence notable par rapport à la concurrence). Les sous-titres sont générés automatiquement pour éviter de perdre du temps à installer ses écouteurs. Tout est calculé pour provoquer le réflexe Netflix.
Dans mon article La fin du grand partage, j’ai imaginé comment les manœuvres d’Apple notamment mais aussi celles de Google transformaient l’internet des Big Tech en San Giminiano:
La publicité digitale est un secteur particulièrement lucratif pourvu qu’on ait l’audience et les données pour cibler. A l’époque du grand partage, il suffisait d’avoir l’audience pour construire un business publicitaire, les données étant mutualisées. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, il faut aussi avoir les données. Cela va impliquer une course aux données de la part des sites à grande audience et pour ce faire l’augmentation du nombre de services propriétaires. Toute prestation sous-traitée sera une perte de données. Les conséquences sont importante. L’internet se transforme en tours d’ivoire, chacune essayant d’attirer l’internaute puis de le balader indéfiniment entre ses étages. Une bonne tour doit multiplier les étages.
Rien ne ressemble plus à une tour qu’une autre tour. Finalement, les BigTech se ressemblent de plus en plus:
Leurs moyens sont des montagnes de serveurs dans des centres de données répartis dans le monde entier ainsi que des codeurs de haut niveau.
Ils proposent un service de base attractif : recherche, réseau social, commerce…fondé sur l’abondance
Pour s’assurer que leur offre attire l’attention, ils cherchent à dominer le conduit (hardware, par exemple IPhone, Echo ou casque Oculus)
…leur donnant accès prioritaire à l’attention des utilisateurs
…pour permettre à des créateurs d’atteindre ceux-ci par l’informatique (cloud), la publicité et pour faire du commerce. C’est pour les Big Tech, la phase de monétisation. Ils sont obligés de faire un compromis entre le temps passé chez eux et l’opportunité offerte aux créateurs d’en sortir.
L’attention étant un sous produit de l’offre principale, elle est vendue, créant des incitations à aller voir ailleurs.
Netflix sape le modèle Big Tech sur son fondement, avec sa vocation exclusive de domination du marché de l’attention. Quand Netflix conçoit des jeux vidéo (nouveau produit), c’est exclusivement pour plonger les joueurs dans l’univers Netflix. Il n’est pas question de leur donner l’occasion d’en sortir par une monétisation publicitaire ou de goodies. La boucle vertueuse de l’attention se renforce à chaque nouveau film, série ou produit et vole le temps aux offres des autres Big Tech:
Le liant qui permet à la tour Big Tech de tenir sur ses fondations de plus en plus fragiles est le hardware. C’est le moyen de forcer l’attention. Apple maitrise parfaitement cet art, mettant en avant grâce a ses appareils ses propres applications, au détriment d’autres souvent plus performantes (Spotify, Google Map, etc.). Toutes les Big Tech veulent leur hardware: Facebook et Amazon ont essayé le smartphone, sans succès, se sont rabattus sur d’autres types de hardware (Echo, Portal, Oculus). Microsoft a la Xbox, la gamme Surface et HoloLens, Google le Pixel Phone.
Pour lutter contre Netflix, il faut pouvoir forcer l’attention. La réponse du berger à la bergère, de Big Tech à Netflix, est de maîtriser le hardware de la prochaine révolution technologique qui, tous s’accordent à le penser sera le métavers. Le métavers est l’immersion totale dans le monde numérique au travers d’un avatar. L’immersion facilite grandement l’attention (concentration), c’est pourquoi il est si important de maîtriser la technologie qui permettra de rendre possible cette immersion. Facebook va dépenser $10 milliards en 2021 sur cette initiative, sans doute beaucoup plus dans les années à venir. Les autres Big Tech suivent, avec plus ou moins de fanfare, comme l’explique Matthew Ball dans ce tweet:
La bataille va être intéressante:
-d’un côté Big Tech va essayer de conquérir le monde du travail, un concentré d’attention devenant de plus en plus virtuelle, depuis le Covid. Microsoft, Facebook et Apple notamment vont se disputer ce marché à travers leur investissement dans le métavers,
-de l’autre Netflix va tenter de dominer le temps non travaillé en jouant sur l’inter-opérabilité des métavers. Il trouvera Facebook sur sa route qui tentera de réinvestir le terrain avec la réalité virtuelle et augmentée.
Si l’histoire de Microsoft et Apple est un signe, le monde de l’entreprise triomphe d’abord puis le consommateur prend le relai avec un effet de masse supérieur (PC puis smartphone). Cette histoire se répétera -t-elle ?
Bonne semaine !
Hervé