Vers la 6G et au delà
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Ce tweet a le mérite de montrer que la supériorité de la 5G (et des générations ultérieures) ne reposera pas sur l’utilisation de hautes fréquences avec relais multiples permettant l’augmentation du débit mais bien sur la banalisation du hardware par le software. Deux acquisitions récentes de Microsoft sont intéressantes à cet égard. La première est celle d’Affirmed Networks annoncée le 26 mars 2020. Commentaire de son PDG:
Alors que je prends mes fonctions de président directeur général d'Affirmed Networks, je suis ravi de vous annoncer que Microsoft a signé un accord définitif pour l'acquisition d'Affirmed Networks.
À l'issue de cette transaction, Affirmed Networks, la société que nous avons créée de toutes pièces pour devenir un leader de la virtualisation et de la 5G, fera partie de Microsoft.
Nous avons fondé Affirmed avec la vision d'aider les opérateurs de téléphonie mobile à transformer fondamentalement la façon dont ils construisent et exploitent leurs réseaux et à créer et fournir de nouveaux services innovants à un coût nettement inférieur à ce qui était considéré comme possible.
Nous avons concrétisé cette vision en apportant une innovation de premier plan sur le marché en matière de noyau de paquets virtuels évolués, une plate-forme native du nuage pour la 5G et une gamme de capacités d'automatisation et d'orchestration qui ont fait de nous un leader avec plus de 100 clients dans le monde entier…
Nos clients ont été nos meilleurs champions, ils ont parié sur nous et ont ainsi fait preuve d'un engagement remarquable en matière d'innovation et de rupture. En travaillant ensemble, nous avons créé un modèle de réseaux mobiles du futur qui est ouvert, natif du nuage et capable d'être à l'échelle du web, le tout à 70 % du coût des réseaux traditionnels. Nous avons été leur partenaire de choix dans leur préparation aux réseaux et infrastructures de cinquième génération (5G). Aujourd'hui, les technologies combinées de Microsoft et d'Affirmed vont encore accélérer ce changement capital. À chacun de nos clients, nous disons "Merci" !
La deuxième est celle de Meta Switch annoncée le 20 mai:
Aujourd'hui, nous annonçons la signature d'un accord définitif pour l'acquisition de Metaswitch Networks, un fournisseur de premier plan de logiciels de réseaux virtualisés et de solutions voix, données et communications pour les opérateurs.
La convergence du cloud et des réseaux de communication offre à Microsoft une occasion unique de servir les opérateurs dans le monde entier grâce à un investissement continu dans Azure, en ajoutant une profondeur supplémentaire à notre infrastructure de cloud à grande échelle avec le logiciel spécialisé nécessaire pour exécuter les fonctions de communication, les applications et les réseaux virtualisés.
Cette annonce s'inscrit dans le prolongement de notre récente acquisition d'Affirmed Networks, qui a été clôturée le 23 avril 2020. Le portefeuille complémentaire de Metaswitch de logiciels de communication ultra-performants, natifs du cloud, élargira notre gamme d'offres disponibles pour le secteur des télécommunications. Microsoft a l'intention de tirer parti du talent et de la technologie de ces deux organisations, en étendant la plate-forme Azure pour déployer et développer ces capacités à l'échelle de manière sûre et efficace et créer un écosystème durable.
Alors que l'industrie passe à la 5G, les opérateurs auront l'occasion de faire progresser la virtualisation de leurs réseaux centraux et d'avancer sur la voie d'un avenir de plus en plus nuageux. Microsoft continuera à rencontrer ses clients là où ils se trouvent, en collaborant avec l'industrie à mesure que les opérateurs et les fournisseurs d'équipements de réseau feront évoluer leurs propres opérations.
Software is eating hardware
C’est une règle générale quand on passe au numérique: il est sans doute plus facile de produire des 0 et 1 que de les ordonner, la compétition y est donc plus ardue. Les fabricants de hardware finissent tous par l’apprendre à leurs dépens. Le premier est IBM, victime de Microsoft. Son modèle économique était la location de matériel lourd, pas la vente de PCs. Il s’est fait surprendre par cette évolution, loin de son cœur de métier et a passé un contrat avec Microsoft en 1980 pour la fourniture du système d’exploitation MS DOS. Pressé par le temps et les craintes d’accusations de pratiques anti-concurrentielles, IBM a signé un contrat non exclusif. IBM avait juste déposé un brevêt sur le microprogramme qui permettait de charger DOS (pas folle la guêpe). Un fabriquant de PC ingénieux, Compaq, réussit à dupliquer le microprogramme d’IBM puis devint le leader du PC. En 1994, Compaq était le plus important fabriquant de PC au monde. Cette domination n’a pas duré. Le microprogramme n’est pas resté un secret très longtemps et la construction de PC n’est devenu qu’un assemblage de pièces, la plus importante étant le processeur Intel. Le système d’exploitation a mangé le hardware. On peut donner d’autres exemples. Un des plus frappant est la caméra. Au temps de l’analogique, les appareils photos les plus perfectionnés avaient cette allure:
Le traitement de l’image se fait maintenant par IA soit dans l’appareil (IPhone), soit dans le cloud (Android). C’est pourquoi il y a maintenant 3,5 milliards d’appareils photos perfectionnés pouvant prendre les moindres détails (on l’a vu avec George Floyd). Le software a mangé l’appareil photo devenu une relique pour collectionneurs. Plus prêt de notre sujet est l’histoire de la virtualisation et de VMware. Jusque dans les années 2000, les réseaux informatique d’entreprise fonctionnaient sous architecture X86. Les fonctions de calcul de stockage et de communication étaient localisées dans des serveurs spécialisés séparés, ce qui obligeait à une surcapacité, donc un investissement excessif dans le hardware. VMware a conçu une solution logicielle qui permettait de répliquer les trois fonctions sur le même matériel basique. Le logiciel avait ainsi créé des machines virtuelles remplaçant le matériel ancien coûteux. L’investissement de Dell, le champion de l’assemblage de pièces de hardware sans valeur, dans VMware est la manifestation que Michael Dell a compris le sens de l’histoire. VMware cependant n’est pas allé assez loin. A partir du moment où le logiciel pouvait remplacer le matériel, pourquoi laisser des surcapacités dans le hardware des entreprises. Le raisonnement qui avait fait économiser des capacités en mutualisant les fonctions de calcul, stockage et communications par la virtualisation pouvait être extrapolé. Cela a donné le cloud dont AWS a été le principal instigateur: la virtualisation à l’échelle planétaire. Si Zoom a pu offrir un service incroyablement efficace pendant l’épisode du confinement, c’est dû à l’accord qu’il a passé avec AWS, lui donnant au fur et à mesure les capacités nécessaires pour faire face à l’afflux de connections. Le confinement a validé définitivement la supériorité de l ‘approche cloud, c’est à dire de la priorité donnée au classement des 0 et 1 plutôt qu’à leur production. Nous pouvons maintenant approcher l’industrie des télécommunications sans fil avec une nouvelle perspective.
Le loup dans la bergerie
Avec la 4G, les réseaux sans fil sont passés définitivement au digital, à la transmission de paquets, que ce soit pour les données ou pour la voix. Le 3G était encore un mix de paquets pour les données et circuit (la vieille technologie consistant à réserver un canal) pour la voix. A partir du moment où les données ont commencé à proliférer, notamment du fait des apps, Le mode circuit est devenu injouable, occupant trop de bande passante. Cette problématique classique a été également rencontrée par les câblo-opérateurs qui réservaient des canaux spécifiques pour les chaines TV, prenant de la bande passante qui ne pouvait être allouée à l’internet rapide. C’est pourquoi certains câblo-opérateurs ont poussé au “cord cutting” pour pouvoir libérer la bande passante (exemple Cable One). En passant au digital, Les réseaux sans fil s’exposent inévitablement à la banalisation de leur infrastructure, le logiciel occupant de plus en plus le terrain…Les apparences sont trompeuses, c’est à dire qu’on peut confondre le montant des investissements avec la valeur de ceux-ci. Les opérateurs téléphone ont investi des sommes colossales dans leurs réseaux sans fil. On estime qu’aux Etats-Unis, les investissements cumulés des Telcos US entre 2001 et 2018 ont atteints $437 milliards (source The Brew). 2019 et 2020 continuent la tendance avec la 5G. Ces investissements ont été effectués principalement auprès de quatre fournisseurs: Ericsson, Nokia, Samsung et Huawei. Tout est propriétaire dans cet équipement. Avec la complexité croissante des réseaux, leur superposition et leur digitalisation, l’investissement logiciel a augmenté mais toujours dans une logique propriétaire d’intégration. La boite noire est la règle, de la tour antenne, en passant par le réseau de transport jusqu’à la station de base. Les Telcos se retrouvent dans le dilemme d’IBM et de son système d’exploitation PC propriétaire, l’OS/2. Comment l’intégration pouvait elle résister à la banalisation du matériel réalisée par DOS ? Il en est de même aujourd’hui: comment l’infrastructure sans fil pourra-t-elle résister à la virtualisation du matériel ?
Le cas Jio
Jio Platforms (filiale de Reliance Industries) est le cas d’école typique d’un réseau sans fil de dernière génération, donc intéressant à étudier. Contrairement aux Telcos traditionnels, Jio a lancé un réseau sans fil 4G entièrement digital, sans passer par les étapes de la 2G et 3G. Ce réseau a été construit classiquement avec de l’équipement propriétaire Samsung. La supériorité de Jio par rapport à ses deux compétiteurs Bahri Airtel et Vodafone India a été de conduire une guerre éclair: construction d’un réseau massif 4G couvrant toute l’Inde quand ses concurrents étaient empêtrés dans la transition de leur réseau. Le premier utilisait les cash-flows de ses activités industrielles pour bâtir son réseau ultra moderne et gagner des clients à coût de tarifs bradés. Les seconds essayaient de vivre dans leurs moyens et d’autofinancer la transition vers le 4G. L’approche cash-flow négatif de Jio était la bonne, car elle lui a permis pour la modique somme de $33 milliards de gagner 400 millions de clients. Le monde de l’internet a inversé les valeurs: elles se situaient auparavant dans la maitrise d’une ressource, par exemple un réseau 4G, elles sont maintenant dans la relation client, ce dernier ayant vite un choix surabondant. Dans une industrie à coût initial élevé et coût marginal zéro, l’enjeu devient d’attirer le maximum de clients, leur coût marginal étant nul. Il sera bien temps de les monétiser. Le réseau 4G de Jio n’a rien de révolutionnaire mais il est là avant les autres, peut gagner des abonnés et les monétiser par offres groupées digitales. Voir mon article sur la supériorité des offres groupées dans le monde digital du coût marginal zéro. L’investissement de Facebook dans Jio peut s’expliquer par la volonté des deux sociétés de conduire des offres groupées.
La stratégie 5G de Jio est particulièrement intéressante à considérer. La société a décidé de se passer des équipementiers traditionnels pour construire son propre réseau. Economic Times (10 mars 2020):
NEW DELHI : Reliance Jio a développé sa propre technologie 5G, une première mondiale parmi les opérateurs de téléphonie mobile, car elle cherche à réduire la dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers et à apporter des avantages en termes de coûts.
La compagnie de téléphone détenue par Mukesh Ambani a déjà remplacé la technologie vocale 4G de Nokia et d'Oracle par la sienne propre à partir de son réseau pan-indien, ont indiqué des personnes connaissant bien le sujet.
Il s'agit peut-être d'une première mondiale, selon les analystes, où une société de téléphonie mobile a développé une technologie interne pour remplacer les fournisseurs d'équipements tiers.
"Nous avons maintenant tout développé de bout en bout autour de la technologie 5G. Nous sommes plus évolutifs que ces fournisseurs et sommes entièrement automatisés puisque nous disposons de notre propre plateforme native dans le nuage. En 5G, nous serons totalement autonomes", a déclaré la personne à ET.
Jio Platforms est tout simplement en train de virtualiser son réseau et ainsi de substituer le logiciel branché à du hardware basique aux boites noires des équipementiers traditionnels. Cela lui permettra d’avoir un réseau nettement moins cher que ses compétiteurs et plus souple quant à l’offre de services…et de se concentrer sur la satisfaction de sa clientèle par offres groupées, plutôt que de monétiser son hardware propriétaire.
Le coeur de la 5G est la virtualisation
L’apport important de la 5G par rapport à la génération précédente est qu’elle peut être utilisée non seulement pour véhiculer de l’information mais aussi pour l’exploiter. Pour ce faire, il faut pouvoir améliorer drastiquement le débit et/ou la latence. En termes simples, si on compare l’internet à un robinet: la latence représente le temps passé entre l’ouverture du robinet et l’écoulement de l’eau; le débit la quantité d’eau qui coule par seconde. Pour faire évoluer une flotte de voitures autonomes, la latence est le point critique. Pour télécharger une série ou la regarder en streaming, le débit est plus critique. L’astuce de la 5G est d’apporter une amélioration puissance 10 sur le débit et la latence grâce à une gestion beaucoup plus efficace des ressources. Il n’y a pas de saut technologique entre la 4G et la 5G. Plusieurs techniques sont utilisées pour améliorer cette gestion:
La formation de faisceaux à partir des antennes: les tours 4G arrosent dans toutes les directions, ce qui entraîne une importante déperdition d’énergie. C’est pourquoi les opérateurs privilégient les basses fréquences qui vont plus loin, la déperdition de signal étant acceptable. Les antennes 5G utilisent une technologie permettant d’apparier antenne et utilisateur pour un faisceau unique. Le faisceau est alors plus intense, ce qui permet l’utilisation de hautes fréquences, comme de basses, avec une déperdition de signal minimisée.
La 5G néanmoins favorise les hautes fréquences car elles produisent un débit théorique plus important et une latence réduite. Le corollaire est une couverture moins large. Il y a une optimisation à faire entre ces trois variables. La conséquence est la multiplication des points de transmission (antennes) et de traitement du signal (serveurs). Le cloud et ses serveurs répartis sur tout le territoire sont un compagnon idéal de la 5G, car ils permettent un traitement local rapide pour les besoins critiques.
Pour obtenir une performance puissance 10, il faut optimiser au plus près l’utilisation du réseau: certaines applications demandent beaucoup de débit, d’autres une faible latence, les troisième une couverture impeccable. On ne peut pas changer l’équipement pour chaque utilisation spécifique (voitures autonomes, visio-conférences, internet des objets). On ne peut pas non plus déployer du matériel qui apporte une amélioration puissance 10 sur toutes les applications. Le réseau va donc être coupé en tranches et réparti virtuellement sur des serveurs cloud. A chacun selon ses capacités, a chacun selon ses besoins.
Les deux éléments critiques ce la 5G sont donc la multiplication des antennes permettant la formation de faisceaux au plus proche des utilisateurs et le cloud pour interpréter le signal ASAP et repartir au mieux la charge de travail. L’intégration hardware/software boite noire des équipementiers saute avec la virtualisation: le hardware basique d’un côté, le cloud de l’autre. Voici une représentation de la 5G:
On y voit que la 5G est une version plus locale que la 4G donnant prééminence au cloud, expression la plus aboutie de la virtualisation.
Conséquences pour l’industrie des télécommunications
La banalisation des équipementiers avait déjà été initié par les opérateurs se regroupant dans le mouvement Open RAN. Open RAN (Radio Access Network) est l’équivalent de VMware pour l’informatique d’entreprise: un moyen de banaliser les équipementiers en désagrégeant la boîte noire, c’est à dire la hardware et le software. Je vous conseille Cette vidéo simple pour comprendre comment les opérateurs ont initié le mouvement de virtualisation. Avec la 5G cependant, le cloud devient l’aboutissement du mouvement Open RAN, comme il l’a été pour la virtualisation type VMware. Dans les deux cas, le cloud finit par banaliser non seulement le hardware propriétaire mais aussi le software propriétaire !
La première étape de la virtualisation est bien la banalisation des équipementiers. Les Telcos sont d’accord, cela réduira leurs coûts en évitant d’être prisonniers des Huawei, Samsung ou Ericsson.
La deuxième, introduite par la 5G est la prise en charge des fonctions essentielles non plus par des hardware et software propriétaires des Telcos mais par un cloud Microsoft ou Google.
La 5G enfonce une grosse épine dans le pied des Telcos. L’analyse du bilan d’un opérateur téléphonique montre que sa valeur réside dans l’équipement et dans le spectre. Voici les actifs de Verizon:
Les 2/3 des actifs sont de l’équipement et du spectre. Les terrains représentent peu car Verizon loue les emplacements et les tours (par exemple à American Tower). Les conséquences pour les opérateurs sont donc claires:
Dévalorisation de leur équipement tant hardware que software.
Dévalorisation du spectre par ouverture de celui-ci aux ondes courtes les plus abondantes. La 5G fonctionnera sur l’intégralité du spectre, comme le montre le schéma suivant:
Avec la 5G puis la 6G qui renforcera encore probablement le rôle du cloud, deux types de sociétés pourront prospérer: les gestionnaires d’antennes (type American Tower) qui auront des droits sur les terrains et les opérateurs cloud (type Microsoft). Les opérateurs téléphoniques seront progressivement vidés de leur substance et facilement substituables. C’est pourquoi la stratégie de Jio est particulièrement astucieuse:
Il reconnaît que l’équipement est une commodité et l’exploite en constituant un réseau ultra moderne low cost: $33 milliards quand celui de Verizon a coûté $269 milliards en brut et $92 milliards en net !
Cela lui permet de fixer des tarifs très bas et de rafler le marché à la vitesse de l’éclair, disruptant les opérateurs traditionnels, coincés dans leur approche propriétaire: 400 millions d’abonnés déjà.
Il peut alors faire valoir sa clientèle auprès des géants de l’internet pour les aider à accélérer leur développement en Inde en échange d’une part de leur activité (e-commerce, publicité, abonnements, etc.).
Avec la 5G et la 6G, on peut également voir fleurir des opérateurs alternatifs low cost en Occident, mais ils n’auront pas le même levier par rapport aux BigTech car elles ont déjà le client, leur potentiel sera plus limité.
Conséquences pour les opérateurs cloud
Les réseaux téléphoniques sont un enjeu stratégique national majeur. The Verge (15 mai 2019):
Après des mois de spéculation, le président Trump a signé un décret donnant au gouvernement fédéral le pouvoir d'empêcher les entreprises américaines d'acheter des équipements de télécommunications de fabrication étrangère considérés comme un risque pour la sécurité nationale.
En vertu de ce décret, qui donne au ministre du commerce le pouvoir de déterminer quelles transactions peuvent constituer des risques potentiels, aucune entreprise n'est immédiatement considérée comme une menace. Mais le plan est largement considéré comme une manœuvre contre la société chinoise Huawei, que certains législateurs américains ont considérée comme une menace pour la sécurité.
Les États-Unis affirment que le gouvernement chinois pourrait forcer des entreprises comme Huawei à installer des portes dérobées dans leurs équipements pour espionner les réseaux américains. Huawei a nié à plusieurs reprises que cela puisse se produire, et le PDG et fondateur de la société, Ren Zhengfei, a fait des déclarations provocantes, affirmant que la campagne américaine contre la société n'arrêtera pas sa croissance internationale.
Les réseaux téléphoniques sont des instruments de surveillance des populations qui font partie de l’arsenal des gouvernements. Leur contrôle est un enjeu vital. C’est pourquoi le déplacement de l’intelligence de ces réseaux dans le cloud va poser toute une série de nouveaux problèmes de sécurité. Les opérateurs téléphoniques sont nationaux, les opérateurs cloud sont américains ou chinois. La virtualisation, type Open RAN, aurait pu permettre de résoudre les problèmes liés à la nationalité des équipementiers, rendant plus facile par exemple la substitution de Huawei par une solution nationale. La virtualisation aboutie que représente le cloud va pousser à des solutions cloud sinon nationales car l’effet d’échelle est clairement insuffisant, au moins entre pays amis. Le projet Gaïa-X de cloud franco-allemand doit être analysé à cette aune. Il est facile de le moquer en le comparant au désastreux moteur de recherche pan européen Quaero. A sa différence, il n’est pas un projet de recherche perdu d’avance ($100 millions d’investi au total contre $15 milliards par an pour Google !); il est au départ une mutualisation des infrastructures informatiques de 22 entreprises, membres fondateurs, lesquelles ne s’interdisent pas d’utiliser en sous-traitance des clouds étrangers, sous contrôle. L’idée est de gagner du pouvoir de négociation par rapport aux ténors du cloud. Le projet pourrait permettre de concilier l’impératif national et la souplesse d’utilisation nécessaires à la compétitivité des entreprises. il reste à savoir si la coordination de cet effort de mutualisation sera aussi efficace qu’un cloud AWS ou Microsoft. C’est pourquoi Gaïa-X risque d’être la façade d’un multi-cloud américain au final avec plus de contrôle.
Il n’en reste pas moins que le futur de l’industrie des télé-communications avec la 5G bascule désormais:
du côté de la Chine pour les pays de l’Orient car elle a les meilleurs opérateurs cloud (Alibaba, Tencent)
du côté ouest des Etats-Unis pour l’Occident, là où existe la meilleure cohésion entre universités, entreprises et capitaux risqueurs, là où les talents sont attirés:
Gaïa-X, s’il veut jouer dans la cour des grands, devra d’abord se pencher sur ce handicap fondamental: pourquoi l’Europe fait-elle fuir ses ingénieurs quand les Etats-Unis et la Chine les attirent ?
Bonne fin de semaine,
Hervé