Un métavers européen ?
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Presse Citron le 17 mars 2022:
Emmanuel Macron a annoncé, à la surprise générale, sa volonté de faire un métavers européen s’il est réelu.
Il s’agissait d’un des premiers moments forts de sa campagne, et Emmanuel Macron a finalement choisi de parler du métavers. L’actuel Président de la République, candidat à sa réélection, a abordé le sujet des univers virtuels, et donc du fameux métavers qui fait tant couler d’encre depuis quelques mois.
Alors que les cryptomonnaies commencent à peine à être réglementées par la loi, Emmanuel Macron veut aller encore plus loin dans son programme 2022, avec les technologies dérivées de la blockchain et du web3. De la même manière que Mark Zuckerberg l’avait annoncé il y a quelques mois, le candidat veut son propre métavers …<>…À Aubervilliers, ce 17 mars, il profitait de la présentation officielle de son programme pour expliquer qu’avec un métavers européen, le Vieux Continent pourrait défendre sa souveraineté “culturelle et informationnelle”. L’idée, selon lui, serait de casser notre dépendance envers les géants du web actuels, autrement dit les GAFA. Selon le président-candidat, la question du métavers est “un sujet absolument essentiel” dans le débat politique.
Indépendance envers les géants du web ? Comptez moi parmi les sceptiques. Meta (Facebook) a déjà commencé à envahir la place. Forbes, le 19 octobre 2021:
Dans un billet de blog publié lundi, le géant Facebook a déclaré qu’il prévoyait de créer 10 000 nouveaux « emplois hautement qualifiés » au sein de l’UE pour travailler sur sa prochaine plateforme informatique. Facebook a défini le métavers comme un ensemble d’espaces virtuels où les gens peuvent interagir et s’engager avec d’autres personnes qui ne se trouvent pas dans le même espace physique qu’eux via la réalité virtuelle. L’entreprise a déclaré que cet investissement était un « vote de confiance » dans la force de l’industrie technologique européenne et a ajouté que la région – où elle a fait l’objet d’une surveillance étroite – aiderait à façonner son métavers dès le départ. Dans un effort probable pour apaiser toute préoccupation réglementaire, Facebook note que le métavers « ne sera pas construit du jour au lendemain par une seule entreprise » et que, comme l’internet, il sera ouvert et interopérable, sans donner de détails supplémentaires. Reconnaissant les efforts de réglementation de l’UE, Facebook a également félicité les législateurs européens d’avoir intégré des valeurs telles que la liberté d’expression, la vie privée, la transparence et les droits individuels dans l’internet, et a indiqué qu’il partageait ces valeurs.
L’embauche de 10 000 nouveaux ingénieurs de pointe en Europe est très significative à la fois pour l’Europe et pour Meta qui emploie 70 000 personnes. Certes Meta va là où il reste des ingénieurs qualifiés
à recruter. Cependant le groupe, en utilisant le levier de l’emploi, n’est-il pas en train de préempter le métavers européen ?
Meta vs Europe
Regardons les forces en présence. Meta investit depuis déjà au moins trois ans dans le métavers, selon ses chiffres officiels:
2019: $4,5 milliards
2020: $ 6,6 milliards
2021: $ 10,2 milliards
L’Europe de son côté n’a aucune société ayant la prétention de construire le métavers ou au moins de contribuer à sa construction. Les principales sociétés construisant des briques du métavers en dehors de Meta sont Apple, Microsoft, Epic Games, Roblox, Niantic, Nvidia, Unity Software, Decentraland, Snapchat, Amazon, entre autres. Toutes ces sociétés sont américaines, les sociétés européennes sont étrangement absentes de ce catalogue. On peut espérer que le grand projet Horizon Europe permettra de rattraper le retard pris sur les américains. Il prévoit € 100 milliards d’investissements d’ici 2027 dans la recherche fondamentale, la compétitivité industrielle et enfin les entreprises innovantes. Ce projet succède à Horizon 2014-2020, d’un budget de €77 milliards qui n’a pas permis, force est de le constater, de voir émerger une Big Tech européenne. Le problème de ces grands programmes est qu’ils n’ont pas de vision et consistent essentiellement à du saupoudrage de subventions (plus de 30 000 demandes par an). Les subventions finissent par abreuver à défaut des entreprises qui ont les meilleurs chercheurs, au moins celles qui ont les lobbyistes les plus adroits…Entre 2014 et le 1er trimestre 2019, les principales entreprises bénéficiaires en France ont été:
Thales: €154 millions
Airbus: €132 millions
Safran:€ 94 millions
Atos: €42 millions
STMicroelectronics: €40 millions
EDF: €38 millions
Dassault: €30 millions
Total: €23 millions
En regardant dans le détail, on relève que le secteur des technologies de l’information a reçu € 854 millions en France depuis le début du programme pour 763 projets, soit une moyenne de €1 million par projet ! La France représentant environ 10% du programme européen, on peut par extrapolation estimer le montant des subventions au numérique de l’ensemble du programme à moins de € 10 milliards, sur 7 ans répartis sur de multiples projets. Devant l’inconsistance de ce saupoudrage, un volet spécifique au numérique a été adopté par la commission, qui prévoit…€ 2 milliards d’investissements d’ici 2030. Au final, les subventions dédiées à la construction d’un métavers risquent d’être symboliques et avoir du mal à trouver leur candidat. Elles ne feront pas le poids face aux investissements massifs des géants américains. Car le métavers, contrairement à l’internet des débuts est une histoire d’investissements massifs plus que d’innovation, la commission semble complètement mésestimer ce fait. Cela a des conséquences géopolitiques fortes, quelles que soient les déclarations d’intention.
Internet et investissements: histoire d’un contretemps
L’internet a renversé le modèle économique des technologies de l’information. Jusqu’alors, l’information était géopolitique, contrainte par de lourds investissements effectués localement. La presse l’était par l’imprimerie et la flotte de véhicules nécessaires pour la distribuer, la TV gratuite par les licences nationales sur les ondes, la TV payante par un maillage de câbles. Le téléphone nécessitait une construction optimisée entre fils de cuivre et échangeurs pour raccourcir les distances point à point. L’investissement était local d’abord, donc contrôlable par le pouvoir politique, qui ne s’en privait pas pour surveiller ses administrés. L’informatique n’a pas dérogé au modèle, la transformation du silicium en transistors, circuits intégrés et microprocesseurs nécessitait des effets d’échelle que seuls les Etats-Unis ont pu produire après la deuxième guerre mondiale. L’industrie des semi-conducteurs était poussée par l’armée, considérée comme géostratégique. Intel était l’illustration par excellence du modèle avec des effets d’échelle massifs sur ses fonderies. AMD était un pâle second qu’Intel avait intérêt à ménager pour cacher son statut de monopole. Jusqu’à l’avénement de l’internet, il n’y avait que Wintel, le duo Intel/Microsoft.
Le protocole TCP/IP a changé la donne. Il permettait de transformer l’information en paquets qui s’infiltraient dans les réseaux filaires, trouvaient le meilleur endroit pour passer et se regroupaient au point de destination. L’internet s’accommodait des réseaux en place et profitait de leur mutualisation. Tout à coup, la valeur n’était plus dans l’infrastructure mais dans ce qui y circulait, l’information proprement dite. Cela permettait à de nouvelles sociétés, sans réelle infrastructure de percer en canalisant et dirigeant l’information au bon endroit. C’est ainsi que sont montés en puissance Google, Amazon, Yahoo puis Facebook et bien d’autres, sociétés sans grands moyens financiers au départ mais aux cash flows opérationnels vite positifs. Le bilan de Google l’année de son introduction en bourse montre bien ses capacités de financement limitées de l’époque:
Google avait moins de $400 millions d’immobilisations ! AT&T à la même date avait $52 milliards d’immobilisations. Le modèle économique changeait, se focalisant sur la capacité de tri d’une information multiple nécessitant des algorithmes, pas des usines sur un terrain mondial avant d’être national. La grosse erreur du début des années 2000 a été de ne pas voir ce changement. De nombreuses sociétés restant dans le modèle « géopolitique » ancien, ont investi massivement dans les infrastructures prévoyant l’autoroute de l’information. Le résultat fut des milliers de km de fibre optique posée à crédit, des montagnes de serveurs achetées par des start up pensant qu’ils étaient la clé de leur succès futur, une formidable bulle sur les sociétés de télécommunication (la star de la nouvelle économie dans notre pays était France Telecom) ainsi que sur les fabricants d’infrastructures (Cisco, Sun Microsystems)…et un crash monumental.
Ce crash a permis de faire comprendre que l’internet avait changé la nature de la technologie. Dorénavant, l’inventivité et le ciblage primaient, la capacité de créer des plates-formes, de mettre en relation, à partir de l’infrastructure existante. Les usines n’avaient plus beaucoup d’importance et pouvaient être installées partout, au plus offrant. L’effet réseau succédait à l’effet d’échelle. Une fois de plus les Etats-Unis allaient remporter cette bataille, s’appuyant sur leur 320 millions d’habitants parlant la même langue, tout en visant le monde entier. La Chine perçait aussi avec Alibaba et Tencent, des sociétés sans usines s’adressant aux 1,4 milliards de chinois. L’Europe ne pouvait fabriquer que de petit clones avec un faible effet réseau, la fragmentation des populations et des langues rappelant la Tour de Babel. À YouTube, ils pouvaient opposer Dailymotion, à Amazon Rue du Commerce, à EBay Leboncoin, etc. L’exception fut Spotify, une goutte d’eau dans un océan de plates-formes !
L’Europe a largement perdu la bataille de « l’internet light » et maintenant qu’il est en train de changer de nature, elle ne semble pas en prendre conscience. Car avec la saturation de l’attention et l’augmentation du coût d’acquisition des internautes, il faut aller plus loin, offrir un service de plus en plus rapide, précis. Il faut également tenir compte des règles locales, de la conformité et contrôler son service, ce qui implique des coûts importants. L’intensité capitalistique a de nouveau pris le pas sur l’effet réseau, plus fugace, ouvrant la voie à la centralisation de l’internet autour de quelques Big Techs, au premier rang desquelles figurent les opérateurs cloud. Alors que l’Europe saupoudre les subventions comme si l’internet était encore une question de capital risque, les ténors se renforcent avec des plans d’investissements de plus de $20 milliards par an sur leurs infrastructures, devenant de véritables forces géopolitiques.
Le cloud européen
L’Europe commence a sentir le problème géopolitique, le cloud constituant une privatisation de l’internet. Ses solutions sont cependant tardives et mésestiment les moyens à mettre en œuvre pour créer un cloud crédible. L’époque des plates-formes est dépassée, le temps est à la grosse Bertha. Le projet de cloud européen, appelé Gaia-X émane d’une organisation à but non lucratif (pas bon pour mettre les moyens), localisée en Belgique. Il date de 2019, soit 13 ans après les débuts d’AWS et 10 ans après celui d’Alibaba, deux sociétés à but lucratif. L’idée consiste à fédérer les infrastructures informatiques existantes des membres de Gaia-X et de les rendre inter-opérables pour constituer un véritable ensemble capable de rivaliser avec les Azure, AWS et Google Cloud Platform. Comment assure -t-on l’inter-opérabilité ? En utilisant des outils multicloud américains, type Openshift (IBM), Openstack (Oracle) ou Kubernetes (Google). Le résultat est double:
les Etats-Unis deviennent une pièce indispensable du puzzle. IBM, Microsoft, Google, AWS font partie des 300 membres du consortium. Ils cimentent leurs avantages avec des accords de licence contraignants pour les européens.
Le consortium fonctionnant comme un multicloud de sociétés européennes est moins puissant qu’un multicloud constitué des trois leaders, armés de montagnes de serveurs. Au final, il risque d’être un paravant, s’abritant derrière la technologie américaine.
Gaia-X aura eu les effets d’annonce mais risque de finir comme le plan calcul, a l’eau…et sous domination des cloud américains.
Le sort du métavers européen
Les leçons de l’échec de Gaia-X n’ont apparemment pas été apprises. Car le métavers est aussi une histoire de gros moyens, avant d’être une histoire d’innovation. Or l’Europe espère gagner par une logique de start up, créant juste de futures proies pour les prédateurs américains.
Le métavers est déjà là
Il faut bien comprendre que le métavers n’est pas une révolution mais une évolution de l’internet vers toujours plus d’immersion. La réalité virtuelle est déjà là mais elle s’améliore pour gagner en réalisme, jusqu’à devenir une copie numérique du monde physique. L’internet est passé du format écrit asynchrone (blogs, mails) quand la bande passante était très faible à la vidéo asynchrone (Instagram, TikTok…) puis à la visio-conférence synchrone (Teams, Zoom). Depuis le départ on est dans la réalité virtuelle avec un taux d’immersion proportionnel à la bande passante et à la puissance des puces. L’environnement virtuel est de plus en plus réaliste, l’aboutissement étant la 3D. Le développement de l’infrastructure suit cette logique d’immersion: la mutualisation des infrastructures existantes était suffisante pour l’internet des blogs. Plusieurs éléments permettent aujourd’hui d’aller plus loin:
La bande passante au dernier km s’améliore sans cesse.
La puissance des microprocesseurs continue selon la loi de Moore et permet le développement de l’intelligence artificielle avec la multiplication des coeurs et leur programmation grâce à une couche logicielle (CUDA pour Nvidia par exemple). La capitalisation boursière de Nvidia, le leader des puces GPU a dépassé celle d’Intel, le leader des puces CPU.
Le cloud standardise à la fois la puissance de calcul (disponible à la demande), les interconnexions (Kubernetes, multi-cloud…) et le langage de programmation (Linux). Il est un formidable outil de performance et de mondialisation des programmes à disposition des développeurs. Ces derniers sont alors incités à créer les briques et sous briques d’un internet toujours plus précis, près des utilisateurs et se substituant au monde physique et à ses interactions. Zoom et Teams, des préfigurations du métavers n’existeraient pas sans le cloud (voir mon article Zoom peut-il chambouler le cloud ? )
Le développement de programmes en 3D progresse beaucoup grâce aux moteurs de jeux vidéos (Unity Software, Fortnite) et aux puces graphiques qu’ils utilisent. Ces jeux sont multi-joueurs et peuvent de plus en plus se jouer dans le cloud, sur n’importe quel écran.
Les réseaux sociaux se construisent sur une technologie et en amplifient l’adoption, celle-ci devenant le coeur de leur avantage concurrentiel. Il leur faut toujours aller de l’avant au risque d’être débordés par un nouveau format. Facebook s’est construit sur le fil d’actualité. Snapchat a riposté en intégrant son application dans la caméra. Facebook a dû contrer l’offensive en faisant rapidement évoluer Instagram, son réseau à base de photos pour le convertir au format vidéo. Puis TikTok s’est constitué sur l’intelligence artificielle pour le tri de vidéos, a connu une croissance champignon. Facebook doit réagir très vite et intègre Reels (concurrent de TikTok) dans ses applications phares pour en faire la promotion. Il ya donc aujourd’hui une course à l’innovation immersive par les réseaux sociaux. Cela explique les investissements massifs de Meta dans la réalité virtuelle et augmentée pour préempter toute tentative de nouveau réseau social.
Les possibilités d’utilisation du métavers se précisent: le télétravail favorise les réunions virtuelles, donc Microsoft et Meta, qui veulent aller plus loin que les visio-conférences; les jeux multi-joueurs sont facilités par la latence de l’internet toujours en amélioration.
Enfin la création des NFTs (Non Fungible Token) résout la contradiction entre le monde physique marqué par l’unicité de chaque espace et le monde numérique, copiable à l’envie.
L’évolution naturelle est un rapprochement de ce qu’on voit sur l’écran et le monde physique, c’est à dire selon le mot du directeur général de Nvidia, la création d’un jumeau digital. La question sera alors de savoir si nous resterons de l’autre côté de l’écran ou si nous traverserons l’écran pour y évoluer sous forme d’avatar. Mark Zuckerberg parie avec audace sur cette destination ultime avec notamment Horizon Workrooms.
Les gagnants sont-ils déjà là ?
C’est une question importante pour l’Europe qui n’a constitué aucune brique de base du métavers à ce jour. Les principales briques sont 1/ le cloud, 2/ les puces GPU, 3/ les moteurs 3D, 4/ les plates-formes de programmation, 5/ les réseaux sociaux existants, 6/ le hardware:
Le cloud: AWS, Azure, Google Cloud platform. Meta avec son propre cloud qu’il se réserve. Éventuellement Cloudflare en challenger. Tous nord-américains.
Les puces: Qualcomm pour les télécommunications, Nvidia pour l’intelligence artificielle et les opérateurs cloud. Tous nord-américains.
Les moteurs 3D: Unity Software et Unreal (intégré à Fortnite) dominent une pléthore de petits moteurs souvent intégrés . Les deux sont nord-américains.
Les plates-formes de programmation: la foire d’empoigne entres les opérateurs cloud, les fabricants de puces, Apple et Meta Platforms. Tous nord-américains
Les réseaux sociaux: Meta, Discord, Fortnite, Roblox, Twitch, nord américains.
Le hardware: Meta (casque VR disruptif) et Apple (lunettes de réalité augmentée, prolongement de l’Iphone) sont les deux prétendants, encore deux nord-américains.
Les barrières à l’entrée sont conséquentes, car créer du réalisme est très coûteux en puissance et optimisation de calcul. Le dernier centre de données de Meta destiné au métavers va coûter $800 millions pour 100 000 m2. Unity Software a dû payer près de $2 milliards pour s’offrir Weta, la société logicielle de Peter Jackson capable de produire un rendu 3D très réaliste utilisé pour les films. Compliquant encore la compétition potentielle, les prétendants cumulent plusieurs briques, confortant ainsi leur position dominante. Fortnite est à la fois un moteur 3D, une plate-forme de création et un réseau social de 350 millions d’utilisateurs.
Le métavers européen va-t-il souffrir le sort du cloud européen ? La probabilité est forte: au moins concernant l’infrastructure, les jeux sont déjà faits. Quelques accords de licence entre les géants américains et des écrans de fumée européens soutenus par les pouvoirs publics pour montrer qu’on participe et la souveraineté européenne ne sera plus qu’un mythe. Il reste cependant une voie, celle des NFTs.
NFTs, la voie étroite
Les NFTs manifestent l’unicité de l’espace virtuel. En cela, ils sont une brique essentielle du métavers qui ne ressemblera au monde physique que s’il le reproduit dans cette dimension. Les NFTs représentent l’avenir économique du métavers, car l’économie est gestion de la rareté. D’après l’économiste Thomas Sowell:
L'économie est l'étude de l'utilisation des ressources rares qui ont des utilisations alternatives.
Les biens digitaux n’ont aucune valeur dans la mesure où ils sont reproductibles à l’infini. C’est pourquoi, leurs promoteurs utilisent un code propriétaire pour en éviter la copie. Ces biens sont donc inextricablement liés à leurs promoteurs et ne sont jamais la réelle propriété de ceux qui les achètent. Qui est propriétaire d’un kindle e-book ou d’un film acheté sur ITunes ? La propriété n’existe pas dans le numérique, on paye pour l’usage et comme le coût marginal d’un bien numérique est zéro, on substitue l’abondance à la propriété. La valeur revient aux pourvoyeurs d’abondance, les habituels suspects nord-américains (Netflix et consorts).
Dans le métavers, et c’est la principale différence avec l’internet centralisé d’aujourd’hui, la propriété revient en force et dans son sillage l’économie des biens « industriels ». Un bien numérique (sous forme de NFT) peut être séparé de son créateur et circuler partout, accessible par n’importe quel ordinateur du moment que son possesseur en détienne les clés. La propriété donne un espace de liberté qui existe de moins en moins dans l’internet d’aujourd’hui, d’où l’avenir des NFTs.
Aujourd’hui on voit dans les NFTs surtout l’aspect artistique (l’attrait d’un bien unique) et une bulle s’est créée autour de ceux-ci comme si tout bien unique avait de la valeur. Cette bulle passera mais au delà la technologie est prometteuse: la capacité de créer de l’immobilier numérique unique et des séries limitées comme on le fait avec des biens industriels pourraient donner au métavers sa dynamique commerciale propre, distincte de l’économie internet d’aujourd’hui. Le marché des biens digitaux atteint déjà près de $1 trillion. L’enjeu est de taille.
Aussi l’Europe peut devenir une puissance du numérique en participant à bousculer l’ordre économique actuel de l’internet fondé sur l’abondance. En prenant le contrepied de quelques groupes bâtis sur le même modèle, l’Europe certes continuera à rouler sur des rails nord-américains, mais elle aura ses chances d’éviter l’intégration de toute la chaîne comme c’est largement le cas aujourd’hui.
Cependant, aujourd’hui, le point fort de l’Europe est sa capacité à réglementer. Elle est souvent précurseuse, avec le RGPD hier, avec le Digital Service Act et le Digital Market Act aujourd’hui. N’étant pas du côté de l’innovation, elle n’a rien à perdre à la sanctionner pour prélever son royalty, qu’elle fait croître avec le temps (de 4% du chiffre d’affaires à 10% déjà pour les contrevenants). Elle s’est fait une spécialité de la réglementation, une spécialité rentable. Il y a entre l’innovation et la réglementation un compromis à faire. Pousser l’innovation nécessite de tâtonner sur la réglementation. C’est ce que font les Etats-Unis. Pousser la réglementation contraint l’innovation. C’est la voie européenne et ce malgré la qualité de ses ingénieurs.
Changer de braquet pour devenir une puissance d’innovation est évidemment plus risqué, car l’innovation est aléatoire, la réglementation certaine. L’Europe aura -t-elle la volonté de bousculer son modèle réglementaire pour devenir une puissance du métavers ? Les premiers signes ne sont pas favorables: l’Europe veut être un précurseur de la réglementation sur les cryptomonnaies…
Numerama, le 29/03/2022:
Des affiches à l’effigie d’Emmanuel Macron, des drapeaux français partout, et des récaps des actions du gouvernement ? C’est ce que vous pouvez voir sur le serveur Minecraft de la campagne d’Emmanuel Macron. Les équipes de la campagne de la République en Marche ont décidé de faire dans l’originalité et de créer un serveur spécialement dédié à la campagne d’Emmanuel Macron sur Minecraft, l’un des jeux en ligne les plus populaires dans le monde.
Minecraft, le métavers selon Macron ? Propriété de Microsoft depuis 2014…
Bonne semaine,
Hervé