Courbe d’apprentissage: le cas de l’énergie solaire
Les cimetières sont remplis de sociétés qui n’ont pas compris les règles du jeu.
Courbe d’apprentissage et loi de Moore
D’après Wikipedia :
Une courbe d'apprentissage est une représentation graphique de la relation entre le niveau de compétence d'une personne dans une tâche et son niveau d'expérience. La compétence (mesurée sur l'axe vertical) augmente généralement avec l'expérience (sur l'axe horizontal), c'est-à-dire que plus une personne, un groupe, une entreprise ou un secteur d'activité exécute une tâche, meilleure est sa performance.
Les courbes d’apprentissage sont généralement représentées avec une pente négative car les ordonnées mesurent non pas une compétence donnée mais l’effort produit pour acquérir ladite compétence.
Sur le graphique ci-dessus, l’axe vertical représente l’effort, c’est à dire le coût d’un effort par unité . Il diminue donc avec l’expérience.
Le concept de courbe d’apprentissage a été inventée par le psychologue allemand Hermann Ebbinghaus en 1885. Ce dernier faisait des expériences sur la mémoire, essayant d’appréhender les processus d’oubli et de rétention. Les travaux d'Ebbinghaus ont jeté les bases permettant de comprendre comment l'apprentissage progresse avec l'expérience. Il s'est servi de lui-même comme sujet pour mémoriser et se rappeler des séries de syllabes sans signification, créant des représentations graphiques pour illustrer la relation entre le nombre de répétitions et la quantité d'informations retenues. Cette représentation graphique est ce que nous appelons aujourd'hui la courbe d'apprentissage.
En 1936, Théodore Paul Wright appliqua le concept à l’industrie aéronautique, étudiant les effets de l’apprentissage (expérience) sur les coûts de production. Il écrivit un article démontrant que le coût unitaire de production d’un avion déclinait avec le nombre cumulé d’unités produites. L’idée principale du papier est qu’on apprend en faisant.
Depuis, le concept de courbe d’apprentissage a largement été éclipsé par celui de loi de Moore dont il est pourtant à l’origine. La loi de Moore a perdu le côté explicatif pour constituer un phénomène quasi magique appliqué au seul domaine des semi-conducteurs:
Le nombre de transistors dans un circuit intégré dense double environ tous les deux ans.
Il est bien dommage que le concept de courbe d’apprentissage soit tombé aux oubliettes: il aurait permis d’éviter par exemple certaines délocalisations industrielles qui ont fait perdre aux pays occidentaux une partie de leur avantage concurrentiel. On apprend en faisant, pas en déléguant. Wright montre ainsi les limites de la théorie Ricardienne prise au pied de la lettre. Cependant, le concept n’a pas été oublié par tout le monde et certains en profitent pour avoir une longueur d’avance quand les compétiteurs ont une vision stratégique trop statique: ils anticipent le moment où les prix seront divisés par dix, grâce à l’expérience qu’ils auront accumulée, leur donnant un avantage insurmontable. Il ne faut pas négliger l’effet vertueux de la courbe d’apprentissage (plus de production implique une baisse des coûts qui entraine plus de production) et donc l’importance de voir grand…et de vendre beaucoup, même un produit imparfait.
Elon Musk et la courbe d’apprentissage
Elon Musk est un adepte de cette théorie et l’applique systématiquement:
SpaceX a lancé 98 fusées en 2023. La NASA en a lancé 11 et Arianespace 3. Le dernier modèle Falcon Heavy peut mettre un satellite en orbite au coût de $1 500 par kg en orbite basse et $3 600 par kg en orbite géostationnaire. Pour Ariane 5, les coûts respectifs sont de $7 900 et $15 700 ! Le Falcon Heavy suit neuf générations de Falcon et une solide courbe d’apprentissage. Le problème d’Elon Musk était de trouver les clients en nombre suffisant pour absorber tous ces lancements. Profiter de la courbe d’apprentissage nécessite un large marché. Il faut vendre pour apprendre…
D’où Starlink, premier client de SpaceX, dont l’objectif est d’offrir au monde un internet quasi-gratuit et ainsi de pouvoir battre sur les prix non seulement les fournisseurs cloisonnés d’accès internet (Verizon, Comcast, Orange, etc.) mais aussi toute la chaine en aval (Big Techs). Il y a un lien entre SpaceX et X: c’est Starlink: SpaceX rend compétitif Starlink, qui rend compétitif X, dans le cadre d’une potentielle offre groupée. En 2023, Starlink a lancé 1 868 satellites en basse orbite avec un objectif final de plusieurs dizaines de milliers lui permettant de couvrir à bas coût (grâce à la courbe d’apprentissage) l’intégralité du globe, villes comprises. Le premier projet d’internet en basse orbite était celui d’Iridium dans les années 90. Il manquait cependant cruellement d’ambition: avec 66 satellites, le service ne pouvait concerner qu’un nombre limité de besoin (zones perdues), n’avait pas l’opportunité de s’améliorer et subissait le coût élevé de lancement d’un satellite. Elon Musk a compris l’importance d’ambitionner un marché très large, celui de l’internet dans son ensemble. Lancé par Starship, la dernière fusée de SpaceX, un satellite Starlink pourrait être lancé pour $30 000 et coûter ainsi beaucoup moins cher au lancement qu’un satellite du projet OneWeb concurrent ($3 millions par satellite). Dès lors, les satellites Starlink pourraient être produits en grand nombre et ainsi bénéficier à plein de la courbe d’apprentissage, non seulement concernant leur lancement mais pour leur processus de production également. En plus du large marché, un élément important à considérer pour mesurer l’impact d’une courbe d’apprentissage est l’avantage décisif de la technologie nouvelle par rapport à l’ancienne. Par exemple, dans le cas de SpaceX, pouvoir réutiliser une fusée constitue un avantage décisif par rapport à la technique de la fusée jetable utilisée par les compétiteurs. De même dans le cas de Starlink cette fois, la transmission de données dans le vide même sur longue distance est gratuite quand elle reste très onéreuse par voie maritime et terrestre (câbles en fibre optique). L’avantage décisif de la technologie nouvelle est un puissant facteur de motivation pour l’expérimentation.
Tesla utilise à fond le principe de la courbe d’apprentissage pour baisser le prix de ses batteries (environ 50 % du prix de la voiture électrique). Le graphique suivant présente la courbe d’apprentissage pour les batteries lithium-ion:
Ce graphique est issu de l’excellent blog de Casey Handmer. Il montre que pour un doublement de la base de batteries produites, leur coût baisse de 23 %. C’est le troisième élément clé de la courbe d’apprentissage: pour qu’elle fasse effet, il faut que la production augmente considérablement. Cela permet d’expérimenter toujours plus pour s’améliorer. Dans le cas contraire, la baisse des coûts reste marginale. C’est tout le problème de Tesla avec sa batterie “révolutionnaire” 4680 censée permettre le modèle à $25 000 dès 2025. Dévoilé en 2020, ce projet était fondé sur une augmentation de 45 % par an de la production de véhicules électriques jusqu’en 2030. Or 2024 voit un sérieux ralentissement de la croissance à 28 %. Le rythme d’expérimentation ralentit: la batterie 4680 est essayée sur le modèle Y et le Cybertruck mais ne convainc pas encore. La réalité est que les fabricants chinois deviennent plus performants à fabriquer des batteries bon marché qu’ils vendent en masse, en utilisant la technique LFP. BYD notamment produit beaucoup de voitures et batteries. La courbe d’apprentissage joue à leur avantage. C’est le dernier élément important de la courbe d’apprentissage: pour en bénéficier à plein, il faut être seul (ou presque), sinon la compétition bénéficie exclusivement au consommateur, la production se faisant au coût marginal. Il faut avoir le petit truc en plus… Elon Musk n’est pas seul sur les batteries, en fin stratège, il change ses priorités: elles sont maintenant tournées vers la conduite autonome, un marché où Tesla est le seul à pouvoir entrainer son dispositif sur des millions de voitures circulant partout dans le monde. Toutes les conditions sont ici réunies pour que Tesla bénéficie à plein de la courbe d’apprentissage:
un large marché (70 à 80 millions de voitures vendues tous les ans dans le monde);
une hyper croissance: 400 000 voitures sont équipées de FSD aujourd’hui et TESLA est déjà à la version 12 de son système de conduite autonome. La société a baissé ses tarifs en début d’année 2024 pour favoriser l’adoption dans le parc existant. Puis Tesla proposera également son système à des tiers;
un avantage décisif en terme de données collectées (8 caméras bon marché installées dans chaque voiture équipée de FSD depuis 2016 permettant d’analyser finement les meilleurs comportements des conducteurs);
une incapacité des concurrents à répliquer cette courbe d’expérience.
Le petit truc en plus de Tesla peut devenir ainsi son principal avantage concurrentiel.
Courbe d’apprentissage et énergie
La courbe d’apprentissage est souvent mésestimée du fait probablement d’une difficulté à se projeter (un tien vaut mieux que deux tu l’auras). Cela entraine des erreurs de jugement sur l’avenir de telle ou telle technologie avec des conséquences dommageables pour les perdants (ceux qui n’ont pas su prévoir). S’il est un domaine où la prévision est cruciale, c’est bien celui de l’énergie car toute activité économique est une débauche d’énergie. Son accès au meilleur coût est essentiel.
L’exemple de la fracturation hydraulique
Peu d’observateurs ont vu venir l’indépendance énergétique des Etats-Unis. En effet on s’était habitué à un pays dépendant du Moyen Orient et de l’Amérique centrale pour ses approvisionnements en pétrole. Les Etats-Unis avaient une faiblesse qui entrainait des conséquences géopolitiques, notamment une implication forte sur la scène internationale. Cela paraissait inévitable…En 2010, la technique de fracturation hydraulique (qui consiste à casser des roches pour en soutirer des mini poches de pétrole) n’était pas compétitive par rapport à l’extraction classique. Pourtant en quelques années et contre toute attente, la balance énergétique des Etats-Unis s’est inversée:
La production de pétrole aux Etats-Unis était de 5,5 millions de barils/jour en 2010 (essentiellement conventionnel) et de 12,4 millions en 2023. Entretemps, l’industrie pétrolière américaine, dominée par des entrepreneurs indépendants (à plus de 80 %) a amélioré progressivement la fracturation hydraulique, la combinant avec le forage horizontal pour baisser les coûts: plus de mèches par puit, fluides plus performants pour casser les roches, plus de pression, etc. Le coût de production a baissé conformément au principe de la courbe d’apprentissage: large marché (gisements découverts dans les années 2010), expérimentation nombreuse suivant une démarche entrepreneuriale, forte croissance de la production. Voici ce que donne la courbe d’apprentissage (représentation GPT4-0):
Il est certain que les facteurs qui ont conduit à cette baisse des coûts ne sont plus réunis: la perpective de doubler la production cumulée n’est pas une hypothèse probable à 12,4 millions de barils/jour (plus que l’Arabie saoudite). Les améliorations correspondant à la courbe d’apprentissage seront donc désormais plus limitées. Il va falloir trouver autre chose…
Les progrès sur les énergies traditionnelles (du charbon au nucléaire) sont relativement faible. En fait depuis le début des années 1970, la courbe d’apprentissage a cessé de fonctionner et la croissance de la productivité a logiquement ralenti, comme le montre le tableau suivant:
Les dernières révolutions énergétiques (pétrole, nucléaire) sont arrivées à maturité: l’OPEC a bloqué les prix du pétrole en 1973, la réglementation a ralenti significativement la construction de nouvelles centrales nucléaires après l’accident de Three Mile Island en 1979. L’énergie est devenue rare, l’inverse de ce qui est requis pour faire fonctionner la courbe d’apprentissage et cela dure depuis 50 ans. Il faut trouver d’autres sources de productivité en aval, cela explique l’essor considérable des technologies de l’information depuis: les bits succèdent aux électrons.
L’espoir du solaire
L’énergie solaire a toutes les caractéristiques d’une industrie bénéficiant à plein de la courbe d’apprentissage…et pour encore longtemps: cela pourrait changer radicalement les règles du jeu sur l’économie toute entière.
-Un large marché potentiel: le soleil est source d’énergie extrêmement abondante. La terre reçoit 173 000 TW d’énergie en continu dans l’atmosphère extérieure (source Wikipedia). Or les besoins humains sont de 20 TW en continu. L’offre potentielle dépasse largement la demande (x 8 650). Cela implique que l’énergie solaire pourrait théoriquement répondre largement à tous nos besoins énergétiques. La difficulté reste de la capter, stocker et transformer à bas coût.
-Une forte croissance de la production de panneaux solaires, comme le tableau suivant le montre:
Source Perplexity
La capacité installée double tous les deux à trois ans, élément très propice aux progrès liés à l’apprentissage. Les trois quart des capacités de production électrique ajoutées en 2023 sont solaires ! L’éolien est dépassé, doublant sa capacité tous les six ans environ avec un taux d’apprentissage de 10 % seulement (source Nature Communication)
Source Perplexity
C’est logique car l’éolien est moins souple (ressource électrique pour le réseau uniquement alors que le solaire peut être rapproché du lieu de consommation, voire sur les toits) et plus destructeur du paysage (donc difficulté plus importante pour obtenir les autorisations). Enfin, les capacités n’augmentent pratiquement pas pour les centrales à base de nucléaire, charbon ou gaz. La croissance va se poursuivre poussée par celle des centres de données. Il est moins cher de transporter des bits que des électrons, donc les centres de données se construiront de plus en plus dans les zones ensoleillées près des fermes solaires, alimentant ainsi la courbe d’apprentissage.
-un avantage décisif par rapport aux énergies conventionnelles: la capacité de fabriquer de l’électricité directement à partir des panneaux au lieu d’utiliser une turbine (transformation d’énergie mécanique en énergie électrique). Le coût de la seule turbine pour une production d’électricité conventionnelles est de $1 par watt. Il faut compter en plus le coût du carburant et du processus pour obtenir la vapeur d’eau. Un panneau solaire produit de l’électricité entre $ 0,1 et $0,20 par watt directement (sans nécessiter carburant, vapeur d’eau et turbine) comme le montre le tweet suivant:
La simplicité du processus de transformation fait que l’on peut installer les panneaux solaires près des lieux de consommation et ainsi éviter les coûts liés à l’utilisation d’un réseau électrique déjà surchargé.
Les conditions sont réunies pour que l’énergie solaire devienne rapidement l’énergie la moins chère du marché. Voici sa courbe d’apprentissage historique (tirée du blog de Casey Handmer):
Le taux d’apprentissage des panneaux solaires est de 44% depuis 2009, une réduction des coûts de 44% pour un doublement de la production cumulée. Couplé à l’augmentation très rapide de la capacité, cela signifie que le coût des panneaux solaires baisse en moyenne de 15 % par an. En plus de ceux des panneaux, il y a d’autres coûts comme les convertisseurs DC/AC, les taxes, permis, terrains, qui représentent $05 à $0,6/watt dans l’ensemble des coûts d’une installation de génération d’électricité.
Le coût pour produire et distribuer l’électricité à base d’énergie solaire à $20 par MWh1 dans certaines régions comme l’Australie est déjà inférieur à toutes les autres formes de génération d’électricité, du nucléaire à l’éolien en passant par le charbon et le gaz, qui ont déjà à décaisser les $35 par MWh juste pour la turbine, auquel il faut ajouter le carburant, le réacteur et bien d’avantage pour l’acheminement jusqu’au consommateur. Et il n’y a pas de raison que cela s’arrête, compte tenu de la souplesse d’utilisation de cette énergie. Au lieu de devoir transporter l’électricité dans l’espace (avec des coûts croissants du réseau), l’électricité solaire peut être transportée dans le temps (avec des coûts décroissants) grâce aux batteries.
L’arbitrage espace/temps
La combinaison panneaux solaires et batteries est redoutable pour le réseau électrique traditionnel, les deux courbes d’apprentissage du solaire et de la batterie se renforçant mutuellement, au détriment des fournisseurs conventionnels:
Les panneaux solaires sont branchés au réseau et couplés à des batteries peuvent fournir les pics de consommation à bas coût.
Les centrales à gaz fournissant les pics d’électricité ne sont plus compétitives et ferment.
Le réseau est déstabilisé par ces fermetures (pannes de réseau) et compense par l’adjonction de batteries…
La capacité de batteries installée augmente fortement faisant jouer la courbe d’apprentissage pour les batteries.
Cela rend la combinaison solaire+batteries encore plus compétitive pour fournir non seulement les pics (traditionnellement servis par les centrales à gaz) mais aussi la base (traditionnellement servie par le nucléaire, le charbon ou l’hydraulique).
Et le cycle recommence…
La pente de la courbe d’apprentissage pour les batteries est plus faible que celle pour les panneaux solaires (23 % contre 44 %). Cependant, la capacité installée croît de presque 100 % par an, si bien que les coûts baissent également très vite. Dans le même temps, le coût de génération des énergie rotatives ne baisse pas (voire monte) et est lié à un réseau de transport insuffisant et difficile à améliorer. L'espace est plus réglementé que le temps. Substituer la problématique du temps à celle de l’espace est un arbitrage de plus en plus gagnant. Le graphique suivant par Casey Handmer montrent bien que l’avantage de la combinaison solaire+batteries va s’accroitre rapidement pour devenir imbattable:
Quand le seuil d’1$ par watt pour fournir de l’électricité 24 heures sur 24 sera franchi, l’énergie solaire qui représente déjà les trois quarts de la capacité installée va dominer presque partout, y compris dans les zones faiblement ensoleillées: la recette sera de construire des surcapacités (passer de $1 par watt à $2 par watt reste très compétitif par rapport aux énergies rotatives). Par comparaison, le coût de Flamanville 3 (EPR) est de plus de $9 par watt, celui d’un micro-réacteur nucléaire d’au moins $4 par watt.
Nature Communication dans un article rédigé en novembre 2023 explique que le point de bascule sera en 2027, le solaire devenant l’énergie la moins cher quasiment partout dans le monde. Voici leur carte:
Les coûts présentés ici incluent le stockage, c’est à dire les batteries, et mesurent l’énergie produite effectivement. Les batteries sont désormais la clé pour faire baisser les coûts des dispositifs solaires (le coût des panneaux étant déjà très bas). La courbe d’apprentissage va continuer à faire ses effets avec une augmentation massive à prévoir des capacités, rendant progressivement les énergies renouvelables moins dépendantes des conditions météorologiques. Les derniers chiffres de Tesla sont éloquents à ce sujet:
Comment gérer ce nouveau choc énergétique ?
Les mécanismes d’apprentissage sont souvent sous-estimés, il est plus difficile de se projeter dans un monde différent que de jouer le conservatisme. Le solaire ne fait pas exception. On reste rivé sur le fait qu’il nécessite des subventions pour se développer et on en conclut que son avenir s’arrêtera dès qu’on stoppera lesdites subventions. L’énergie solaire est facilement considérée comme un luxe, une distraction qui nous empêche de concentrer nos investissements sur les énergies inéluctables comme le gaz et le nucléaire. Bien vite, les effets du solaire seront vus comme des agressions par les pays non préparés:
menaces sur les emplois des réseaux électriques (génération, transmission, distribution): il y a 13 millions d’emplois à préserver alors que l’électricité à partir de panneaux photovoltaïques peut les “court-circuiter”…
menaces sur les paysages du fait de la faible densité énergétique des panneaux solaires.
menaces sur les réseaux électriques eux-mêmes: au départ l’adjonction de solaire sur le réseau a un effet déstabilisant, conduisant à des fermetures de centrales à gaz, alors que le solaire ne convient pas la nuit. Des risques de pannes de courant surgissent. Il faut trouver des solutions comme l’éolien (qui complète le solaire au plan météorologique) et surtout les batteries. Ces solutions sont perçues comme une emplâtre sur une jambe de bois, car elles ne sont pas immédiatement efficaces: là aussi, les mécanismes d’apprentissage sont à l'œuvre et ne sont pas considérés. Les effets négatifs sont outrés, alors que la construction de surcapacités de panneaux et batteries à faible coût permettra bientôt d’éviter les pannes.
menaces géopolitiques: la Chine qui était fortement dépendante du monde extérieur pour son approvisionnement énergétique devient le premier producteur de panneaux solaires et de batteries, bénéficiant ainsi de la courbe d’apprentissage. Elle domine également le raffinage de matériaux pourtant abondants (lithium, silicium, graphite), nécessaires à la production de panneaux et batteries. Un nouveau danger géopolitique se dresse pour les pays qui ne sont pas préparés et combattent la dernière guerre. Sauront-ils le voir à temps et éviter une trop forte dépendance ? Quel avantage concurrentiel peuvent-ils construire pour avoir un levier dans les négociations ?
menaces intérieures: les pays ou zones qui ne feront pas la transition verront le niveau de vie des populations baisser avec une énergie plus onéreuse que les pays qui auront su s’adapter. D’où des troubles sociaux prévisibles.
Le pire serait de faire l’autruche et de chercher à se protéger de cette disruption par des réglementations stringentes. Car au final, l’énergie solaire est mieux distribuée que le pétrole et moins centralisée permettant au monde de retrouver une abondance perdue depuis les années 70.
La question du pétrole et du gaz
L’électricité ne résoudra pas tous les problèmes. Le mix énergétique est composé aux deux tiers de pétrole et de gaz (hors électricité) , l’électricité ne couvrant qu’un peu plus de 20% des besoins énergétiques mondiaux. Même si son utilisation est appelée à progresser dans le mix, elle ne peut couvrir dans l’état actuel tous les besoins du fait d’un défaut majeur: sa difficulté à être canalisée dans un lieu donné. Il faut toujours qu’elle circule! Les batteries sont une partie de la solution: leur densité énergétique cependant est très faible par rapport à celle des énergies fossiles:
Pour des usages nécessitant une forte puissance instantanée, l’électricité n’est pas adaptée, car ces usages nécessitent une forte concentration d’énergie (avions, fusées, moteurs industriels, etc); l’écart entre la densité énergétique d’une batterie et celle du carburant fossile est quasiment impossible à combler, même avec la courbe d’apprentissage la plus pentue.
C’est pourquoi les énergies fossiles, du fait de leur capacité à stocker de l’énergie, sont là pour durer quels que soient les appels à les éliminer. Au lieu de lutter pourquoi ne pas essayer de produire des énergies fossiles synthétiques neutres en carbone ? On résout ainsi le problème du stockage et évite de créer de disruption dans le matériel existant, donc de produire du CO2. La seule condition, et pas des moindre, est que le coût de production du pétrole ou gaz synthétique soit inférieur à celui du pétrole ou gaz extrait de terre.
Le principe est simple: on crée de l’hydrogène par électrolyse (H2O+électricité donne H2+1/2 O2). Parallèlement, on aspire de l’air pour en capturer le CO2 (0,4 % du volume de l’air capturé). Puis, on produit un hydrocarbure à partir du CO2 et de l’hydrogène, le résidu étant de l’eau. C’est génial en théorie, simplement il faut maitriser les coûts de:
-l’eau
-l’électricité
-l’électrolyseur
-le DAC (système direct de capture de l’air)
-le réacteur pour synthétiser l’hydrocarbure.
Les coûts les plus importants sont l’électricité (pour faire fonctionner l’électrolyseur, le DAC et le réacteur de synthèse) et le matériel (d’abord l’électrolyseur puis dans une bien moindre mesure le DAC et le réacteur). Il y a donc un mélange de dépenses d’investissement (matériel, essentiellement l’électrolyseur) et de dépenses opérationnelles (électricité)
Pour pouvoir produire à coût réellement compétitif du méthane (CH4) puis toute sortes d’hydrocarbures, il faut pouvoir faire baisser le coût de l’hydrogène produit par électrolyse à $1 par kg. Or ce coût se situe aujourd’hui avec les électrolyseurs classiques à plus de $5 par kg. Il faut donc diviser le coût de production de l’hydrogène par 5 ! Des améliorations marginales ne feront pas l’affaire, il faut diviser le coût de l’électricité ainsi que le coût des investissements (amortissement) par 5. Austin Vernon a écrit un excellent article décrivant comment descendre à moins de $1 par kg de H2. Casey Handmer met en pratique ces recommandations au travers de sa société Terraform. Il a conçu un engin de production de méthane à partir d’électrolyse et de séquestration du carbone qu’il appelle le Terraformer. Son idée est de se concentrer sur la courbe d’apprentissage des panneaux solaires pour réduire drastiquement le coût de l’électricité tout en réduisant tous les coûts annexes au strict minimum même si c’est au prix d’une moindre efficacité. A partir d’un certain stade, le coût de l’électricité sera tellement bas que le coût de production du méthane sera compétitif, même si l’électrolyseur et le DAC sont fabriqués avec du matériel bas de gamme et que l’électricité est intermittente. Casey Handmer a dévoilé en avril son Terraformer v1. Il peut produire de l’hydrogène à $2,5 par kg, déjà très au dessous des solutions actuelles: il n’y a pas de batteries, pas de convertisseur (DC/AC), si bien que les panneaux solaires peuvent produire de l’électricité à $20 par MWh, le cinquième du prix public de l’électricité; un électrolyseur à bas coût peu efficient (il consomme 80 KWh/kg-H2 contre 50 KWh/kg-H2 pour les électrolyseurs modernes mais coûte 10 fois moins). La variable est le panneau solaire, dont le prix devrait continuer à baisser de 15 % par an pour atteindre $10 par MWh d’ici quatre ans. Casey Handmer, après le gaz espère pouvoir ainsi synthétiser le pétrole et concurrencer l’Arabie Saoudite…
La courbe d’apprentissage pourrait nous surprendre, alors que nous nous attendons à tout…sauf à une énergie surabondante…
Bonnes vacances,
Hervé
NB: le coût par watt donne une vue partielle car il n’intègre pas le coût de l’énergie effectivement produite mais seulement celui de la capacité installée. Un panneau photovoltaïque produira d’avantage s’il est situé au Texas plutôt qu’en Normandie. C’est pourquoi la mesure du coût par MWh est intéressante, car elle permet de mieux comparer les différentes sources d’énergie. Le coût d’un système complet panneaux solaires *batteries est alors d’environ $65/MWh ($45/MWh pour la batterie)